Le 27 mai 2019, l’Université de Lorraine participait au 87ème Congrès de l’Acfas, en organisant une table-ronde sur l’engagement du chercheur dans la diffusion de la culture scientifique. Retour sur une matinée d’échanges entre chercheurs et praticiens de la médiation des sciences.
Dans le contexte actuel de surinformation, de prolifération des fake news, et de défiance envers la science, quelle est la place du chercheur dans la transmission des savoirs ? Quels sont les leviers d’engagement qui les motivent à se lancer dans la médiation ? Ce Rendez-vous de Science & You avait pour objectifs de répondre à ces questions, et de réfléchir à quelques pistes pour développer l’engagement des chercheurs dans la diffusion de la culture scientifique.
Le temps et la reconnaissance ne sont pas des facteurs déterminants pour l’engagement du chercheur en vulgarisation
Lionel Maillot de l’Université de Bourgogne a analysé 20 enquêtes, réalisées dans 8 pays entre 1967 et 2014, dans le cadre de sa thèse « La vulgarisation scientifique et les doctorants : mesure de l'engagement, exploration d'effets sur le chercheur ». Cette étude dégage 5 catégories de facteurs liées à l’engagement du chercheur :
- l’attitude : l’opinion qu’a le chercheur sur la vulgarisation et ses effets,
- les normes subjectives : ce que pensent les autres (collègues, entourage, société),
- la croyance du chercheur en sa capacité de faire,
- le contexte (sollicitations et contraintes),
- l’individu (âge, sexe, grade, etc.).
Il en ressort que la reconnaissance et le temps ne sont pas des facteurs déterminants : qu’on vulgarise ou non, la perception de la reconnaissance envers la vulgarisation est la même, et les chercheurs qui s’engagent dans des actions de vulgarisation ont autant de temps que ceux qui n’en font pas.
Dans sa conférence introductive, Lionel Maillot a mis en avant 10 constats liés à l’engagement du chercheur dans la vulgarisation :
1. Le comportement passé influence l’engagement dans la vulgarisation : plus un chercheur participe à des actions de médiation, plus il aura envie d’en faire,
2. Plusieurs enquêtes mentionnent des obstacles parce qu’elles postulent le désir général de vulgariser,
3. La culture de laboratoire et le management influencent l’engagement mais toutes les sollicitations ne sont pas (encore ?) efficaces : les incitations financières à vulgariser dans les subventions de recherche ne fonctionnent a priori pas,
4. Le plaisir de vulgariser influence l’engagement : ce facteur est le plus déterminant, le plaisir de vulgariser allant au-delà des obstacles (comme le manque de temps et de reconnaissance),
5. La croyance en sa capacité de vulgariser influence l’engagement d’un chercheur,
6. La « production scientifique » et le grade prédisent l’engagement,
7. Le portrait-robot du vulgarisateur n’est pas encore dressé,
8. Les chimistes vulgarisent moins, la complexité de la recherche joue peu, mais son potentiel médiatique influence,
9. L’avis des collègues et la reconnaissance n’influencent pas l’engagement en dépit de quelques déclarations véhémentes,
10. La « qualité » des actions de vulgarisation joue un rôle mais n’est pas explicitement prise en compte dans les études.
La matinée s’est poursuivie par une table-ronde entre chercheurs et praticiens, croisant les points de vue et les expériences de vulgarisation scientifique. Autour de la table étaient réunis Violaine Appel et Nicolas Beck (Université de Lorraine), Alain Lavigne (Université Laval), Lionel Maillot (Université de Bourgogne), Sophie Malavoy (Université du Québec à Montréal), et Normand Mousseau (UdeM - Université de Montréal).
En début de table-ronde, Sophie Malavoy a cité le dernier ouvrage de Gérald Bronner en postulant que l’un des grands défis de notre époque est de défendre la rationalité dans le débat public. Dans ce sens, le rôle du scientifique est non seulement de diffuser les savoirs et le contenu scientifique, mais aussi la démarche scientifique, les valeurs de la science, et la recherche en train de se faire. L’engagement du chercheur dans les actions de médiation est donc indispensable. Partant de ce postulat, comment favoriser cet engagement ?
Les intervenants étaient d’accord sur le fait que la condition première pour un engagement (réussi) du chercheur est le plaisir : les institutions devraient encourager les chercheurs qui ont envie de vulgariser. Mais comment ? Le temps de se former est très important : aller acquérir des compétences telles que trouver les bonnes analogies, les bons chiffres, mettre en contexte, formuler son message en fonction de publics différents…
La volonté de dialoguer avec le public est également très importante : écouter les perspectives des citoyens, leurs questionnements, tout comme faire des compromis. Le chercheur doit également s’adapter en médiation, accepter de ne pas tout dire, de ne pas tout transmettre au public. Chacun a ses propres centres d’intérêt et retirera ce qu’il veut de la rencontre avec le chercheur. Pire, une tentative de la part du chercheur de faire passer en force ses connaissances pourrait avoir l’effet inverse : le public risque de ne plus accorder son intérêt, voire sa confiance, à l’interlocuteur en face de lui, et d’aller chercher l’information ailleurs, potentiellement une information qui le conforte dans ses croyances – le fameux biais de confirmation.
