Sciences et médias : un échange enrichissant

 
Publié le 5/02/2025
Cyrille Bodin

Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Cyrille Bodin a participé à un échange entre chercheurs et journalistes organisé par l’AJSPI. Un échange avec deux rédactions spécialisées, News Tank Éducation & Recherche et TheMetaNews, qui questionne les transformations contemporaines du journalisme scientifique.

Factuel : Qu’est-ce qui vous a motivé à participer à cet échange entre chercheurs et journalistes, et qu’en avez-vous retenu pour vos propres recherches ?

Les échanges de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) sont importants pour mes activités de recherche et d’enseignement. Je suis Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, spécialisé dans les relations sciences société, les médiations socio-scientifiques et les controverses environnementales. Donc participer à ce programme d’échange était pour moi assez logique.

D’autant plus que l’AJSPI tient un discours intéressant sur les enjeux du journalisme scientifique : par exemple sur le manque de moyens pour mener des travaux d’investigation plutôt que de vulgarisation, sur la pluridisciplinarité scientifique nécessaire à la résolution des problèmes environnementaux, ou encore sur le manque de reconnaissance du journalisme scientifique, dans le champ professionnel, face par exemple au journalisme politique. D’ailleurs ces hiérarchies professionnelles apparaissent obsolètes, et même contreproductives, dans le traitement de l’information liées aux controverses environnementales.

[A ce propos, voir l’intervention d’Yves Sciama à Science & You 2021]

Factuel : Qu’avez-vous découvert sur le traitement et la diffusion des informations scientifiques ainsi que sur le quotidien des journalistes scientifiques lors de votre immersion au sein d’une rédaction ?

Ma principale surprise est d’avoir travaillé, au cours de ces échanges, avec deux rédactions spécialisées que je ne connaissais pas encore : je suis parti une semaine travailler chez News Tank Éducation & Recherche, et le CREM a reçu pendant une semaine une journaliste de TheMetaNews. Ces deux rédactions ne fonctionnent pas comme des médias classiques de vulgarisation. Il s’agit plutôt d’une information spécialisée et professionnelle, diffusée sur abonnement, à destination des universitaires, qu’ils soient chercheurs, administratifs ou décideurs institutionnels.

Et contrairement à la vulgarisation, il est plutôt question dans ces rédactions de faire part d’une actualité institutionnelle, politique, règlementaire, économique ou intellectuelle… Au lieu de mettre en scène uniquement les produits et savoirs scientifiques comme le fait généralement la vulgarisation (en excluant le plus souvent les SHS du domaine des sciences…), il s’agit plutôt de montrer une actualité des coulisses de la fabrique des sciences, et qui détermine les conditions de production de ces savoirs. En d’autres termes, les sciences sont abordées comme un processus, bien plus que comme un corpus de savoirs totalement coupés de leurs conditions de construction.

Factuel : Comment pensez-vous que les chercheurs et les journalistes peuvent mieux collaborer pour rendre la science plus accessible au grand public ?

« Rendre la science plus accessible au grand public », c’est peut-être un discours revenant à inventer un problème qui ne se pose pas toujours comme tel socialement, culturellement et politiquement. D’autant plus que les produits et discours scientifiques sont déjà présents partout dans la vie quotidienne de nos concitoyens, et que les niveaux d’étude moyens n’ont jamais été aussi élevés…

Les médiations socio-scientifiques sont d’ailleurs loin de se limiter à la seule question d’une « transmission » des savoirs d’un scientifique vers un public « profane », considéré a priori ignorant de tout. Je pense aux débats publics liés aux controverses environnementales ou aux questions éthiques liées au développement technique, à la recherche participative et/ou citoyenne, aux enjeux des sciences ouvertes et de l’open access, aux rapports arts sciences… Toutes ces formes de médiation demandent une bien plus grande ouverture que ce propose la vulgarisation classique. Et leurs enjeux peuvent parfois être lourds de conséquences sociales.

En matière de journalisme scientifique, nous nous trouvons indubitablement face à une profession en crise (manque de moyens, manque de reconnaissance sociale ou professionnelle, précarisation de l’emploi…), alors que les besoins sont immenses si l’on veut aborder collectivement les problèmes environnementaux d’une manière un tant soit peu « éclairée ». Malheureusement, les formations actuelles en journalisme scientifique ne sont pas toujours à la hauteur de ces enjeux.