[Retour sur] La tournée de M-O-M (Thomas Laigle) et Myotis (Anthony Laguerre)

 
Publié le 4/12/2019 - Mis à jour le 5/12/2019
concert

3 concerts en 3 jours et  dans 3 lieux :  l'Université de Lorraine a proposé à Thomas Laigle et Anthony Laguerre de faire une tournée sur les sites de l’université du 18 au 21 novembre 2019. Les étudiants de Longwy, de Nancy et d’Epinal ont donc pu découvrir ce double concert immersif à l’espace Jean Ferrat de Longlaville, à la Maison de l’Étudiant d’Artem et à la Souris verte d’Epinal. Pour aller plus loin encore dans la découverte de ces deux univers, Factuel a posé quelques questions aux deux artistes à l'issue des 3 concerts.

 

Vos dispositifs de jeu ont le point commun de faire entendre à l'auditeur des sons que l'on n'entend pas sans forte amplification. Pouvez-vous décrire chacun vos dispositifs ? Comment vous est venue l'idée d'aller mettre des micros à ces endroits ou de travailler ces "petits sons" ?

Thomas Laigle : m-O-m est un dispositif scénique qui porte les lumières en premier plan, visuellement et surtout d'un point de vue sonore. De par mon bagage d'éclairagiste de spectacle, il m'est apparu presque naturel d'inverser le paradigme synchrone habituel selon lequel la lumière est asservie au son.

Mon point de départ naît de recherches entre les résonances visuelles de sources lumineuses usuelles (ampoules tortillon, lampadaire, néon) par rapport à un espace donné. Puis est venue l'idée de les transcender en leur conférant une âme sonique, faire entendre ces ondes électromagnétiques inaccessibles à notre l'oreille.

Comment ces objets qui jalonnent notre quotidien peuvent soudainement se révéler à nous-mêmes, un rapport d'échelles au pouvoir magique. Détachées de leur fonction d'éclairage, elles deviennent les véritables protagonistes d'un orchestre. Un concert de lumières !

Grâce à l'utilisation de capteurs électromagnétiques rigoureusement placés sur mes sources lumineuses, chacune de mes lampes en s'allumant/s'éteignant produit un signal électromagnétique audio que je sculpte via des pédales d'effets analogiques (filtres, disto, delay...). C'est un principe quasi similaire au fonctionnement d'une guitare électrique.

De fait, je compose en déclenchant mes lampes qui produiront ensuite (à la vitesse de la lumière !) des sons.

Anthony Laguerre : La question de ce que l’on n'entend pas, de ce que nous ne voulons pas entendre et donc de ce qui a priori dérange est un axe de travail qui relie mon activité de recherche sonore (mais pas que) à plusieurs endroits. Le travail autour du microscope sonore (quiest l’essence même d'un système d’amplification) m’intéresse beaucoup depuis longtemps à la fois pour ce qu’il est et également pour ce qu’il permet. Aller chercher des sons qui dérangent pour mieux les écouter.

Aujourd’hui, la norme sonore enlève, coupe, enferme, encadre, compresse et vide de toute substance personnelle les sons et donc la musique afin de la stériliser pour qu’elle ne dérange pas. Qu'elle ne pose pas de question. Ce travail est le moyen pour moi de créer un pont entre mon instrument de musique (la batterie) et la recherche d’amplification des sons de cet instrument qui apriori dérangent pour en faire de la musique. C’est donc de ce principe que je suis parti pour réaliser ce solo. La Forme n’en étant qu’une conséquence. Je n’en suis d'ailleurs qu’au tout début.

« Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le. »  John Cage (1912-1992)

 

Les circonstances ont fait que vous avez pu jouer en duo lors de cette tournée des sites universitaires, quelles sont les sensations procurées par cette improvisation ? 

