BPIFRANCE est un opérateur public, dont la mission est d’accompagner les entreprises. Lors de sa création par la loi du 31 décembre 2012, le rôle qui lui était confié était d’être la banque publique d’investissement française. Mais BPIFRANCE a progressivement élargi ses activités, pour devenir un acteur central du développement des entreprises. BPIFRANCE assure désormais trois autres missions complémentaires : l’accompagnement des entrepreneurs au travers d’accélérateurs dédiés, l’investissement, avec la possibilité de prendre des participations minoritaires lors de levées de fonds, et le rôle d’opérateur de l’État pour les dispositifs de financement des projets innovants.
C’est à ce dernier rôle que se consacre Audrey Abadie, responsable sectorielle Industrie & Numérique : elle est chargée, pour BPIFRANCE, d’expertiser les dossiers de financement des projets innovants.
1) Industrie du futur, industrie 4.0, usine du futur... : autant d’appellations pour une réalité proche. Avez-vous une préférence ?
Sincèrement, il me semble que l’appellation a, en réalité, peu d’importance, étant entendu qu’en effet, la réalité dont il s’agit reste la même : comment favoriser la compétitivité des entreprises françaises, afin de leur donner les cartes nécessaires pour affronter la concurrence internationale. Dès lors, l’industrie du futur, si nous adoptons cette dénomination, c’est pour moi avant tout un outil, ou un ensemble d’outils, destiné à permettre à l’entreprise de fabriquer un produit qui se différencie sur le marché.
Aujourd’hui, les entreprises sont confrontées à une situation complexe, marquée par une attente croissante, de la part des consommateurs, d’une approche durable, mais aussi de la possibilité de personnaliser leurs achats, dans des contraintes de coût. Et puis la crise sanitaire a fait remonter au premier plan l’intérêt pour le « fabriquer local », ce qui constitue encore une autre contrainte.
C’est cette réalité-là qui m’intéresse et que je recherche lorsque j’expertise un dossier de financement. Si le projet présente les caractéristiques nécessaires pour améliorer la compétitivité de l’entreprise qui le porte, peu importe la sémantique !
2) Vous avez évoqué les contraintes nouvelles qui s’imposent aux entreprises ; on pense également à la crise sanitaire. Comment percevez-vous la situation de l’industrie en France ?
Il y a un certain nombre de constats qui s’imposent, et qui sont autant d’évidences. Ainsi, l’industrie française doit absolument être redynamisée. La crise sanitaire a également mis en lumière la fragilité d’un certain nombre d’entreprises industrielles, notamment dans la façon dont elles ont, pour certaines, organisé leur supply chain.
Je tiens d’ailleurs à préciser que ce constat n’est pas une nouveauté : beaucoup de spécialistes avaient déjà en tête le fait que la situation de l’approvisionnement de certaines industries était problématique. Et j’ai en tête plusieurs PMI qui, déjà conscientes de ces enjeux, avaient mis en place un système de double sourcing, qui leur a permis de ne pas être confrontée à des ruptures de matières premières. Mais, clairement, la pandémie a été un révélateur de l’importance de ce sujet, jusque et y compris pour que nos industries essentielles puissent conserver leur souveraineté.
Plus généralement, pour élargir cette notion liée à la supply chain, cette crise est un rappel que, dans toute entreprise, le choix d’une organisation donnée est un enjeu majeur, et que cela nécessite d’avoir une stratégie adaptée. Structurer un process de fabrication, c’est effectuer des choix, et chacun de ces choix participe à limiter, ou à accroître, l’impact potentiel d’une crise. Cela s’applique d’ailleurs directement à un autre sujet : on voit actuellement que les entreprises mono-secteur sont plus fragiles que les entreprises qui ont des clients dans différents secteurs d’activité (on peut, par exemple, penser actuellement aux sous-traitants de la filière aéronautique, touchés de plein fouet lorsque leurs seuls clients sont tous des avionneurs).
