Le LEMTA organise une opération scientifique, intitulée « Transport en milieux complexes » dont les travaux s’inscrivent dans ceux du groupe « Énergie et Transferts », dirigé par D. Lacroix, et fort de 21 chercheurs et enseignants chercheurs. L’objet de cette opération scientifique est d’étudier les propriétés de transport des matériaux, c’est-à-dire des grandeurs telles que la conductivité thermique, la conductivité électrique ou tout autre propriété de transfert dans les micro et nano-structures. La suite de cet article discute les recherches sur la détermination et le contrôle de la conductivité thermique de matériaux innovants.
Comprendre comment la chaleur est transférée dans les matériaux à partir d’approches microscopiques permet, entre autres, d’optimiser leurs utilisations ou même leur trouver de nouveaux usages. Les applications potentielles sont nombreuses, dans le domaine de la transition énergétique notamment, ou encore de la gestion de l’énergie. L’intérêt des matériaux nano-structurés ou micro-structurés, par rapport aux matériaux massifs, repose sur la grande diversité des méthodes d’optimisations disponibles expérimentalement et théoriquement, et donc sur la facilité à en améliorer les propriétés.
Un travail multi-échelles
Comprendre les transferts d’énergie dans les matériaux nanostructurés implique d’étudier ces mêmes transferts à plusieurs échelles. Cette démarche multi-échelles permet de mieux saisir les mécanismes physiques importants que ce soit au niveau de l’atome ou au niveau de l’objet nanoscopique tout entier. Ces approches se complètent et permettent de saisir les propriétés de transfert thermique dans toute leur complexité, à travers les différentes échelles mises en œuvre.
Pour prédire et mesurer les propriétés de transport thermique dans un matériau, on utilise classiquement la loi de Fourier. Celle-ci est valide aux échelles macroscopiques, typiquement de l’ordre du millimètre/micron. Cependant pour des dimensions inférieures, apparaissant dans les matériaux nanostructurés, elle n’est pas toujours applicable et les approches atomistiques deviennent pertinentes.
Si la dimension du système est de l’ordre du nanomètre ou de la dizaine de nanomètres, il contient plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’atomes, et les techniques dérivées de la physique newtonienne, comme la dynamique moléculaire (DM), sont applicables. On peut alors calculer des propriétés de transport comme la conductivité thermique de nano-objets ou les résistances thermiques d’interface à partir des trajectoires des atomes. La DM est populaire pour caractériser différents types de matériaux et leurs interactions avec des molécules (solide/fluides à l’échelle nano) dans la limite de modèles théoriques régissant les interactions entre atomes.
Aux échelles inférieures, celles des électrons, les effets quantiques se manifestent, et les lois de la physique classique ne sont plus applicables. C’est à cette échelle que les liaisons chimiques se forment. Ainsi, lorsque l’on décide d’étudier un matériau à cette échelle, nous calculons tous les processus microscopiques/électroniques engendrant des transferts d’énergies. Cela signifie qu’il est possible d’obtenir par le calcul la conductivité des matériaux. C’est un des intérêts de cette méthode : il est possible d’estimer par le calcul la conductivité thermique avant même de la mesurer expérimentalement. Depuis quelques années ces calculs dits « ab initio » sont devenus très précis. Suffisamment précis pour obtenir les lois de comportement des matériaux, utilisables par les modélisations aux échelles supérieures. On voit ici clairement le caractère multi-échelles de ces études.
Les méso-systèmes sont des objets dont les caractéristiques se situent entre l’échelle atomique et l’échelle macroscopique. Typiquement entre 100nm et 100µm, selon la nature du matériau. C’est à cette échelle que les mécanismes de nanostructuration permettant l’optimisation des propriétés de matériaux opèrent. On peut aborder la description des mécanismes de transport à partir de lois de comportement effectives, permettant d’oublier la représentation atomique des systèmes. C’est une simplification calculatoire importante, qui permet de s’intéresser à des systèmes compliqués, beaucoup plus proches de la réalité expérimentale. Pour calculer les transferts d’énergie à ces échelles, on s’intéresse aux mécanismes de diffusion des porteurs d’énergie (phonons) à travers la résolution de l’équation de Boltzmann. Cette dernière méthode se nourrit notamment des données issues des calculs « ab initio », effectués à l’échelle atomique, et décrite précédemment. Elle permet, entre autres, de prendre en compte les spécificités des matériaux à très petite échelles telles que : les défauts, le dopage, les joins de grains, ... présents dans les matériaux réels.
C’est grâce à l’ensemble de ces modélisations et à la simulation numérique que l’on peut prédire et évaluer les transferts de chaleurs dans les matériaux nano et micro-structurés et que l’on peut également proposer de nouvelles géométries susceptibles de contrôler les propriétés de transport en vue d’applications spécifiques. A titre d’exemple, on peut citer les progrès importants de ces dernières années dans l’élaboration de nouveaux matériaux thermoélectriques plus performants en jouant sur la réduction de leur conductivité thermique.
L’importance de la modélisation et de l’expérimentation
Modéliser le comportement des transferts de chaleur dans les nano-objets et ainsi optimiser leur fonctionnement voire, développer de nouvelles capacités est un enjeu scientifique de premier plan en science des matériaux. Le LEMTA s’intéresse à ces questions depuis plusieurs années et mène des actions concertées en ce sens à travers plusieurs projets de recherches d’ampleur nationale et internationale. En outre, le volet expérimental, pendant logique de la simulation, fait partie des priorités scientifiques du laboratoire depuis plusieurs années avec le développement de différentes métrologies adaptées à la caractérisation thermique de nano-objets. Des techniques telles que la microscopie thermique à sonde locale, la thermo-réflectance pompe-sonde ultra-rapide, l’imagerie Raman ou encore la métrologie photo-acoustique sont autant d’outils expérimentaux adaptés à la grande variété des matériaux et nano-systèmes étudiés. C’est la mise en œuvre de cette démarche conjointe qui permet de valider, étape par étape, la pertinence des modélisations et outils de simulations que nous développons.
Enfin, on ne peut occulter la démarche écologique dans cette recherche. En effet, comprendre les transferts de chaleur permet d’optimiser la consommation énergétique des matériaux. A l’heure où la maitrise de l’énergie est un enjeu écologique et sociétal crucial, cela doit être une priorité.
C’est là également tout le travail de Laurent Chaput, lauréat de l’IUF au mois de mai, qui s’intéresse à ces questions en combinant les calculs atomiques et l’intelligence artificielle.