Jean-Pierre Thomesse récompensé pour « la contribution d’une vie au développement de l’automatique industrielle »

 
Publié le 19/09/2014 - Mis à jour le 1/03/2018
Jean-Pierre Thomesse

Sans le système FIP (Flux d’informations vers le processus), il n’y aurait pas de Synchrotron : « FIP était le seul système au monde qui présentait les caractéristiques de gestion du temps nécessaires au contrôle du LHC (Large Hadron Collider) du CERN » explique Jean-Pierre Thomesse, ancien professeur et  ancien DRRT de Lorraine. Entre autres applications, FIP équipe également les TGV de la société Alstom.

Le 18 septembre 2014, Jean-Pierre Thomesse a reçu le prix ABB - IES / IEEE 2014 Contribution to factory automation. Ce prix est remis avec la mention :

In grateful recognition of  the lifetime contribution to the factory and industrial automation  field; for meritorious technical contribution and technical leadership.

Le jury a souligné « l’extraordinaire contribution » de Jean-Pierre Thomesse à la conception du système FIP et le « leadership » qu’il y a consacré.

C’étaient les débuts de l’informatique

L’aventure commence en 1970. Après une maîtrise en informatique à Nancy, Jean-Pierre Thomesse consacre son DEA (Diplôme d’études approfondies) aux systèmes d’exploitation et plus particulièrement aux protocoles de communication naissants. Il rejoint ensuite le laboratoire d’automatique de l’Ecole nationale supérieure d’électricité et de mécanique (ENSEM). Premier informaticien dans ce laboratoire et dans l’école, il y trouve « un côté ludique à commander un processus physique grâce à l’informatique ».

En 1980, Jean-Pierre Thomesse soutient sa thèse d’Etat, il a 33 ans. Dans son travail, il pose les bases d’un système d’exploitation distribué pour la commande de processus industriels, mais aussi des méthodes pour construire de tels processus. « C’était prémonitoire : on n’avait pas encore la technologie pour construire ce genre de système ! »

Un break comme chargé de mission au ministère de l’industrie

Tout en continuant d’enseigner à Nancy, le jeune chercheur saisit l’opportunité offerte par un appel d’offre du ministère de l’industrie. En 1979, un plan national vise à intégrer de l’électronique dans les produits de tous les jours : il est recruté comme chargé de mission au ministère de l’industrie afin de promouvoir cette idée. « Il ne s’agissait parfois que de développer des affichages numériques, mais on a mis du traitement de l’information dans de nombreux dispositifs, aujourd’hui on parlerait des objets connectés » s’amuse Jean-Pierre Thomesse. « Avant de devenir professeur, cette expérience m’a donné une sacrée ouverture d’esprit, en particulier sur le monde économique et sur la nécessité du transfert des résultats de la recherche vers l’industrie».

Concrétiser ce que j’avais pensé dans ma thèse d’Etat

En 1982, le nouveau ministère de la recherche et de l’industrie mise sur le développement de plusieurs filières dont l’instrumentalisation intelligente pour relancer l’économie et l’innovation. C’est l’époque des smart sensors : des capteurs présentés comme « intelligents » grâce à l’intégration d’algorithmes de traitement à même de calculer et présenter des grandeurs non mesurables, à partir des grandeurs réellement mesurées par les capteurs. Jean-Pierre Thomesse est chargé de créer un groupe de travail national dont l’objectif est de concevoir un nouveau système pour  l’instrumentation.La commande stipulait de construire le « CPM de l’instrumentation » : « pour les plus jeunes CPM est l’ancêtre de MSDOS, lui-même ancêtre de Windows » . Les approches anglosaxonnes cherchaient à mettre en réseau les capteurs et les composants conçus par les industriels. Jean-Pierre Thomesse adopte une orientation « système » : concevoir l’ensemble avec les utilisateurs potentiels avant de décomposer les fonctionnalités attendues et de solliciter des fabricants. « Ce groupe de travail national, commandité par le ministère de la recherche et de l’industrie, était là pour concrétiser ce que j’avais pensé dans ma thèse d’Etat ! »

C’est ainsi que naît le projet FIP (flux d’informations de et vers le processus) autour de 1985. Un livre blanc, un premier circuit intégré, une expérimentation dans une centrale électrique puis  la naissance d’une association aboutissent au dépôt des premières normes. Durant 10 ans, Jean-Pierre Thomesse assure la direction du club FIP. Sous sa houlette, dans un centre de compétences à Nancy, une dizaine d’ingénieurs développent des outils pour les membres de l’association. Parallèlement, une demi-douzaine de groupes de travail techniques fait progresser les travaux. Au début des années 1990, le club FIP s’internationalise et ouvre des antennes aux Etats-Unis, en Italie, en Angleterre et en Chine. FIP devenu WorldFIP est présent dans les instances de normalisation internationale et est devenu une des normes internationales du domaine. L’association est dissoute en 2004, mais un club d’utilisateurs existe toujours.

Où elle est ta recherche ?

A partir de 1995, après avoir quitté la direction de WorldFIP, Jean-Pierre Thomesse poursuit ses travaux dans le domaine de la télésanté. Une startup (revendue depuis) voit le jour en 2002 autour de la dialyse à domicile. A partir de 2005, en tant que vice-président à la valorisation de la recherche de l’Institut national polytechnique de Lorraine (INPL) il monte Cérès, le projet mutualisé des quatre universités de Lorraine pour la valorisation de la recherche universitaire. A partir de 2007, au travers de ses fonctions de Délégué régional à la recherche et à la technologie, il contribue au montage de plusieurs grands projets fondateurs de l’Université de Lorraine. Jean-Pierre Thomesse prend sa retraite en 2014.

De par ses engagements à l’interface du monde universitaire et de celui de l’industrie, Jean-Pierre Thomesse a dû faire face à des réticences. Il se souvient s’être souvent fait « remonter les bretelles » par son directeur de laboratoire : « où elle est ta recherche ? » Même son intérêt pour la normalisation n’est pas toujours compris par ses collègues, dans un monde universitaire plus coutumier des brevets. Pourtant, « pour exister, un protocole, ça doit être copié et utilisé partout » explique-t-il, conscient qu’une norme peut protéger elle aussi : « on normalise le résultat, sans délivrer ses secrets de fabrication ».

Avec une trentaine d’articles scientifiques, Jean-Pierre Thomesse ne répond peut-être que timidement aux canons actuels de la réussite académique. Mais il peut se targuer d’avoir effectué une cinquantaine de conférences-invité dans de grands colloques internationaux, dont une trentaine à l’étranger. Enfin, il n’a jamais cessé d’enseigner auprès des élèves ingénieurs de Nancy, a encadré environ 35 thèses et participé à environ 120 jury, le plus souvent en qualité de rapporteur ou de président. Jean-Pierre Thomesse observe avec malice : « j’étais l’un des rares universitaires français à intervenir dans les organisations de normalisation alors que côté allemand, le monde académique était aussi représenté que le monde industriel. J’ai pu le constater comme observateur français au DKE dans le cadre des accords franco-allemands sur la normalisation conjointe ».