Thibaud Sauvageon et Mariana Díaz sillonnent le monde à la rencontre des acteurs du monde des sciences. Elle est diplômée du master journalisme et médias numériques, lui est docteur en Sciences du bois & fibres et membre associé du Centre de recherche sur les médiations. Après les États-Unis, c’est au tour du Mexique d’être passé au crible par l’équipe de Science vagabonde, qui nous livre ses impressions sur l’état de la communication des sciences dans ce pays en plein changement.
Après la côte ouest mexicaine, les États-Unis et le Canada, nous avons repris la route vers le centre du Mexique. Heureux hasard, nous sommes passés par la ville de Guanajuato au moment où la Société mexicaine de la vulgarisation des sciences et techniques y organisait son congrès bisannuel. Nous avons donc eu la chance et l’honneur d’assister à ce rassemblement de 300 vulgarisateurs venus de tout le pays. Conférences, tables rondes, débats… Cet événement hors du commun nous a permis de prendre la température de la vulgarisation des sciences au Mexique.
En 2011, le chimiste mexicain Aarón Pérez-Benítez présentait cette activité dans son pays comme « une passion, un défi, un art… une activité incomprise ». Sept ans plus tard, cette situation a-t-elle changé ?
Une activité très majoritairement bénévole
La première chose qui nous frappe en observant la vulgarisation scientifique au Mexique, c’est son amateurisme. Non pas par sa qualité, mais par la situation économique et professionnelle de ceux qui la pratiquent ! D’après Jorge Padilla González, chercheur et co-auteur de l’étude Diagnostic de la vulgarisation de la science en Amérique Latine : Un regard sur la pratique de terrain, seul un vulgarisateur sur dix exerce cette activité de manière rémunérée. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’une démarche totalement bénévole réalisée par des chercheurs, des étudiants ou de simples citoyens.
« D’un côté on pourrait dire que c’est une bonne chose, que c’est de l’altruisme, que ça fait partie des responsabilités de la société… Mais si on va dans ce sens, la vulgarisation ne sera jamais professionnelle. Si un médecin a le droit légitime de gagner sa vie en exerçant son activité de médecin, un vulgarisateur devrait aussi pouvoir vivre de la vulgarisation. »
Le caractère non professionnel de la vulgarisation scientifique au Mexique, relevé par Jorge Padilla González, est facilement vérifiable. En discutant avec les participants du congrès, nous nous rendons compte que, malgré un coût relativement élevé, beaucoup ont payé l’inscription de leur poche ! Les budgets alloués à la communication des sciences sont extrêmement faibles et il est très courant de voir des professionnels investir leur propre argent dans des équipements de travail (caméras, micros…). Indéniablement, la vulgarisation scientifique au Mexique coûte beaucoup plus d’argent à ses acteurs qu’elle ne leur en rapporte.
Cette situation est dommageable, mais présente tout de même un avantage : le monde de la médiation scientifique au Mexique est pour l’essentiel constitué de passionnés. Les vulgarisateurs redoublent d’efforts et de créativité pour proposer une communication de qualité avec le public. Personne ne compte ses heures. Et dans un contexte institutionnel plutôt défavorable, l’ambiance n’est pas à la compétition, mais à la solidarité et à l’entraide. Tout le monde trouve sa place dans un milieu où les vulgarisateurs restent rares face à une population mexicaine très nombreuse. De plus, le très large éventail de médias possibles (musées, ateliers, conférences, blogs…) ne donne à personne l’impression d’empiéter sur un terrain déjà occupé.
Une nouvelle vague de vulgarisateurs 2.0
Depuis quelques années, l’utilisation massive et de plus en plus diversifiée d’Internet change également le visage de la vulgarisation des sciences. Si ce phénomène peut être observé à l’échelle mondiale, les jeunes Mexicains ne sont pas en reste. De nombreux projets sont montés de manière indépendante par des étudiants ou de simples passionnés qui voient en Internet une tribune ouverte et facilement accessible. Blogs, chaînes YouTube, réseaux sociaux… L’aisance de la jeune génération avec les nouvelles technologies a provoqué une production exponentielle de contenus scientifiques de qualité et touchant un public sans cesse plus nombreux.
