À Nancy, l’intégrateur Biothérapie Bioproduction MTInov, entre dans sa quatrième année d’existence. Cette structure, dédiée à la recherche sur les médicaments de thérapie innovante (MTI), doit sa particularité à l’étroite collaboration des personnels hospitalo-universitaires de l’Unité Thérapie Cellulaire et Banque de Tissus (UTCT) du CHRU de Nancy et des chercheurs et enseignants chercheurs du Laboratoire Réactions et Génie des Procédés. (UMR CNRS 7274). Pour marquer l’évènement à l’occasion de la première Journée Nationale de la Bioproduction de Biomédicament ce vendredi 5 juillet 2024, nous sommes allés à la rencontre de Danièle Bensoussan et d’Éric Olmos, tous deux co-responsables de MTInov. Ils ont accepté de revenir sur l’historique et la nature des recherches menées dans cet intégrateur pour le moins unique en son genre.
Bonjour Danièle, bonjour Éric, merci de nous recevoir aujourd’hui. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Danièle Bensoussan : Je m'appelle Danièle Bensoussan, je suis cheffe de service de l'Unité de Thérapie Cellulaire et banque de Tissus, Banques de sang placentaire et Médicaments de thérapie innovante (UTCT), au CHRU de Nancy. En tant qu’hospitalo-universitaire, j’exerce une activité de recherche au sein de l'UMR CNRS IMoPA et une activité d'enseignement à la faculté de pharmacie. J'ai également cofondé la start-up StemInov qui développe un médicament de Thérapie innovante dans le choc septique.
Eric Olmos : Je m'appelle Éric Olmos, je suis professeur en génie des procédés biotechnologies à l'École Nationale Supérieure d'Agronomie et des Industries alimentaires (ENSAIA) où je coordonne également un master en biotechnologie industrielle. J'effectue mes activités de recherche au Laboratoire Réactions et Génie des Procédés (LRGP), notamment en procédés de culture de cellules animales et de cellules humaines en bioréacteur. J'ai aussi une activité importante en lien avec la modélisation des bioréacteurs et des réactions biologiques. Je codirige avec Danièle Bensoussan l'intégrateur biothérapie bioproduction MTInov.
Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un biomédicament et quelles sont ses applications ?
D. B. : Un biomédicament est un médicament biologique qui désigne tout médicament dont la substance active est une macromolécule thérapeutique produite par le vivant. Cette famille regroupe un ensemble de thérapies comme par exemple les anticorps monoclonaux, les vaccins, mais aussi les médicaments à base de cellules que l’on appelle médicaments de thérapie cellulaire innovante. Il se distingue en cela des médicaments traditionnels qui sont plutôt issus de la synthèse chimique soit par extraction des plantes ou par synthèse chimique absolue. Un biomédicament est donc un médicament issu du vivant, soit produit par une cellule vivante comme dans le cas des anticorps monoclonaux produits à partir de cellules CHO, soit par des cellules humaines ou des produits issus de ces cellules humaines comme les EV[1] ou les vaccins ARN messager.
E. O. : En termes de thérapie, les biomédicaments s’adressent à des patients dont les pathologies sont déjà traitées par des molécules chimiques comme les traitements oncologiques par exemple. Ce que l’on recherche c'est une nouvelle efficacité que les molécules chimiques n’ont pas les moyens d’atteindre. Cela représente aussi un intérêt pour les thérapies que les molécules chimiques n’adressent pas comme les thérapies géniques pour lesquelles il y a parfois d’un traitement des symptômes par voie chimique. Le biomédicament permet de traiter à la fois la cause et la maladie. En ce qui concerne les domaines d’application, c’est assez étendu : la cancérologie est l’un des cibles principales à l’instar de l’immunothérapie, les vaccins et la thérapie génique à moindre échelle.
Comment MTInov a-t-il vu le jour ? Était-ce la première collaboration entre l’UTCT et le LRGP ?
E. O. : En 2020, il y a eu un appel à projet dans le cadre du Grand Défi biomédicament qui visait à faire émerger ou à reconnaître l'existence de plateformes nationales académiques qui soient à la pointe dans la production de biomédicaments. C'est ce que l'on a appelé à l'époque les Intégrateurs Industriels. L’UTCT et le LRGP avaient déjà des projets en commun et cette collaboration correspondait bien aux attendus de l’appel à projet puisque nous avions une spécificité qui était importante entre la partie recherche et développement, scale-up du LRGP et la partie production de grades cliniques et production de Médicaments de Thérapie Innovante de l’UTCT. Nous avions déjà collaboré pour un programme européen INTERREG sur la culture de cellules stromales mésenchymateuses (CSM) sur microporteurs innovants. Notre candidature a été acceptée et nous avons été labellisés intégrateur industriel. Par la suite, dans le cadre de France 2030, MTInov a été relabellisé Intégrateur Biothérapie Bioproduction (IBB).
