L’espace Bernard-Marie Koltès s’appuie sur un groupe d’experts qui a pour mission d’être à l’écoute des tendances du monde (sociétale, politique, économique …) et d’enrichir la réflexion de la directrice artistique, Lee Fou Messica, pour provoquer le dialogue et le débat d’idées. Philippe Lefait, célèbre pour son émission Des Mots de Minuit, diffusée sur France 2 de 1999 à 2013, fait partie de ce groupe d’experts. Il nous livre sa vision du lieu et évoque ses projets artistiques.
Pourquoi avoir choisi de soutenir le projet de l’espace BMK ? Comment décrivez-vous votre rôle ?
Je réfléchis en ce moment à la notion d'éditorial alors que le "mainstream", notamment culturel, limite l'offre à quelques milliers d'affiches déclinées partout et que parallèlement il y a surabondance d'offres plus exigentes et de "produits" mis à notre disposition par la technologie. Ce qui ne signifie évidemment pas qu'ils soient pour autant accessibles (La culture, pour qui ? Où ? Comment ? Presque une aporie !)
Cela dit, je serai mort depuis trois siècles quand j'aurai épuisé les contenus culturels des plateformes numériques des grandes chaînes françaises. Et je suis abonné à Netflix… Trois siècles de plus !
La sérendipité n'ayant pas réponse à tout, pour chacun se pose aujourd'hui la question paradoxale du choix. Ayant accès à tout, notamment et aussi aux suggestions amicales de ses réseaux sociaux, comment peut-il encore décider de ce qui est à lire, à écouter, à voir? C'est ici que l'éditorial, au sens de faire un choix, et la fonction critique reprennent tout leur sens.
De ce point de vue L'espace BMK comme le magazine " Des mots de minuit" me semblent avoir la même exigence. Pas le tout accessible mais l'accessible pour tous. Toujours une mise à portée !
L’espace BMK se veut être un hub citoyen, un espace de discussion et d’échanges, comment voyez-vous ce projet se concrétiser, en tant qu’expert BMK ?
L'un de ses paris est sans doute l'ouverture d'un lieu de l'université sur la ville.
Plus généralement et pour filer la métaphore, parlons de "colloque singulier", de cette relation de confiance qui s'établit entre un médecin et son patient. Elle n'est pas exempte de débat mais elle permet d'avancer et de se repérer. On peut imaginer que la relation entre un public et son théâtre, entre un lecteur et cet éditorialiste-là ou ce critique-là s'imagine de la même manière.
Vous avez présenté une lecture de Et tu danses Lou en mars dernier, pouvez-vous nous en dire plus sur cette écriture à 4 mains avec votre compagne, Pom Bessot ?
Cette manière de faire a d'abord une origine temporelle. Une mère écrit un journal des premiers jours avec sa fille. Dix-sept ans plus tard, un père relit ce texte et y insère son vécu de la singularité de Lou. Dans cette juxtaposition de temporalités, et d'abord pour Lou, une histoire familiale qu'elle ne peut pas oraliser. Pour les parents c'est une occasion de mettre en mots, donc de poser, une aventure banalement humaine, aussi ensoleillée que nuageuse et d'en faire un récit de vie à partager.
Le sujet du handicap est-il difficile à appréhender pour le public ? Faut-il casser les représentations que nous en avons ?
Bien sûr la peur de l'Autre différent ! Il me semble difficile d'avoir une représentation d'un handicap qui nous est ontologiquement extérieur. Les "aidants" peuvent certes mieux le percevoir ou l'accompagner. En fait, j'ai toujours préféré parler de singularité. S'il est dit que chacun est singulier, qu'il soit bête ou méchant, rouge ou bleu, comme ça ou autrement, une représentation du vivre ensemble devient possible. Ce qui, bien sûr, n'est pas exclusif des combats à mener contre telle ou telle idéologie, contre telle ou telle connerie. Ni du regard différent que peuvent et doivent organiser les lois d'une société solidaire.