Quel avenir pour les fibres végétales en Grand-Est ?

 
Publié le 1/09/2022 - Mis à jour le 7/09/2022

Du 3 au 9 septembre, la bioéconomie s’invite pendant une semaine à la Foire de Châlons. Pendant cet événement, aura lieu la signature du contrat de filières pour le développement durable des fibres végétales en Grand Est 2023-2027. Son objectif est de doubler la part de marché des fibres végétales dans la consommation nationale de produits à usage Textile, Matériaux, Bâtiments et Transports à horizon 10 ans !

Rencontre avec deux membres du Carnot Icéel : Cesar Segovia, docteur en sciences du bois et des fibres au Cetelor (Université de Lorraine) et Eric Masson, docteur en chimie biosourcée au Critt Bois, tous deux fortement impliqués dans le développement de la filière fibres végétales.

Comment vous positionnez-vous dans le développement de la filière fibres végétales en Grand-Est ?

Cesar Segovia : Le Centre d’essais textile lorrain (Cetelor) est un centre de transfert de technologie et laboratoire de métrologie textile, rattaché à l’Université de Lorraine. Il est dédié à la recherche et au développement de matériaux souples et composites à base de fibres naturelles ou techniques.

Acteur de l’innovation textile, de la fibre au produit fini (fil, tissu, non-tissé), Cetelor a déjà participé à différents projets régionaux et nationaux (SINFONI, LORVER, NEWFIBRE), et des projets internationaux : EcoSud et PHC Utique, chacun mettant l’accent sur des fibres naturelles et variées.

Notre équipe est regroupée en trois pôles d’activités : un laboratoire de métrologie textile accrédité COFRAC 17025, une halle technique R&D, rassemblant divers moyens de production de non tissé, tissé et de fonctionnalisation (enduction, imprégnation, contre collage…), un laboratoire de microbiologie ainsi qu’une cellule de montage de projet.

Nous avons une position privilégiée dans la région, avec une vaste expérience dans le développement des méthodes de caractérisations pour les fibres et dans la recherche des nouvelles applications pour le marché textile, composites, et dans le domaine du bâtiment. Nous sommes également pionniers dans le développement des nouvelles fibres implantées dans la région, notamment à base des fibres d’orties, encore sous-exploitées pour les applications textiles.

Eric Masson : Le Critt Bois utilise depuis de nombreuses années du bois fractionné sous forme de laine, fibres, particules, farine pour fabriquer différents produits pour les marchés du bâtiment, du transport, de l’emballage, etc. On peut citer par exemple les panneaux laine de bois-ciment, les panneaux de fibres (HDF, MDF), les isolants fibres de bois, les composites bois-plastique, les objets moulés.

Des utilisations sont aussi possibles dans les domaines de la filtration, des traitements de surface, des produits nettoyants, de la cosmétique, etc. On peut aussi évoquer les fibres de bois ou d’écorce pour le paillage, les litières, les supports de culture.

Les acteurs du campus bois d’Épinal, dont le Critt Bois, travaillent ou ont travaillé sur la plupart de ces produits dans le cadre de projets de recherche contractuelle ou de projets de recherche collaboratifs avec des entreprises de la filière en Grand-Est.

Pouvez-vous citer quelques grands défis de R&D à relever pour atteindre l’objectif fixé par la signature du contrat de filières, à savoir le doublement de la part de marché des fibres végétales dans la consommation nationale des produits à usage ?

Eric Masson : De nombreux freins scientifiques et techniques ont été levés mais, certains verrous persistent comme le caractère hygroscopique des fibres de bois qui entrainent des problèmes de stabilité dimensionnelle ou de développement de micro-organismes par exemple. Des procédés d’hydrophobation existent mais ils ne sont pas toujours assez efficaces et peuvent dénaturer les fibres. C’est un des principaux verrous à lever.

D’autres freins persistent tels que la présence de composés chimiques du bois qui perturbent les phénomènes d’adhésion fibre / matrice, qu’elle soit de type ciment, plastique ou autre. Des solutions d’inertage existent et peuvent encore être améliorées. Une meilleure connaissance du comportement de la matière et des paramètres extérieurs qui influent sur sa composition chimique est indispensable.

L’essence, l’âge du bois, la teneur en eau, les conditions de stockage, le procédé de défibrage ont une incidence sur la morphologie de la fibre de bois et sur sa composition chimique. La plupart des applications nécessitent une qualité constante de fibres. La mise au point de méthodes de contrôle qualité non destructives est aussi un enjeu important. Le remplacement des fibres de résineux par des fibres de feuillus plus courtes dans certaines applications, est aussi un défi.