Loin des milieux officiels, les jeunes YouTubeurs-vulgarisateurs mexicains sont parvenus à créer une communauté solide et montent de nombreux projets collaboratifs. À travers un groupe de discussion sur l’application WhatsApp et sur Facebook, ils échangent quotidiennement pour se tenir informés de l’avancée de leurs projets respectifs. Norberto Espíritu, doctorant en astrophysique et co-auteur de la chaîne YouTube « Astrofísicos en Acción » (Astrophysiciens en Action), nous parle de son rapport aux médias traditionnels :
« Entre vulgarisateurs, il existe une sorte de compétition amusante. Nous ne sommes pas en compétition avec les médias de masse, mais entre YouTubeurs, pour voir qui sortira une info en premier. […] Avec Astrofísicos en Acción, notre objectif n’a jamais été de remplacer les médias traditionnels. Nous pensons que les réseaux sociaux et les médias traditionnels sont complémentaires, car nous avons des publics totalement différents. »
Globalement, cette nouvelle vague de vulgarisateurs 2.0 est accueillie avec bienveillance par les professionnels du milieu. La différence générationnelle est bien présente, mais on perçoit une sincère reconnaissance mutuelle entre jeunes vulgarisateurs et communicants chevronnés. Que ce soit par l’expérience acquise au long des années ou par l’énergie créative de la jeunesse, tout le monde a quelque chose à apprendre de l’autre.
« Nous ne sommes pas des supporters des sciences ! »
Alors que les moyens de communication des sciences au Mexique se diversifient, la nature même des contenus doit être repensée. C’est en tout cas l’avis de la philosophe des sciences Aline Guevara Villegas, responsable de la communication de l’Institut des sciences nucléaires de l’Université nationale autonome du Mexique. Selon elle, le communicant des sciences n’a pas seulement un devoir d’informer. Il a aussi et surtout un rôle social et politique à jouer.
« Le problème avec la vulgarisation scientifique traditionnelle, c’est qu’elle parle au nom de l’intérêt scientifique. Mais en réalité, nous devons aussi défendre l’intérêt public. Nous ne sommes pas des supporters des sciences ! Nous ne devons pas non plus lui mettre des bâtons dans les roues, mais nous devons avant tout jouer le rôle de médiateurs entre intérêt scientifique et intérêt public. »
Aline Guevara Villegas a travaillé comme médiatrice dans la mise en œuvre d’un projet scientifique international : l’observatoire HAWC. Cet observatoire de rayons cosmiques a été installé en 2009 sur le volcan Sierra Negra, dans l’état de Puebla. Cependant, lors de son installation, l’observatoire a été sujet à une forte réticence de la part des populations vivant sur place. Le volcan étant classé réserve naturelle et l’accès à l’eau étant difficile dans cette région asséchée, l’utilisation par les chercheurs de 54 000 m3 d’eau cristalline nécessaires au fonctionnement de l’observatoire a du mal à passer… Dans un tel contexte, la communication des sciences n’a pas pour objectif de satisfaire la curiosité du public :
« En tant que médiateurs scientifiques, nous devons identifier des points d’intérêt commun entre les scientifiques et les communautés locales ; des sujets qui pourraient générer des tensions, de potentiels conflits d’intérêts… Dans notre cas, un des sujets sensibles, c’est l’eau. […] Les sciences et les rayons cosmiques ont un lien avec cette thématique, mais notre fonction principale n’est pas de parler de rayons cosmiques. Notre rôle est de faire en sorte que chacun puisse comprendre quelles sont les nécessités de l’autre. »
Dans ce cas, la communication n’est pas descendante du scientifique vers le public mais est menée de façon bilatérale. C’est pourquoi Aline Guevara Villegas veut impliquer les chercheurs dans la démarche de vulgarisation tout en militant pour une formation de professionnels de la communication scientifique. D’après elle, plus que le grand public, le premier sujet d’étude du médiateur des sciences est le chercheur lui-même…
Un long chemin vers la professionnalisation
Les différentes rencontres et observations que nous avons pu faire durant notre séjour au Mexique nous laissent entrevoir un véritable tournant dans la manière de communiquer les sciences. Il est de plus en plus question de créer des filières universitaires dédiées à la communication des sciences ; on voit apparaître des revues scientifiques spécialisées ; les réseaux de vulgarisateurs se densifient et s’organisent… La vulgarisation scientifique se consolide peu à peu comme une discipline à part entière. Et dans cette discipline en plein essor, le Mexique est généralement considéré comme « un pionnier » en Amérique Latine.
Nous reprenons désormais la route vers le sud pour parcourir le reste du continent dans les mois à venir. Il est certain que la suite de notre voyage nous réservera des rencontres inattendues et de nouveaux éléments de réflexion. Comment les sciences se font-elles en Amérique Centrale ? Et comment sont-elles communiquées ? Pour le savoir, rendez-vous dans notre prochaine chronique !
Pour les plus impatients, n’oubliez pas que vous pouvez toujours suivre notre itinéraire en temps réel et nos reportages sur notre site Internet et sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram).
À bientôt !
Thibaud Sauvageon, Reporter indépendant, cofondateur de Science vagabonde, correspondant du laboratoire CREM, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.