[3 questions à] Christophe Chipot, lauréat d'une bourse ERC Advanced

 
Publié le 10/10/2023

Christophe Chipot, chercheur au LPCT, Laboratoire de physique et de chimie théoriques (CNRS/Université de Lorraine) vient d’obtenir un financement ERC Advanced Grant, avec son projet MilliInMicro. Les protéines membranaires changent de conformation en une milliseconde. Ces modifications de l’arrangement spatial des atomes sont donc très difficiles à modéliser. Le chercheur lève ce verrou grâce à l’intelligence artificielle.

Factuel : Pouvez-vous nous présenter votre projet, retenu pour un financement ERC ?

Christophe Chipot : "Avec mon projet, MILLIINMICRO, je souhaite combler le fossé entre les échelles de temps biologiques et celles des simulations numériques. Pour qui s’intéresse aux protéines membranaires, qui représentent environ le tiers des protéines encodées dans notre génome, en grande partie responsables de la communication cellulaire, nous sommes aujourd’hui confrontés à un double problème. D’une part, la biologie structurale, même si elle a enregistré d’énormes avancées dans ce domaine au cours des dernières années, se heurte toujours à des difficultés techniques limitant l’observation de ces protéines, dont elle ne peut d’ailleurs fournir qu’une vue statique, alors que l’on aimerait pouvoir saisir les mouvements de grande amplitude qui accompagnent la fonction biologique. D’autre part, ces mouvements couvrent l’échelle de la milliseconde à la seconde, quand les simulations numériques à l’échelle atomique restent limitées à l’échelle de la microseconde, au prix de semaines de calcul intensif, et ne permettent donc pas leur observation.

MILLIINMICRO propose d’exploiter ces simulations numériques, qui génèrent de grandes quantités de données, pour en extraire, grâce aux algorithmes de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage profond, les variables qui gouvernent les mouvements de grande amplitude. Il nous est alors possible d’agir spécifiquement sur ces variables par des techniques d’échantillonnage préférentiel, qui permettent de naviguer à moindre coût entre des conformations distinctes adoptées par les protéines membranaires. Cette exploration sous l’œil d’un microscope computationnel1  rend possible le décryptage des mécanismes moléculaires, qui sous-tendent leurs changements de conformation, c’est-à-dire de l’arrangement spatial des atomes qui forment la protéine, et par là, leur fonction biologique naturelle, tout en ouvrant une nouvelle voie pour appréhender leur dysfonctionnement induit par des mutations ponctuelles, et, partant, les pathologies qui en découlent."

Factuel : Comment se préparer pour un financement ERC ?

Christophe Chipot : "L’ERC est une école de la résilience, où la compétition à l’échelle européenne est rude, et met à mal les candidats mal préparés. À la lumière de quatre tentatives infructueuses, dont trois qui ne m’ont même pas permis de passer le cap du step 1, la première étape de sélection qui écarte environ 80% des projets soumis, j’ai retenu plusieurs leçons.

Tout d’abord, qu’il est crucial de bien cibler le panel dans lequel on souhaite présenter sa candidature, notamment en restant proche de la communauté dans laquelle on publie traditionnellement. Cette leçon n’est pas anodine, car on peut être tenté de candidater dans un panel en apparence plus proche de la thématique de notre projet scientifique, mais représentatif d’une communauté où l’on est essentiellement inconnu. Ensuite, que les styles d’écriture des deux documents requis lors de la soumission sont très différents car ils s’adressent à des publics distincts et demandent du recul dans leur rédaction. La troisième leçon est le rôle fondamental du projet scientifique et de l’aspect novateur des idées qui y sont développées, dès lors que l’on ne peut se prévaloir d’un parcours du niveau de l’élite de la recherche européenne. En ce sens, l’ERC tient sa promesse d’une compétition juste et ouverte à tous. Toutefois, les taux de réussite objectivement modestes, et la concurrence âpre qui en résulte, invitent à la préparation psychologique de devoir remettre l'ouvrage sur le métier en cas de revers. Enfin, conscientes du retard qu’elles ont pris par rapport aux autres institutions des pays associés, les tutelles ont mis en place des cellules d’aide à la préparation aux appels de l’ERC, sollicitant souvent des cabinets privés, rompus aux projets européens. Il ne faut pas hésiter à faire appel à cette aide extérieure. Dans mon cas particulier, elle aura été le second souffle dont j’avais besoin, et un élément déterminant dans ma réussite à ce financement."

Que va vous permettre ce financement ERC ?

Christophe Chipot : "Ce financement va, d’abord et avant tout, me permettre d’entrevoir ma recherche sous un angle différent, émancipé, au moins pendant les cinq prochaines années, des contingences matérielles du chercheur, constamment à l’affût de soutiens financiers. Avec le recrutement de plusieurs jeunes chercheurs, il me donnera également la possibilité de développer en toute sérénité des idées depuis longtemps en gestation, mais n’ayant pu voir le jour, faute de moyens humains. Il va aussi permettre l’achat d’une infrastructure de calcul adaptée, répondant aux besoins du projet scientifique, tout en nous rendant moins tributaires des limitations des centres informatiques, notamment en matière de temps de restitution. Enfin, ce financement m’offre surtout une opportunité unique de rester dans la compétition internationale en donnant un éclairage cohérent sur les développements et le savoir-faire de l’équipe et de l’unité à laquelle elle appartient."

  1. Un microscope computationnel est l’expression métaphorique proposée par le milliardaire David E. Shaw pour se référer aux simulations numériques, susceptibles de révéler le fonctionnement des systèmes biomoléculaires à une résolution spatiale et temporelle souvent difficile d'accès expérimentalement.