Une autre problématique qui n’est pas directement liée aux fibres est l’utilisation le plus souvent de liants ou additifs pétro-sourcés toxiques pour fabriquer certains produits. Il est nécessaire de trouver des alternatives biosourcés ou à plus faibles impacts environnemental et sanitaire.

Le recyclage des déchets bois, dont les produits à base de fibres, est aussi un enjeu important pour la filière avec des problématiques de tri, de séparation des constituants et de dépollution de la matière.

En ce qui concerne la filière bois, plusieurs défis sont repris dans le Programme National de la Forêt et du Bois. On peut notamment citer les incertitudes liées au changement climatique, la nécessaire accélération de la modernisation des exploitations forestières et des scieries, le développement de nouveaux usages des espèces feuillues, une meilleure mobilisation des ressources en bois, la sécurisation de l’approvisionnement des entreprises de transformation ou encore la communication sur le rôle de la forêt et du bois au 21e siècle.

Cesar Segovia : On peut ajouter que les fibres naturelles sont une ressource très intéressante, mais souligner que leur croissance dépend du climat : une année sèche donnera des fibres plus courtes, alors qu’une année plus pluvieuse permettra à ces plantes de pousser dans de meilleures conditions, et le matériau obtenu sera plus abondant et de meilleure qualité.

Ce point a été mis en exergue par les deux étés que nous venons de passer (2021 versus 2022), qui ont eu des conditions météorologiques bien différentes. Avec le changement climatique, les récoltes pourront devenir plus incertaines, et les fibres obtenues plus hétérogènes.

Ce souci de variabilité est en conflit avec les besoins de fabrication de tous types de matériaux, qui eux doivent assurer une homogénéité entre produits.

Comment pouvez-vous accompagner les entreprises qui souhaitent innover dans le marché des fibres végétales en Grand Est ?

Cesar Segovia : Actuellement, le Cetelor possède deux lignes complètes de fabrication : la première permet de réaliser des géotextiles par voie d’aiguilletage, qui servent le plus souvent pour les cultures agricoles et les renforts de composites ; la seconde est spécialisée pour le développement des matériaux isolants, plus épais. Chaque appareil de ces lignes peut être utilisé séparément, en fonction du besoin du client.

Notre parc d’équipement à l’échelle pilote permet aux différentes entreprises de venir faire des essais au sein de notre structure avec peu de matière : en effet, la seule différence entre une ligne de fabrication industrielle et la nôtre est la taille. Là où une industrie nécessiterait deux tonnes ou plus de matière pour un test, une dizaine de kilogrammes en moyenne suffisent pour alimenter nos appareils. Ainsi, il est plus simple de réaliser une gamme d’essais pour optimiser le processus, avant de changer d’échelle.

Grâce aux différents projets et prestations réalisées au Cetelor, nous avons acquis des connaissances sur un vaste panel de fibres, locales comme exotiques. Nous pouvons donc accompagner les entreprises dans leur démarche, peu importe la fibre amenée.

En plus des tests réalisables dans la halle d’essai, notre laboratoire propose plus de 200 tests, qui vont de la fibre unitaire aux vêtements finis, avec un accent sur les vêtements techniques. Ces tests sont liés à la caractérisation de la matière, que ce soit le nombre de fil d’un tissu, sa résistance à la friction, son comportement face à des agents fongiques, etc.

Eric Masson : Comme Cetelor, nous sommes amenés à intervenir auprès des entreprises qui utilisent, transforment et valorisent les fibres naturelles sous toutes ses formes, mais nous nous concentrons sur le matériau bois.

Nos 35 années d’expertise, nos compétences et nos moyens matériels nous permettent de répondre aux besoins des entreprises en matière d’essais, d’études, de conseil-expertise, de recherche & développement & innovation, et de formation.

Dans le cadre de nos activités, nous pouvons nous appuyer sur une plateforme technologique mutualisée avec l’ENSTIB (École nationale supérieure des technologies et industries du bois) et le LERMAB (Laboratoire d’études et de recherche sur le matériau Bois, également membre du Carnot Icéel) sur le Campus Bois d’Epinal. Cette plateforme, qui va de la préparation de la matière à la caractérisation de produits en passant par la transformation de la matière comprend de nombreux équipements : broyeurs, séchoirs, table de tri densimétrique, extracteurs, réacteur chimique, bioréacteurs, pilotes de traitement thermique, pilote d’explosion à la vapeur, presse, chromatographie en phase liquide ou gazeuse couplées à la spectrométrie de masse, microscope électronique à balayage, microscope confocale, spectromètres proche infrarouge ou de fluorescence X, machines d’essais mécaniques, enceinte climatique etc.

 

Des mains tiennent un amas de fibres de bois
Une photo d'une ortie en gros plan est montrée à l'écran