Pierrick Gaudry, directeur de recherche au CNRS et membre du Loria (CNRS, Inria et Université de Lorraine) a décrypté des codes présents dans les registres de comptes de grands luthiers parisiens tenus au 19ème siècle. Ce déchiffrement lève le voile sur la valeur des instruments à cordes et permet de davantage cerner l’histoire du commerce de la lutherie.
Jean-Philippe Échard , conservateur au musée de la musique à Paris a retrouvé dans des archives, trois registres de compte tenus pendant près de 150 ans par les différents successeurs du grand luthier parisien, Nicolas Lupot qui avait fondé son atelier en 1795.
Au sein de ces registres de compte, jaunis par le temps, près de 250 instruments principalement des violons étaient référencés, ces derniers étant achetés par les luthiers, et destinés à être revendus à une clientèle de musiciens.
Pour chaque instrument, figuraient 4 prix : le prix d’achat du violon, le prix de vente souhaité, le prix de réserve, c’est à dire le prix en dessous duquel le luthier ne descendrait pas et le prix de vente effective.
Les luthiers ont codé le prix d’achat et le prix de réserve en remplaçant les chiffres par des lettres, afin de les rendre confidentiels. Ce codage permettait au luthier de garder le livre ouvert devant ses clients sans que ces derniers ne connaissent ses marges tarifaires.
Jean-Philippe Échard sollicite alors Pierrick pour lui demander de décrypter ces lettres. « À l’époque, les communications se multipliaient, chiffrer les messages était devenu une mode », complète Pierrick.
Si Pierrick utilise habituellement des puissants calculateurs pour mener à bien sa recherche, il n’a eu besoin, pour déchiffrer ces codes que d’une feuille et d’un crayon de papier. Il s’agissait d’un codage par substitution mono-alphabétique : le luthier remplaçait un chiffre par une lettre sur la base d’un mot à dix lettres. Après quelques hypothèses, Pierrick découvrit que ce codage s’est fait sur la base du mot « harmonieux », le « h » étant le 1, le « x », le 0 (parfois remplacé par « z », le chiffre 0 étant souvent présent).
Pourquoi avoir choisi le mot « harmonieux » ? La table d’harmonie est la face avant du violon ou de tout instrument à cordes qui reçoit la vibration à amplifier, le plus souvent au travers du chevalet.
Suite à ce résultat, un article a été soumis à la revue “Cryptologia”, revue qui s’intéresse aux aspects historiques de la cryptographie et ce dernier a été accepté.
Si ce déchiffrement révèle de nombreux secrets sur la valeur des instruments à cordes et plus généralement sur l’histoire du commerce de la lutherie, il montre que la cryptographie n’est pas seulement informatique. Elle existait d’ailleurs bien avant les ordinateurs et s’étend même à de nombreuses autres disciplines. Le tout est de les mettre en musique.
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