TL : La situation d'improvisation avec Anthony est venue.... à l'improviste ! N'ayant eu que très peu de spectateurs sur une date, nous avons décidé à la dernière minute de jouer ensemble, plutôt que de jouer nos sets respectifs. Ça a tout de suite fait sens avec nos dispositifs placés au centre du public, au contact le plus intime de l'écoute. Je suis enchanté de ce duo qui a momentanément déplacé mon rapport à mes sources lumineuses. Les sonorités organiques et chaleureuses d'Anthony complétaient parfaitement mon univers électrique. Avec également des endroits de fusion où nos sons ne faisaient plus qu'un. Nos "instruments" détournés, nous permettaient une certaine polyvalence pour produire chacun notre tour rythmiques ou nappes. Reste ensuite le jeu d'une écoute mutuelle, laisser de la place à l'autre tout en le stimulant, composante essentielle à toute improvisation. Belle énergie !

AL : Il y a d’abord la sensation lorsque l’on joue, au moment où on le fait. Aucune question en terme de durée ou de ce que l’on fait ensemble ne s’est posée pour moi. Le moment a été vécu d’un bloc. C’était super.

Ensuite il y a la sensation de partager un endroit commun de recherche qui a vu le jour et nous avons pu discuter autour de cela.

Mon médium étant la batterie et celui de Thomas la lumière nous avons constaté avoir réalisé 2 chemins de pensés qui aboutissent à des résultats différents en partant du même principe de base... L’échange sur nos parcours de création a été très intéressant et nous a redonné du grain à moudre !

La réaction du public présent a été plutôt enthousiaste à l'écoute de vos propositions et ce, sur des formes qualifiées souvent d’expérimentales ! Quel rapport entretenez-vous avec le public qui vient à vos concerts ? Le souhait est de le suspendre, l'emmener dans une expérience, le confronter à de l’inouï,  … ?

TL : Mon installation-concert se confronte à des publics très différents de par sa nature hybride. Ainsi, jouer dans une galerie d'art, une chapelle, un festival en plein air ou dans une salle de concert n'aura pas la même résonance tant d'un point de vue de l'espace que de celui du public.

L'écoute (sonore et visuelle) se placera à un endroit différent, certains préféreront être dans une contemplation figée alors que d'autres seront dans un rapport sonore et physique. Un bon révélateur de cela est la distance variable qui me sépare du public. Parfois les gens ont besoin de se serrer autour de moi pour faire masse, mais ils arrivent qu'ils se placent au loin comme effrayés par le pouvoir de l'électricité.

Et c'est justement ce qui m'intéresse: comment le même dispositif peut être déplacer par son rapport au lieu qui l'habite et les gens qui l'accueillent. Je pense d'ailleurs que cela peut s'appliquer a beaucoup de choses de nos vies.

AL : Je n’ai pas la prétention ni la volonté de confronter le public à quelque chose qu’il n’a pas entendu. J’essaie en premier lieu de désacraliser le moment (effectivement souvent vu comme inaccessible) afin que les gens se sentent à l’aise et puisse donc être en situation d’écoute. Se sentir libre. Je pense que la musique passe entre le public et moi lorsque l’écoute est tendue. Lorsque les moments de presque silence résonnent aussi fort que lors du remplissage sonore de la pièce. Ça, nous le faisons ensemble le public et moi. J’essaie de tendre un arc très lentement où la flèche part à la fin du concert et que le public peut regarder.

Que retenez-vous de cette semaine passée à l'université ?

TL : De belles énergies, de belles rencontres, des lieux aux sensibilités diverses qui ouvrent leurs portes, des moyens mis en œuvre pour aller à la rencontre des étudiants.

AL : Cela aura été une semaine très belle en terme de rencontre tant au niveau de l’équipe en tournée que des personnes présentent sur place aux concerts. Les différents types de lieux dans lesquels nous avons joué nous ont amené à remettre en question notre espace de jeux à chaque date et donc de jouer le moment présent d’une manière différente. D’être là pour et avec les gens qui sont venu nous voir, nous écouter. C’était donc une remise en question quotidienne !

 

 

myotis
m-o-m
m-o-m
Myotis
m-o-m et Myotis en duo