Delphine Le Nozach, maître de conférences au Centre de recherche sur les médiations propose un avant-goût de la journée d'étude « Cinéma, culture et territoire en Lorraine : entre approche transmédiatique et pluri-médiatique de la connaissance territoriale » qui aura lieu le lundi 2 octobre à l’IUT Charlemagne, à Nancy.
En janvier 2016, les régions françaises fusionnaient afin de construire une configuration de douze régions en France métropolitaine. Depuis, les régions cherchent à se distinguer de leurs voisines. Chacune est amenée à s’interroger sur la nécessité de construire une image harmonieuse et de fonder une identité territoriale singulière et cohérente.
Au carrefour de ces réflexions, le projet « Les Bobines de l’Est » (porté par le CREM) établit un catalogage inédit de films présentant des insertions territoriales de la région Lorraine et analyse la nature des liens qui unissent le territoire et la création cinématographique dans une perspective sémantique et communicationnelle.
Le territoire, un placement de produit ?
Rappelons que le placement de produits inclut un accord contractuel entre les différents acteurs du dispositif – l’équipe du film, l’annonceur et souvent l’agence de communication – et prévoit une forme de partenariat. L’inscription d’un territoire filmique associe la région au film : d’une simple autorisation de tournage sur ses terres à la participation financière pour la production du film, la région est incontournable pour chaque projet filmique. Si la région s’engage selon des degrés variables, il n’en reste pas moins que la présence du territoire à l’image est la résultante d’un contrat. Il s’agit donc d’une forme de placement de produit.
Le territoire régional est placé dans le film comme un produit ou une marque peut l’être. Certaines régions voient dans ce partenariat une occasion de développer une stratégie communicationnelle et commerciale. Dans cette démarche, la région Lorraine crée, dès 2004, un fonds de soutien en faveur du cinéma et de l’audiovisuel. Cette politique se poursuit trois ans plus tard par l’établissement d’un bureau d’accueil des tournages. Ces initiatives ont favorisé l’organisation et l’accueil des tournages sur le territoire lorrain. En découlent une professionnalisation du secteur et le développement de l’industrie cinématographique mais, au-delà de ces aspects socio-économiques, c’est bien la valorisation symbolique de la région qui est recherchée. À l’instar d’une marque, la région s’associe au 7e Art pour bénéficier de son capital culturel et de son aura populaire.
Les quatre formes de présence du territoire filmique
- Le placement territorial formulé
Le territoire est placé distinctement dans le film et géolocalise l’action de façon explicite. Par exemple, Il y a longtemps que je t’aime (Claudel, 2008) fourmille de scènes où le spectateur explore Nancy. Philippe Claudel précise l’ancrage géographique de son histoire et nourrit son film grâce à des repères culturels : un supporter de l’ASNL (Association sportive Nancy Lorraine) ou encore des personnages devant le tableau « La Douleur » du peintre lorrain Émile Friant.
Pour citer un autre exemple, dans Main dans la main (2012), Valérie Donzelli place Commercy, « la ville des Madeleines », dans l’image et les dialogues.
Lorsque ce type de placement répond à une volonté créatrice du réalisateur, il impose des contraintes dans la réalisation car son efficacité dépend de sa reconnaissance à l’image. En effet, le réalisateur doit s’assurer que le spectateur identifie le territoire et lui assigne les mêmes significations que lui. À part peut-être pour les résidents, l’identification d’une région à ses paysages ou ses villages est aléatoire (malgré les notifications au générique). Le réalisateur doit donc insister sur les références au territoire et adapter ses choix de mise en scène. Les placements visuels sont soutenus par des mentions écrites (panneaux, signalisations, enseignes, etc.) et par des interventions sonores (dans les dialogues ou dans la voix off). Le placement territorial formulé réunit l’ensemble des critères d’établissement nécessaires à une bonne visibilité et une bonne mémorisation du spectateur.
Le placement territorial furtif
Le synopsis du film La volante (Ali, Bonilauri, 2015) précise : « L’histoire débute à Metz, au carrefour situé près de l’église Sainte-Thérèse ». Le tournage du film a eu lieu, en partie, dans la ville mosellane. Pourtant, à l’image, ce placement territorial est retenu : aucune mention écrite et aucun dialogue ne viennent énoncer la localisation. Dans ce film, le décor est anecdotique. Les placements territoriaux appartiennent à la catégorie des furtifs : ils sont tellement discrets qu’ils restent difficilement identifiables. La fin du silence (Edzard, 2011) concentre son action dans « une maison isolée dans les Vosges » (selon le dossier de presse). La forêt des Vosges est omniprésente et pourtant, il est compliqué d’associer ce paysage naturel à sa région.
Nous voyons que même si le temps de présence du territoire dans le film est important et qu’il est, a fortiori, largement exposé, il reste parfois méconnaissable. Il n’y a pas de lien systématique entre le temps d’exposition et la perception identifiée du territoire filmique.