D. B. : Nous nous connaissions déjà puisque nous avions aussi déposé des projets d'ANR collaboratives en commun. À peu près au même moment, nous portions ensemble une ANR RA-Covid que nous avons mené en parallèle de l'émergence de MTInov.
Vous appartenez à des champs de recherche très différents qui ont peu d’occasions de collaborer. Peut-on dire que cette particularité fait la force de l’IBB MTInov ?
D. B. : Cette collaboration fonctionne parce que nos unités respectives présentent une véritable complémentarité avec chacune ses domaines de compétence permettant à chacune d’apporter sa perception ou son éclairage sur les projets. L’expertise du LRGP se situe en amont sur les aspects bioprocédés, culture en bioréacteurs, mise en place contrôles en lignes et modélisation de procédés. C’est idéal puisque, pour répondre aux critères de l’appel à projet, il a été demandé de produire de plus grandes quantités de biomédicaments avec un rendement meilleur et à moindre coût. Cependant, ces biomédicaments doivent aussi être produits dans des conditions de grades cliniques et être testés dans le cadre d'essais cliniques. Tout ce versant-là – la production de grade clinique GMP, la maîtrise du cadre réglementaire, et les contrôles qualité libératoires- c'est le domaine d’expertise de l'UTCT.
E. O. : Effectivement, les équipes académiques qui étudient et développent des procédés de culture de cellules humaines en bioréacteurs, sont rares sur le continent européen. Ceci est également vrai en ce qui concerne les pôles hospitaliers et la production de grade clinique de MTI. Le fait de retrouver conjointement ces deux structures sur un même pôle universitaire est une opportunité exceptionnelle.
Actuellement, MTInov mène 6 projets de recherche impliquant des acteurs industriels différents. Quels en sont les objectifs ?
D. B. : Lorsque le Grand Défi Biomédicament a été initié, nous avons été contactés par des industriels porteurs de projets dont l’objectif était de monter un consortium d'industriels avec un intégrateur industriel. MTInov s'est associé à un certain nombre d’entre eux sur les projets et thématiques. Deux d’entre eux ont porté sur le développement de capteurs en ligne pour des cultures en bioréacteurs soit sur des cellules humaines, des cellules adhérentes ou des cellules en suspension. Un troisième projet a porté sur la mise au point d’un contrôle qualité en ligne sur du surnageant de culture de cellules adhérentes pour essayer d’en définir la meilleure qualité.
E. O. : Des projets portaient également sur l'intégration d'un capteur dans un procédé de culture de cellules CHO et un procédé pour coupler un système de séparation en continu d'un anticorps monoclonal couplé à un réacteur de culture de CHO. Un dernier projet portait sur l'optimisation de milieux de culture pour la production de cellules stromales mésenchymateuses sur microporteurs.
D.B. : Au-delà de ces 6 projets soutenus par l’état, des recherches plus fondamentales sont menées au sein de l’équipe 6 de l’unité CNRS IMoPA dans laquelle émargent les hospitalo-universitaires de MTInov. Différents types cellulaires sont à l’étude afin d’en caractériser les propriétés immunologiques -pouvant être appliquées en immunothérapie anti-cancéreuse ou anti-virale par exemple- ou les propriétés immunomodulatrices. Ces travaux conduiront pour certains à des transferts en clinique. MTInov mettra alors au service de ces transferts toute son expertise et son savoir-faire afin d’accompagner les chercheurs et définir un mode de production GMP à plus grande échelle propre à chaque type cellulaire.
E. O. : L'objectif que l’on essaie d'atteindre, c’est d'arriver à rendre les productions plus intensives et mieux contrôlées pour réussir la montée en échelle. Le contrôle de ces facteurs permettra de baisser les coûts de production des biomédicaments. La montée en échelle est une première problématique à résoudre : actuellement il nous faut produire beaucoup pour assurer des essais cliniques de phase avancée. En bout de chaîne, le coût de production est aussi un élément à prendre en compte dans la mesure où ce sont les systèmes de santé qui devront amortir le coût de ces opérations. Il nous faut donc produire avec plus de performances et à grande échelle pour permettre la démocratisation des biomédicaments.
Comment parvenez-vous à concilier les objectifs France 2030 avec les échanges entre chercheurs et industriels ?
D. B. : MTInov peut apporter aux start-ups existantes un support sur la production des biomédicaments qu'elles développent. L’apport de MTInov peut aussi être dans la montée en échelle en vue de l’industrialisation, notamment pour la partie relative aux essais de phase avancés. Cette stratégie contribue à étendre l’expertise locale et donne aux start-ups les moyens de poursuivre la production du biomédicament en France, ce qui répond à l’objectif de relocalisation. Dans le cadre industriel, MTInov étudie la possibilité de réaliser de la production point of care, c'est à dire produire certains biomédicaments ou certains MTI avec des procédés industriels, selon les recommandations mises en œuvre par l’industriel de manière à donner accès à ces thérapies innovantes au plus grand nombre de patients tout en diminuant les coûts de production.