3) Quelles sont alors pour vous les principales caractéristiques de l’industrie du futur ?
Donner une définition de l’industrie du futur est un exercice compliqué, parce qu’il s’agit, pour moi, d’une démarche qui intègre de nombreux aspects différents. Naturellement, ce qui est le plus évident, le plus visible, ce sont les aspects technologiques, mais ils ne constituent qu’un élément parmi d’autres. En effet, penser qu’il suffirait de mettre les bons capteurs aux bons endroits, ou d’intégrer dans la ligne de production un robot ne peut pas être suffisant. Le principe même d’industrie du futur intègre l’ensemble des changements organisationnels, managériaux, comportementaux qui accompagnent nécessairement l’introduction de nouvelles technologies.
L’industrie du futur, de mon point de vue, c’est donc en réalité l’ensemble de la démarche d’adaptation aux contraintes et aux nouveaux outils, qui permet que l’appareil de production, dans son ensemble, puisse répondre aux nouvelles demandes.
Et, si j’en reviens à l’idée de compétitivité, cela peut prendre deux formes : soit il faut améliorer le rendement, pour produire à un coût moindre, soit il faut fabriquer des produits dans la valeur ajoutée est améliorée. Mais, naturellement, il ne suffit pas de le décréter pour que cela s’opère par miracle : c’est là où j’entre dans la boucle – moi, et d’autres, naturellement ! Les projets innovants sont ceux dans lesquels il y a un ou des verrous technologiques à lever. Mais rien ne permet jamais de savoir à l’avance si le projet aboutira, il y a donc une notion de risque, inhérente à l’innovation. Le rôle de BPIFRANCE comme opérateur, pour le compte de l’État, des dispositifs de financement de l’innovation consiste à contribuer à « dérisquer » ces opérations pour les entreprises !
4) Ce risque, il paraît évident, en ce moment. Est-ce le bon moment, pour les entrepreneurs ?
Une crise comme celle que nous traversons est évidemment un moment extrêmement compliqué, je ne vais pas le nier. L’incertitude est énorme. Pourtant, il me semble important de garder à l’esprit que cela peut également être un moment d’opportunité.
Prenons simplement en considération certains éléments du contexte que j’évoquais précédemment. Jamais, durant ces cinquante dernières années, il n’y a eu une volonté aussi marquée de relocaliser en France certaines activités. Il y a même, chez les consommateurs, une véritable attente en la matière, à la fois sous l’angle du « produire local », et de la préoccupation croissante vis-à-vis des enjeux environnementaux. Avec le plan de relance, il faut également le dire : le soutien financier de l’État est absolument massif, il se situe à un niveau jamais atteint… et qui ne se représentera probablement pas de sitôt.
Tous ces éléments doivent permettre d’accompagner la prise de conscience, par les chefs d’entreprise, de la nécessité d’évoluer. Cette « agilité », cette capacité d’adaptation, elle doit irriguer l’ensemble des organisations. Et, de ce point de vue, la démarche « industrie du futur » est un vecteur qui doit permettre de saisir ces opportunités !
5) Avez-vous un exemple d’entreprise accompagnée qui a réussi cette « transformation » ?
Oui ! Je pense par exemple à une entreprise familiale, dans le domaine de l’aéronautique, que j’évoquais précédemment. En 2010, il y avait deux salariés, au moment où le fils a repris. Ce dernier a mis en place une série de nouveaux outils, il a automatisé. Dans les schémas classiques, on associe souvent automatisation à « moins de salariés ». Mais, dans le cas en question, en réalité, le nouveau dirigeant a investi pour développer son propre système de suivi du process de production à base d’objets connectés. Et, aujourd’hui, non seulement sur l’activité historique de la société, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui sont employées, mais ils sont même en train de créer une filiale pour commercialiser la solution à base d’IoT.
On le voit, cette capacité d’adaptation aux nouvelles conditions du marché, aux technologies émergentes, permet à cette entreprise de franchir un cap et de connaître une croissance tout à fait remarquable !
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