Le placement territorial masqué
Le choix peut être de gommer l’appartenance géographique des décors, créés pour les besoins de l’histoire. Reprenons l’exemple du film La volante (Ali, Bonilauri, 2015) dans lequel une scène se passe au bar-café « La Cigale » (à Metz). Impossible d’identifier l’établissement, car il a été rebaptisé le « Sans souci » pour le tournage.
Le film de Costa Gavras, Le couperet (2005), joue aussi sur les apparences. L’histoire se focalise sur la recherche d’emploi de Bruno Davert (José Garcia), en tant que cadre supérieur dans la papeterie. Bruno rêve d’intégrer l’usine de papier « Arcadia ». L’entreprise est en fait la papeterie Norske Skog située à Golbey (Vosges). Le véritable nom de l’usine a été remplacé par son appellation diégétique. Aucun indice ne permet donc de rapprocher le lieu de sa situation géographique.
Théo-D
Pour les placements territoriaux furtifs et masqués, il est difficile pour les régions partenaires de bénéficier de l’aura de l’image cinématographique. Les génériques de fin informent les spectateurs sur les organismes associés à la production mais la région ne peut pas compter sur la monstration explicite de son territoire pour valoriser son image.
Le placement territorial travesti
Le film fait croire que l’histoire a lieu dans un endroit alors que les scènes se sont en réalité tournées ailleurs. Jeanne d’Arc (Besson, 1999) a créé de nombreux simulacres : l’enfance de Jeanne est censée se dérouler en Lorraine alors que le tournage s’est situé en Normandie, la cathédrale de Sées (Orne) se substitue à celle de Reims (Marne) et le château de Beynec (Dordogne) remplace celui de Chinon. Pour Indigènes (Bouchareb, 2006), les scènes de montagnes enneigées censées se dérouler dans les Vosges ont été tournées au Maroc. Ce déplacement spatial provoque parfois des images saugrenues. L’histoire de Rendez-vous (Beumer, 2015) se passe en Dordogne mais c’est le village de Marville (Meuse) qui accueille le tournage. La scène de marché plonge les personnages dans l’ambiance du sud sauf qu’un stand propose à la vente des produits lorrains…
Si le territoire situe l’action, cette disposition pour les faux-semblants fait du placement territorial filmique un placement de produit qui se distingue des autres. Un territoire cité dans le film peut être valorisé par la monstration d’un autre territoire. Il est inconcevable qu’un film fasse la promotion d’une marque via l’un de ses concurrents placés ; impensable qu’une marque transmette ses valeurs au travers de l’image d’une autre marque ; invraisemblable qu’un réalisateur utilise un produit marketé pour le déguiser en un autre. Avec le placement territorial filmique, ces artifices sont légion. Nous pouvons nous demander si cette singularité perdurera avec l’intensification du marketing territorial et le développement des marque-ville et marque-région.
Un placement de produit légitime et revendiqué
Le placement territorial filmique semble tenu à l’écart du paradoxe habituellement affiché de l’union improbable de la publicité et du cinéma. Les produits et les marques restent, dans les discours médiatique et populaire, des éléments exogènes au cinéma et qui restent rattachés à la publicité commerciale. De ce fait, le cinéma accueillant un territoire dans le film est-il considéré comme un traître qui pervertit sa nature artistique au profit de la marchandisation culturelle ? Non. La relation entre territoire et cinéma établit des liens évidents et naturels.
Depuis la création du cinéma, les insertions territoriales sont inhérentes aux films et leur présence dans le cinéma n’a jamais été sujette à critique. Au contraire, ni le film, ni le territoire ne cachent leur alliance indéfectible. Fière de son appartenance à l’histoire du cinéma, la ville de La Ciotat, dès 1942, installe une plaque commémorative sur les lieux du tournage du film L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat (Lumière, 1895). Depuis, de nombreuses initiatives régionales encouragent la légitimation culturelle et patrimoniale du territoire au cinéma : expositions, salons des lieux de tournage et parcours touristiques thématiques. En amont, les collectivités cherchent à provoquer un nombre croissant de tournages sur leur terre ; pendant le tournage, elles médiatisent l’événement ; et a posteriori, elles valorisent leur territoire par le vecteur de leurs représentations cinématographiques.
Du côté des réalisateurs, le placement territorial, contrairement aux autres placements de produits filmiques, n’est pas tabou. Ils vont spontanément évoquer les lieux de tournage et librement mettre en avant le territoire présent à l’image. Les réalisateurs se donnent même pour mission de valoriser un territoire qui leur est cher. Comme le dit Valérie Donzelli dans le dossier de presse du film Main dans la main :
« Je connais bien les paysages lorrains et leur lumière, qui en automne sont vraiment magnifiques. Cela me faisait plaisir de faire ainsi découvrir cette région à travers le film ».
Le territoire, qui apparaît inévitablement dans le film et qui n’est pas connoté comme un placement commercial, est revendiqué par les créateurs, si bien que le message comporte en définitif une dimension promotionnelle. Collectivité territoriale, spectateur et réalisateur : le placement territorial filmique est le seul placement de produit valorisé, légitimé et revendiqué par tous les acteurs du dispositif.
Delphine Le Nozach, Maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.