[Chaire IA] Rencontre avec Steve Kremer

 
Publié le 18/02/2020

En décembre 2019, 40 projets français parmi 173 ont été lauréats des « Chaires de recherche et d’enseignement en intelligence artificielle », appel à projets lancé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Deux projets sont lorrains. Zoom sur Steve Kremer, directeur de recherche Inria au Loria*, un des coordinateurs de projet retenu.

Sur quelle thématique de recherche porte votre Chaire IA ?

Steve Kremer : "Les protocoles cryptographiques sont un élément essentiel pour sécuriser les communications en ligne. En s'appuyant sur des primitives cryptographiques, telles que le chiffrement et la signature numérique, ces protocoles garantissent des propriétés de sécurité telles que la confidentialité et l'authenticité. Ces propriétés sont les objectifs élémentaires de TLS, le protocole cryptographique le plus largement déployé, qui sous-tend toutes les connexions « https » sur Internet. De nombreuses applications modernes peuvent également avoir besoin de garantir des propriétés liées à la vie privée des utilisateurs, par exemple l'anonymat et la non-traçabilité des utilisateurs.
 
L'histoire a cependant montré que les protocoles cryptographiques sont sujets aux erreurs et des attaquants ont su exploiter de nombreuses failles de conception. La difficulté de concevoir correctement ces protocoles vient d'une asymétrie inhérente : alors que le concepteur doit penser à toutes les attaques possibles, un attaquant n'a besoin de trouver qu'une seule faiblesse. Il est difficile pour un humain d'explorer tous les cas possibles dans une preuve de sécurité : on considère un attaquant ayant le contrôle du réseau, capable d'intercepter, de modifier et d'insérer des messages.
 
Le but du projet est la conception d'algorithmes et d'outils efficaces, basés sur des techniques de raisonnement automatique, pour vérifier l'absence de failles dans ces protocoles cryptographiques. Le raisonnement automatique est le sous-domaine de l'IA visant la conception d'algorithmes permettant aux ordinateurs de raisonner. Ces techniques sous-tendent presque tous les outils modernes de vérification. Les outils d'analyse actuels ont cependant du mal à passer à l'échelle, ou nécessitent de (trop) simplifier les modèles, lorsqu'ils sont appliqués à des protocoles cryptographiques réellement déployés. Notre objectif est de surmonter ces limitations : nous concevrons de nouveaux algorithmes dédiés, intégrerons ces algorithmes dans les outils de vérification et utiliserons les outils résultants pour l'analyse de sécurité de ces protocoles. Les outils auront une efficacité accrue, une meilleure automatisation et une portée plus large."
 

Quelles applications seront possibles concrètement ?

Steve Kremer : "Concrètement nous visons le développement d'outils de vérification automatiques et leur application à des protocoles déployés. Nos développements seront guidés et validés sur des protocoles telles que les protocoles de vote électronique, les protocoles pour les appareils mobiles du futur standard 5G et les protocoles pour les applications de messagerie instantanée. Des preuves de sécurité à l'aide de tels outils de vérification deviennent de plus en plus importantes. Par exemple, en Suisse la loi exige une preuve des protocoles de vote électronique pour pouvoir être déployés. Les comités de standardisation de protocoles cryptographiques font aussi de plus en plus recours à ces méthodes ; il est en effet impératif de vérifier la sécurité de ces protocoles au moment de la conception et avant de les déployer. Nous devons donc faire évoluer les techniques et outils pour répondre à ces besoins."
 

Que signifie pour vous d'obtenir cette Chaire et que va-t-elle vous permettre ?

Steve Kremer : "Il s'agit évidemment d'une belle reconnaissance de nos travaux, et plus largement de ce domaine de recherche.  Cette reconnaissance je la partage aussi avec Vincent Cheval et Lucca Hirschi, également chercheurs Inria au Loria, qui participent à ce projet. De façon très pratique le financement du projet permet de mener nos recherches dans de bonnes conditions, permettant de nous consacrer à nos recherches sans avoir besoin de chercher des nouveaux financements dès que l'on souhaite embaucher un étudiant en thèse, un ingénieur, un post-doc ou collaborer avec des chercheurs étrangers. Le financement de ces jeunes chercheurs et ingénieurs permettra évidemment aussi à les former à ces nouvelles techniques."
 
* Loria : le laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications, est une Unité Mixte de Recherche commune au CNRS, Inria et à l'Université de Lorraine.
 
 
RV la semaine prochaine avec un zoom sur le projet de Claire Gardent, seconde lauréate lorraine des Chaires en IA.