Esprit critique / Désinformation... Trois questions à Elena Pasquinelli

 
Publié le 5/11/2021 - Mis à jour le 24/05/2023

Lorsqu’une information nous est présentée, nous posons nous spontanément les bonnes questions ? De qui nous vient ce message ? S’agit-il d’une source fiable ? La personne est-elle vraiment compétente concernant le sujet sur lequel elle se prononce ? Elena Pasquinelli travaille pour la Fondation La main à la pâte, qui propose des activités pédagogiques en lien avec l'esprit critique. Elle revient dans factuel sur la nécessité d'aiguiser notre esprit à l'analyse critique ...



En quoi l'enseignement de la méthode scientifique est-il important dans le développement de l'esprit critique chez les élèves et leurs professeurs ?

Souvent, l’esprit critique est considéré comme un synonyme de « droit au doute » ou de méfiance envers toute affirmation qui ne viendrait pas de nous. Or, si être vigilant face aux nombreuses informations qui nous arrivent de toutes parts est nécessaire, et probablement instinctif, cette attitude ne peut pas être considérée comme la seule composante de l’esprit critique. En effet, nous sommes constamment amenés à prendre des informations de l’extérieur et à décider si c’est le cas de faire confiance à notre source et si nous pouvons considérer le contenu de l’information comme étant plus ou moins crédible, plus ou moins fondé. Nous faisons cela même sans nous en apercevoir, et très souvent nous donnons la priorité à des informations ou à des opinions qui confortent nos idées – justement parce qu’elles nous sont familières et nous permettent de ne pas nous remettre en cause – ou à des informations qui déclenchent un certain type de réaction émotionnelle, ou qui nous paraissent convaincantes sur la base d’indices de bas niveau. Ce en quoi l’enseignement de la méthode scientifique peut aider est à faire confiance à nos interlocuteurs et aux contenus d’information que nous rencontrons de façon plus avisée et raisonnable, notamment lorsque nous sommes aux prises avec des contenus de nature scientifique ou factuelle.

La science est une entreprise qui puise ses racines dans notre propre fonctionnement cognitif : nous sommes naturellement enquêteurs, nous cherchons spontanément des explications pour ce que nous observons ; ce que l’on appelle « la méthode scientifique » est  une boîte à outils que nous avons constitué au cours de notre histoire pour dépasser les limites de ces observations et explications et nous offrir une description du monde naturel plus objective, plus puissante et plus prédictive de ce que nous pouvons obtenir par nos seuls « moyens du bord ».

L’accumulation des connaissances a amené à de nouvelles questions que seulement de nouvelles méthodes d’investigation et de nouveaux instruments pouvaient adresser. Ces méthodes ont fait petit à petit leurs preuves et ont été sélectionnées en vertu de leur pouvoir de nous obtenir des connaissances plus vastes mais aussi plus sûres.

Comment exploiter ces avancées des méthodes de la science pour notre vie de citoyens ? Je vois au moins deux utilités. La première consiste à introduire dans nos observations et dans notre raisonnement des corrections, des échafaudages, qui s’inspirent directement des outils de la science : par exemple, nous sommes souvent tentés de généraliser à partir d’un nombre restreint et biaisé d’observations ou d’anecdotes ; or, la réalité est parfois bien plus compliquée ; la science nous apprend à baser nos jugements sur un nombre bien plus grand d’observations obtenues en mettant en place des stratégies coûteuses (en temps, en termes de mise en place). Quand nous ne pouvons pas mettre en place ces stratégies par nous-mêmes, nous pouvons au moins évaluer correctement la différence de « poids » entre nos observations personnelles ou anecdotiques, limités, biaisées, et les observations menées avec des moyens plus puissants et rigoureux. Comprendre ces moyens et ce qu’ils apportent en termes de fiabilité des résultats des observations nous aide ainsi à nous sortir de nos impressions pour faire confiance à des informations ou connaissances qui le méritent. C’est justement celle-ci la définition d’esprit critique qui me semble être la plus utile : l’esprit critique consiste à savoir évaluer correctement et finement la qualité des informations en notre possession afin de placer notre confiance de façon éclairée.

Dans quelle mesure la diffusion de la CSTI est-elle une nécessité aujourd'hui ?

Un exemple d’actualité de la nécessité d’éduquer largement – précocement et pendant toute la vie – à la culture scientifique et technique est représenté par l’attitude que l’on peut avoir envers certains vaccins. Il est évident que le poids de observations ou anecdotes personnelles est minime lorsqu’il s’agit de comprendre les effets d’un vaccin sur la population. C’est pour cette raison que la recherche scientifique met en place un ensemble extrêmement sévère de moyens d’observation qui portent sur des dizaines puis sur des centaines, des milliers (et enfin ils deviennent des millions) d’individus afin de collecter, de la manière la plus précise et moins biaisée possible, des retours d’efficacité et de sécurité.

Le citoyen a le droit, et le devoir je dirais, d’apprendre à connaître et à reconnaître quand ces moyens sont à l’œuvre. Au moins, il devrait connaître les grandes lignes de différentes formes de production scientifique des connaissances, pour pouvoir décider de placer sa confiance de façon raisonnée et raisonnable et pour pouvoir plus sûrement s’informer et se faire une opinion sur une nouvelle avancée.

Quel est le contenu de votre intervention au Colloque Science & You ?

Nous parlerons justement de comment développer l’esprit critique en lien avec l’acquisition d’une culture scientifique. Quand nous parlons de culture scientifique nous nous référons suivent à de connaissances - relatives aux avancées de la science et à la compréhension que celles-ci nous donnent du monde naturel - mais il faut inclure dans cela aussi les méthodes de la science. Nous soulignerons cependant que l’acquisition d’une culture scientifique ne suffit pas à nourrir et soutenir notre esprit critique. Pour cela, il faut que certains enseignements de science soient mis explicitement en lien avec l’esprit critique et donc avec l’évaluation de la fiabilité des informations, de la distinction entre opinion et connaissance et de la calibration de la confiance par rapport à ces informations, opinions, connaissances. Comment faire cela ? Ce sera justement celui-ci l’objet de mon intervention !