[Dossier Sport] La médiation des sports pendant la crise sanitaire : 3 questions à Jean-François Diana

 
Publié le 11/06/2020 - Mis à jour le 3/05/2023

Factuel Le Mag "Sport, cité, université" met l’accent sur les valeurs sportives, l’occasion pour nous de parler de la recherche autour du sport. Factuel a rencontré Jean-François Diana, maître de conférences au Centre de Recherche sur les Médiations (CREM) expert sur l’analyse des discours et des dispositifs journalistiques dans le sport qui nous parle de médiations sportives pendant la crise sanitaire.

Factuel : "Comment les médias ont-ils communiqué autour des reports et annulation des événements sportifs à cause de la crise sanitaire ?"

Jean-François Diana : "Plus qu’un phénomène social total, comme on a coutume de le qualifier, le sport est avant tout un reflet équivoque du réel, à ceci près, que celui-ci est poussé à l’extrême (« plus vite, plus haut, plus fort ». On y retrouve des manifestations exacerbées de tout ce qui peut traverser l’ensemble des secteurs de la société.La résonance des médias de masse, la puissance d’expansion des réseaux sociaux et la diffusion horizontale de l’information ont participé à produire un tableau semi-opaque de la situation. Dès le 13 mars, la Une de L'Équipe questionnait : On arrête tout ? Plus tard, d’autres titres forts comme : Des Jeux en suspens (23 mars), puis Nos héros (26 mars).Malgré tout, dans leur ensemble, les journaux ont été surpris par cette pandémie qui a mis à genoux la société et a créé une cacophonie.Les médias ont composé pour raconter le sport d’une autre façon et introduit des termes comme annulation, report, huis-clos, résiliation, etc. Au final, les médias ont d’une part, répercuté la communication désordonnée du gouvernement en trois étapes (relativiser la réalité, la considérer et intervenir) et d’autre part, confirmé la perception qu’on se fait du sport en France, qui, à l’instar de la culture, a été qualifié d’activité non prioritaire, de l’aveu même de la ministre, Roxana Maracineanu.

Sans agenda clair, les pouvoirs médiatiques et politiques ont été pris de court pour envisager des solutions et des répertoires d’action pour répondre clairement à la situation. Or, la politique est avant tout l’art de prendre la décision la plus équilibrée. Ce qui n’a pas été toujours le cas.
L’importance de l’image de sport est aussi à prendre en compte. Dépossédé de représentations médiatiques, le sport est privé de sa réalité. Or, il a besoin d’être incarné, célébré et raconté pour être partagé dans l’espace public. Cela met en évidence le fait que le phénomène sportif existe en priorité au travers des récits. Sans visibilité, Il y a peu de matière à discuter des événements sportifs, et le pacte avec le public se délite progressivement.
 

Factuel : "Est-ce que la crise sanitaire va entrainer la création de nouveaux espaces de médiation des sports ?"

Jean-François Diana : "Il faut certainement oublier pour un temps, les stades, les gradins et le spectacle sportif In præsentia en conditions normales et habituelles : « Match à huis-clos », semble être l’expression adéquate. Sans contact physique, seules les disciplines technologiques et individuelles s’adaptent aux nouvelles contraintes de la situation.
Le sport est en tension entre une donnée brute et un spectacle. C’est une hyperréalité qui renvoie surtout à un univers dans lequel la différence entre réel et non-réel n’a plus de sens et où la dissemblance même entre l’être et le paraître tend à s’abolir, enfin, lorsque l’image est de l’ordre de la simulation et exagère les stéréotypes.
En partant du constat, invraisemblable jusqu’alors, qui prive le public de sport professionnel pendant deux mois voire plus. La crise sanitaire aura ainsi discerné l’image dominante du sport de la pratique hygiéniste d’entretien.  Elle aura même renversé ce rapport : « Il sera possible, les beaux jours aidant, de pratiquer une activité sportive individuelle en plein air […] en respectant les règles de distanciation sociale. », a déclaré, le 28 mars le Premier ministre : regain pour le footing, le yoga, la musculation, etc. Comme les jeux de guerre se sont développés suite aux événements du Golfe en 1990, les gens ont aussi investi d’autres secteurs comme le e.sport et les jeux vidéo, fondés sur l’émotion et la gestion du mental sans négliger la fatigue physique que leur pratique génère. Leur intérêt est d’être parfaitement adapté aux mesures de confinement de la population. Ce qui a été compris par de puissantes fédérations internationales (NBA, NLF, etc.) qui ont organisé des tournois de basket, de tennis et de football. Au-delà du simple divertissement, les dispositifs de simulations et les applications ont constitué des programmes d’entraînement pour les sportifs professionnels (pilotes de course, cyclistes, etc.)."
 

Factuel : En quoi les médias numériques pourraient être ce nouvel espace ?

Jean-François Diana : "Les médias traditionnels spécialisés ont pour la plupart interrompus toute programmation sportive. Certains en ont profité pour exploiter leurs propres fonds d’archives. En revanche, les réseaux sociaux se sont placés encore plus au centre du dispositif médiatique en introduisant d’autres régimes de visibilité et de conversation. Quand l’usage en est rationnel, l’intérêt des réseaux sociaux est d’échapper à des circuits de contrôle et de faire valoir une certaine liberté d’expression. Avec optimiste, nous pourrions avancer l'hypothèse que les réseaux sociaux permettent au public de se réapproprier le fait sportif. A l’opposé, l’inconvénient des réseaux sociaux est de placer à un même niveau fait et opinion alors qu’il faudrait distinguer ces deux notions. Ce sont de redoutables machines à discréditer des adversaires potentiels, réels ou imaginaires. Les théories du complot et fake-news se nourrissent de cette confusion. La construction de l'information, sa diffusion et son appropriation par l’opinion publique sont autant de terrains d’étude investis par des collègues du Centre de Recherche sur les médiations (CREM) et en particulier par PRAXIMEDIA , équipe nouvellement constituée à laquelle je suis rattaché . Au fond, on se rend compte que l’opinion publique est moins orpheline du sport que de ses représentations médiatiques. Une réflexion reste à mener sur le fait que la pandémie a révélé des contradictions nécessaires entre l’accessoire et le nécessaire…les deux étant essentiels à la beauté de la vie. 
 
 
Jean-François Diana est membre du jury du Prix Explore L’Équipe mettant en compétition les travaux de réalisation des grandes écoles de journalisme sur le thème du sport.
 

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