E. O. : On s’en remet aussi au pilotage de l’état français qui subventionne aussi les petites et grandes entreprises pour relocaliser et développer la production sur le sol français. Une partie de ces financements est aussi destiné à la collaboration entre chercheurs et industriels pour aider l’innovation dans les entreprises françaises du biomédicament.
D. B. : Avant l’avènement du Grand défi Biomédicament, la bioproduction était délaissée, le développement des médicaments de thérapie innovante a accusé un retard considérable, ce qui a abouti à une prise de conscience juste avant la pandémie sur la nécessité de relocaliser en France leur production. Cela répond donc à un réel besoin.
Quels sont les résultats significatifs auxquels l’Intégrateur MTInov a pu parvenir jusqu’à présent ?
D. B. : Il y a eu le transfert en 3D de la culture de cellules souches mésenchymateuses (CSM) de grade clinique. Historiquement, nous travaillons sur la culture de CSM issus du cordon ombilical depuis plusieurs années : il s’agit d’ailleurs de notre « marque de fabrique ». Nous avons développé un procédé de grade clinique pour des essais de phase précoce (2A), ce qui est le premier niveau de preuve de concept. À l’UTCT, nous avons pu initier des essais cliniques, notamment dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë lié à la COVID-19 dont les conséquences peuvent être dramatiques. Nous menons également des essais cliniques pour des patients en choc septique et prévoyons de nous consacrer d’ici fin 2024, voire début 2025 à la réaction du greffon contre l’hôte, une situation très inflammatoire faisant suite à une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Ces avancées sont significatives puisqu’elles apportent la preuve de la capacité de MTInov à produire des lots cliniques en quantité suffisante pour pouvoir mener les essais cliniques et traiter les patients dans de bonnes conditions de sécurité. Pour l’étape d’après, il nous faudra développer un procédé de culture en bioréacteurs sur microporteurs qui soit conforme avec les exigences des Bonnes pratiques de Fabrication pharmaceutiques.
E. O. : Nous envisageons également de développer des procédés intensifiés GMP pour la production de cellules CAR-T.
D. B. : Nous avons pu parvenir à ces résultats en collaborant à la fois avec des industriels, mais aussi avec la recherche fondamentale et les hospitaliers qui sont au plus proche des besoins des patients. Cela nous donne des indications précieuses pour définir les priorités.
La labellisation a marqué un tournant significatif pour l’Intégrateur. Quelles en ont été les retombées ?
D. B. : Il y a eu des retombées en termes de visibilité et donc de prise de contact. Les demandes de collaboration ont sensiblement augmenté, à l'échelle nationale et internationale.
E. O. : Très rapidement, le nom MTInov est devenu une marque. Cela nous a permis d’avoir de nouvelles opportunités en termes de projets. Il y a une volonté de l'état de pousser les intégrateurs : dans les appels à projet par exemple, c’est aux intégrateurs que l’on s’adresse, peut-être plus qu’aux laboratoires. La labellisation c'est aussi la volonté de lancer de nouveaux projets pour les années futures.
D. B. : La labellisation nous a aussi permis de nous équiper avec des équipements de pointe. On a pu renouveler nos parcs d’appareils. La prochaine étape sera d’intégrer une structure commune pour une meilleure efficience et un gain de place pour diversifier les activités. Cela demande une structure juridique consensuelle qui puisse nous faciliter le travail au quotidien. L’idéal serait d’avoir des locaux dimensionnés pour accueillir les start-ups, accroître les capacités de production de médicaments de thérapie innovante de grade clinique et agrandir la partie culture cellulaire et R&D. Nous avons aussi répondu à l’AMI CMA Compétences et Métiers d’Avenir en collaboration avec l’Université de Strasbourg pour pouvoir accueillir des étudiants et faire de l’enseignement pratique en collaboration avec les industriels. Notre souhait est de regrouper au sein de MTInov les trois valences : R&D, production de grade clinique, et enseignement/formation des médicaments de thérapie innovante, à l’échelle du Grand Est.
Qu’en est-il des intégrateurs à l’échelle régionale ?
D. B. : Aujourd’hui, dans le Grand Est, la bioproduction de médicaments de thérapie innovante est principalement développée par MTInov. L’université de Strasbourg, quant à elle, candidate à l’AMI CMA en proposant un programme de formation autour des autres biomédicaments (tels que les anticorps monoclonaux, par exemple). Ces domaines de compétences sont complémentaires.
E. O. : MTInov est accompagné par Grand Nancy Innovation qui est l'organe de développement de la métropole. Sur le projet formation, nous avons aussi déposé un dossier au niveau de la métropole puisqu’il y a une vraie volonté de s'illustrer dans ces domaines de l'innovation.
[1] Les EV sont bien des biomédicaments, mais ne font pas partie des biomédicaments de thérapie innovante.