Symbiose sous influence

 
Publié le 30/05/2014 - Mis à jour le 16/06/2014
symbiose arbre/champignon

Des chercheurs de l’Inra de Nancy et de l’Université de Lorraine ont décrypté une partie du dialogue moléculaire impliqué dans la symbiose entre champignons et arbres. Lors de cette interaction mutualiste, le champignon prend le contrôle de sa plante-hôte en lui injectant une petite protéine qui neutralise ses défenses immunitaires. Cette avancée permet de mieux comprendre l’évolution et le fonctionnement d’une symbiose dont le rôle écologique est considérable dans les écosystèmes forestiers. Ces résultats sont publiés dans l'édition avancée en ligne des PNAS du 19 mai 2014.

Dans le monde complexe de la rhizosphère – la zone d’influence de la racine – des milliers d’espèces de bactéries et de champignons évoluent et entrent en compétition pour les ressources libérées par la plante. Les mycorhizes sont des associations symbiotiques contractées par les racines des végétaux avec certains champignons du sol, comme les cèpes, les chanterelles ou les truffes. Elles favorisent l'absorption par les racines des éléments minéraux de la rhizosphère et du sol et améliorent ainsi la nutrition de la plupart des espèces végétales. Les champignons mycorhiziens se frayent un chemin vers la racine afin d’entrer en contact avec leur partenaire et de s’établir dans cette niche confortable où gîte et couvert sont fournis. Comment le champignon symbiotique reconnaît-il son partenaire végétal ? Comment la plante-hôte distingue-t-elle le champignon bénéfique du champignon parasite ? Comment le champignon évite-t-il les défenses immunitaires de la plante ? Tout est question de dialogue biochimique.

Contrôler les défenses immunitaires pour rendre la symbiose possible

Grâce à une collaboration entre une équipe mixte de l’Inra de Nancy et de l’Université de Lorraine, avec le Département américain de l’Energie et l’Université de Western Sydney, une partie du vocabulaire moléculaire employé par les partenaires de la symbiose mycorhizienne a été décryptée.

Les racines de la plante aptes à contracter la symbiose libèrent dans le milieu qui les entoure des quantités infinitésimales de molécules « signales ». Ces molécules sont perçues par les filaments mycéliens du champignon Laccaria bicolor, sur lequel a porté l’étude. La perception de ce signal chimique déclenche la libération par le champignon de petites protéines dans les racines qu’il colonise. Ces signaux moléculaires sont des composés bioactifs, regroupés sous le terme générique d’effecteurs. La cible d’une de ces protéines effectrices induites par la mycorhization, dénommée MiSSP7, vient d’être identifiée par les chercheurs de l’Inra. Il s’agit du récepteur d’une hormone végétale, l’acide jasmonique, qui déclenche les réactions de défense lors de l’attaque par un microbe parasite ou un insecte.

Cette hormone de défense s’accumule rapidement lors d’une invasion par un organisme étranger et se lie à son récepteur, ce qui provoque la dégradation de ce dernier. Cette dégradation de la protéine réceptrice – un « interrupteur » moléculaire – déclenche immédiatement une batterie de réactions de défense destinées à neutraliser l’envahisseur. La protéine effectrice de Laccaria bicolor, MiSSP7, se lie au récepteur de l’acide jasmonique et empêche l’interaction récepteur-hormone. Le récepteur est ainsi stabilisé et les réactions de défense qu’aurait dû induire la présence massive du champignon dans la racine sont neutralisées. Le champignon symbiotique contrôle ainsi la réponse immunitaire de la plante colonisée. Il peut alors s’établir et développer un commerce équitable avec la plante  « sous influence » qui l’héberge.

Des recherches sont en cours afin d’identifier les autres cibles végétales des multiples protéines effectrices libérées par Laccaria. Avec le séquençage des génomes des champignons symbiotiques (1, 2), ces travaux de biologie moléculaire améliorent nos connaissances sur une symbiose dont le rôle écologique est considérable dans les écosystèmes forestiers.

Référence :
Jonathan M. Plett, Yohann Daguerre, Sebastian Wittulsky, Alice Vayssieres, Aurelie Deveau, Sarah J. Melton, Annegret Kohler, Jennifer Morrell-Falvey, Annick Brun, Claire Veneault-Fourrey, Francis Martin. The Effector MiSSP7 of the Mutualistic Fungus Laccaria bicolor Stabilizes the Populus JAZ6 Protein and Represses JA-responsive Genes. PNAS – online Early Edition 19 mai 2014