Né à Berlin en 1939 d’un père économiste et d’une mère sans profession, le jeune Jörn fut très tôt mis au contact du français par une grand-mère autrichienne qui se piquait de n’autoriser à sa table que l’usage de la langue de Molière.
Scolarisé dans une Waldorfschule, établissement dont la pédagogie s’inspirait de l’anthroposophie steinerienne, l’élève Albrecht en sortit formé à une approche globalisante des choses. Aussi ses études supérieures, principalement effectuées à l’Université de Tübingen et à l’Université Libre de Berlin le conduisirent-elles à se donner une solide formation en littératures et civilisations romanes (français, italien, espagnol), allemandes et anglaises avant de se lancer dans l’étude de la linguistique générale et de la philosophie du langage.
Trois enseignants eurent sur l’étudiant une influence décisive : Gérard Genette, Mario Wandruszka et Eugenio Coseriu. Le premier, professeur encore inconnu de Lettres supérieures au Lycée du Mans, où Jörn Albrecht était assistant de langue allemande, lui apprit la lecture attentive des textes ; le second, contrastiviste de renom, lui ouvrit le monde de la comparaison des langues ; le troisième enfin, romaniste d’origine roumaine et l’un des linguistes majeurs du XXe siècle, l’initia à la pensée systématique et fit naître en lui sa vocation de chercheur.
Devenu professeur à l’Université de Heidelberg puis directeur de son institut de traduction et d’interprétariat, Jörn Albrecht développa une activité scientifique remarquable à la fois par son ampleur (22 ouvrages, plus de 150 articles…), par l’étendue de sa palette (de la linguistique générale à la traductologie en passant par la linguistique contrastive, l’histoire de la linguistique, la sociolinguistique, la terminologie etc.), par sa consistance (grâce notamment à la prise en compte de la dimension historique) et par son approche, qui allie résolument réflexion théorique et expérience pratique, le chercheur ayant toujours pris soin de pratiquer lui-même l’activité de traduction objet de ses recherches.
Il collabora également à l’élaboration d’outils traductologiques, comme le projet conçu par une équipe nancéienne qui aboutit à la réalisation du Wörterbuch deutscher Partikeln, dictionnaire bilingue des « mots du discours » de l’allemand fort de près de 1000 pages publié en 2009 par la prestigieuse maison d’éditions De Gruyter. Plus récemment, il associa plusieurs membres de l’ATILF à l’élaboration d’un Manuel de traductologie de 779 pages, à sa demande entièrement rédigé en français, paru en 2016 dans la collection Manuals of Romance Linguistics éditée par la même maison.
La perspective à la fois contrastive, historique et culturelle adoptée dans ses travaux, son intérêt prédominant pour le français et ses diverses traductions de notre langue vers l’allemand font assurément de Jörn Albrecht un éminent « passeur » entre nos deux cultures.
Texte écrit par René Métrich, professeur émérite – UFR Arts, lettres et langes - Nancy, parrain de Jörn Albrecht.