Afin d’établir une relation de confiance avec son public, le chercheur doit savoir provoquer un climat de sympathie, ne pas apparaitre distant et froid. Ce qui fait la qualité d’une bonne communication, selon Sophie Malavoy, c’est l’humanité, l’émotion, qui crée vraiment le contact et favorise la réceptivité du public : par exemple, en utilisant des anecdotes, des faits personnels, humains, etc.
Pourquoi faire de la culture scientifique ? Comment favoriser la participation des chercheurs dans les actions de médiation ?
Il y a encore quelques dizaines d’années, les objectifs principaux des actions de médiation scientifique étaient de recruter des étudiants ou d’accroitre les connaissances scientifiques du public. Depuis, ces objectifs politiques ont évolué, mais entrent encore souvent en dissonance avec ceux des professionnels de la médiation, par manque de pratique sur le terrain ou de connaissances sur le sujet : objectif de communication (souvent institutionnelle), de diffusion (au sens de promotion de résultats de recherche), là où les médiateurs et les chercheurs engagés en médiation le font dans un objectif de partage, de discussion, et de donner de l’intérêt au public quant aux questions de culture générale en sciences.
Quant aux avantages de la vulgarisation sur le chercheur, ceux-ci sont multiples : apprendre à parler de sa recherche à des gens profanes ou issus d’autre domaines permet de prendre du recul sur sa recherche. Les actions de médiation réalisées peuvent aussi avoir un effet inattendu, en apportant un réconfort dans les phases d’isolement du chercheur, et en le remotivant.
Comment alors augmenter le vivier de chercheurs experts capables de s’adresser au grand public ? La solution passe toujours par la formation à communiquer : s’exprimer clairement, par analogies, démonstrations et anecdotes, en remettant le sujet scientifique dans son contexte, apprendre l’art de raconter ou storytelling… S’exprimer de manière honnête est tout aussi important : ne pas se présenter comme le détenteur de tous les savoirs, reconnaître ses limites. Présenter la science sur un piédestal peut provoquer son rejet, selon Lionel Maillot.
Les formats de médiation sont tellement variés que tout le monde peut y trouver son compte. Si l’on ne se sent pas l’âme d’un showman, on peut préférer un média écrit comme The Conversation, par exemple. Se forcer à investir des formats dans lesquels on ne se sent pas à l’aise peut être contre-productif. Il faut également surmonter sa peur de mal faire ou de ne pas être légitime : Normand Mousseau affirme que l’on n’a pas besoin d’être un expert et de tout savoir sur un sujet pour s’exprimer, car la vaste majorité des connaissances du chercheur ne seront de toute façon pas utilisées lors de la rencontre avec le public. Pour exemple, Normand Mousseau cite le cas d’un collègue chercheur déclinant une invitation à s’exprimer au sujet du graphène dans une émission de radio grand public, persuadé de ne pas en avoir la légitimité, car il n’avait rédigé « que » trois publications sur le sujet !
De manière générale, l’association chercheur / médiateur permet de faciliter l’engagement du chercheur, en plus de développer la qualité du contenu en l’adaptant au public. Les intervenants ont également souligné l’importance d’aller à la rencontre du public là où il est : les balades scientifiques du Cœur des Sciences à Montréal ou leurs interventions de chercheurs aux arrêts de métro, L’Expérimentarium de l’Université de Bourgogne qui fait se rencontrer chercheurs et public au marché ou à la ferme, Escales des Sciences et Sciences en Lumières à l’Université de Lorraine, qui proposent des événements culturels et scientifiques dans les territoires éloignés des villes…
Tout au long de la journée, le plaisir, la passion, et l’émotion, ont été mis en lumière comme étant les éléments les plus déterminants favorisant la participation des chercheurs à des actions de vulgarisation. Si ces qualités semblent à première vue innées, elles peuvent être acquises ou renforcées par des formations à la médiation comme par exemple le storytelling. Selon Sophie Malavoy, le chercheur doit comprendre l’impact de la communication : le grand public va accorder le plus de crédibilité à celui qui communique le mieux. La capacité de dialoguer, de créer un bon contact, et de capter la réceptivité du public, est aussi importante que le contenu scientifique.