Un mois et demi avant la cérémonie des Jeux Olympiques 2024, le laboratoire Littératures, Imaginaire et Sociétés (LIS) organisait un colloque les 6 et 7 juin pour traiter des représentations des jeux olympiques intitulé « De Paris à Paris : cent (vingt-quatre) ans de représentations des Jeux Olympiques ». Ce moment permettait de faire un pas de côté pour se questionner sur cet évènement mondial qui aura survécu à tous les évènements du XXe siècle.
Yannick Hoffert et Victor-Arthur Piégay, tous deux maîtres de conférences en études culturelles au laboratoire LIS et organisateurs de l’événement, prennent le temps de nous faire un retour sur les enseignements de ce colloque.
Symbolique, politique, voire idéologique, les Jeux Olympiques ne se jouent pas uniquement sur le terrain du sport. Que nous enseigne la recherche sur la représentation des Jeux Olympiques ?
On peut envisager l’enceinte sportive comme un théâtre, un espace sous le feu de projecteurs qui mettent en lumière un affrontement physique. Sous la concentration des regards, l’affrontement compétitif prend des significations multiples. Les Jeux Olympiques ont une dimension duale : ils ont une existence concrète, strictement physique, mais ils ont aussi une existence symbolique, cette dernière se ramifiant en des directions multiples. C’est un véritable miroir de la société où la mesure de l’effort et la maitrise de la performance sont reines. C’est aussi une scène politique – les JO sont un lieu par excellence de l’exercice du sport power – et une scène morale – les JO sont accompagnés d’un serment emblématique à cet égard.
Une carrière sportive, c’est une vie en accéléré où la fin est inéluctable
Le rapport au temps est aussi un élément fort des représentations que nous offre le sport : une carrière sportive, c’est une vie en accéléré où la fin est inéluctable. L’athlète sera tôt ou tard remplacé par un autre plus jeune. C’est une métaphore potentiellement mélancolique de la vie : nous allons tous être rattrapés par le temps. Mais la logique du show sportif est plutôt de mettre en avant le triomphe permanent de la jeunesse.
Sur la question plus spécifique des représentations, on peut dire que l’imaginaire olympique trouve aussi à s’exprimer au sein d’œuvres – romanesques, cinématographiques, etc. – qui fixent des canons génériques en matière de figuration des Jeux et de leurs enjeux. Les exemples sont légion : l’épopée dans « Les Chariots de feu » où le dépassement de soi est érigé en valeur morale, les belles histoires comme celle de l’équipe jamaïcaine de bobsleigh dans « Rasta Rockett » ou encore le drame tragique lorsque le cauchemar de l’histoire rattrape les jeux olympiques de 1972 dans « Munich ».
Le colloque abordait plusieurs récits olympiques (Nadia Comaneci, Marie-José Pérec), comment ces performances sculptent-elles des récits qui forgent les légendes olympiques ?
Au-delà de la performance sportive, ces histoires olympiques revêtent déjà en elles-mêmes un caractère romanesque. Si la qualité de gymnaste de Nadia Comaneci est indéniable, c’est aussi un détail extraordinaire – la fameuse note de 10 attribuée à la jeune fille, inédite aux JO et pour laquelle les écrans des juges n’étaient pas configurés, ne pouvant afficher que 1,0 – qui reste gravé dans l’histoire et les mémoires. Et bien que l’on reconnaisse cet exploit, on ne peut l’écarter du sentiment de doute qui plane au-dessus de ceux qui ont façonné cette athlète. Cette ambivalence contient en germes les ingrédients du roman.
Pour ce qui est de Marie-José Pérec, sa fin de carrière totalement théâtrale est porteuse en elle-même d’un schéma narratif entre lumière et ombre qui donne toute latitude à la création d’un récit de type « grandeur et décadence de la championne ».
Les médias jouent un rôle important dans cette construction, ils ont besoin de ces mythes et épopées pour entretenir leurs audiences et participent donc pleinement à la construction de ces récits.
Les Jeux Olympiques modernes ont traversé le XXe siècle avec toute la symbolique qui les entoure, quel sera selon vous l’avenir des jeux dans le monde de demain ?
Les JO ne risquent pas de disparaître. Le sport fait consensus dans notre société. C’est un modèle qui reflète parfaitement les valeurs que la société veut mettre en avant comme la solidarité et la compétitivité. Les Jeux Olympiques sont consubstantiellement liés à la culture qui les a suscités et qui a favorisé leur développement. C’est aussi un évènement qui semble résister à tout : deux guerres mondiales, des conflits régionaux, les années Covid… Et les mouvements qui critiquent les Jeux Olympiques, s’ils existent et sont salutaires du fait des conséquences négatives des JO qu’il ne faut pas passer sous silence (endettement massif des villes-hôtes, impact écologique, sites olympiques abandonnés quelques années après les Jeux), sont clairement à contre-courant d’une pensée dominante qui cherche à créer le consensus autour d’un événement censément synonyme de fête et de bonheur.
Le sport : un modèle qui reflète parfaitement les valeurs que la société veut mettre en avant
Une des questions majeures pour l’avenir touche aussi à l’évolution physique des sportifs et sportives. Citius, altius, fortius : que devient et que provoque l’injonction au dépassement dans un monde où les moyens pharmaceutiques et technologiques d’augmentation de la performance sont à portée de main ?
Pour aller plus loin :
- Le laboratoire Littératures, imaginaire, société
- le Master Etudes culturelles parcours-type Culture contemporaine
En vidéo : " Les Jeux Olympiques : plus que du sport ? "