Réduire les doses de médicaments pour le bien-être du patient
Historiquement, les laboratoires pharmaceutiques s’intéressent aux médicaments à large spectre pour soigner l’ensemble de la population et s’attardent peu sur les sous-groupes de patients qui pourraient réagir différemment à certains médicaments et nécessiter un dosage plus spécifique. En effet, les médecins savent que les caractéristiques génétiques des patients influent sur l’effet que peuvent avoir certains médicaments, et que certains cas exigent un dosage précis afin que le rapport bénéfice / toxicité soit plus approprié. On parle alors de médecine de précision.
Adrien Coulet et ses collaborateurs se sont particulièrement intéressés aux médicaments qui interagissent avec la famille des enzymes P450.
Ces dernières jouent un rôle important dans l’élimination des médicaments, et comme leurs activités varient beaucoup en fonction de la génétique des patients, ils causent de réponses très variables d’un patient à l’autre. En plus de la génétique, la réponse à ces médicaments est également soumise à des facteurs tels que l’environnement, le régime alimentaire, ou la prise d’autres médicaments.
Traditionnellement, les médecins prescrivent les bonnes doses de ces médicaments en suivant des protocoles cliniques : il débute un traitement avec une dose de départ, précisée par le protocole, puis évaluent chaque jour l’effet du médicament chez le patient afin d’ajuster la dose en fonction d’un éventuel effet indésirable.
Le nouvel algorithme développé pourrait aider à prévoir et à prévenir les effets indésirables en réduisant le temps nécessaire pour définir la dose optimale. Ceci est d’autant plus intéressant que leseffets indésirables seraient responsables d’environ 280 000 hospitalisations chaque année aux Etats-Unis. L’algorithme de nos chercheurs fonctionne particulièrement bien avec des médicaments utilisées en cancérologie, avec les immunodépresseurs utilisés après une greffe par exemple, ou encore avec les anticoagulants pour lesquels le temps pour atteindre la dose optimale peut-être long, tant la variabilité de réactions des patients est grande.
L’intelligence artificielle (IA) au coeur du dossier de santé électronique
L’équipe de chercheurs a réussi, à partir des données électroniques des patients de l’hôpital universitaire de Stanford, à prédire que certains nécessitaient une dose plus faible que la dose standard de médicament, avant même que celui-ci ne soit prescrit. Pour analyser les données dans l’historique du patient, la démarche scientifique utilisée est une méthode très connue et couramment utilisée en intelligence artificielle : la méthode Random Forest, ou forêt d’arbres aléatoires. Cet algorithme combine les concepts de sous-espaces aléatoires. L’algorithme des forêts d’arbres décisionnels effectue un apprentissage en construisantde multiples arbres de décision entraînés sur des sous-ensembles de données légèrement différents.
Ce qui est plus particulier dans leur démarche est la préparation et la sélection des données pour alimenter le modèle d’IA.
Le résultat prouve qu’il est possible de suggérer une dose plus faible, avant même que le médicament ne soit prescrit, offrant ainsi aux médecins une aide précieuse à la prescription.
Le résultat de leurs travaux de recherche illustre le rôle que l’apprentissage automatique peut jouer dans le dosage initialdes médicaments associés à une réponse variable et illustre que le système de santé peut gagner dans cecas à être informatisé.
À Stanford, les patients ont des dossiers électroniques depuis de nombreuses années. Ces données sont anonymisées puis entreposées pour des fins de recherche. En France, le dossier médical partagé gagne chaque jour du terrain. L’Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP), avec qui Adrien travaille depuis 3 ans dans le cadre notamment de son ANR PractiKPharma, a mis en place dès son ouverture, en 2001, un système informatique pour que les dossiers des patients soient électroniques. L’accès aux données pour des fins de recherche peut alors être considéré par les comités d’éthique.
Au CHRU de Nancy, partenaire de longue date de l’équipe, les dossiers sont également électroniques et le développement d’un entrepôt de données dédié à la réutilisation en recherche de ces données est en cours de développement.
Aux Etats-Unis et en France, ce sont les IRB (Institutional Review Board), ou comités d’éthique locaux, qui donnent une autorisation ponctuelle sur l’exploitation ou non de ces données à vocation de recherche, sachant également que chaque patient donne également son accord en amont. La suite des travaux de recherche serait de pouvoir adapter l’algorithme developpé sur les données américaines aux dossiers électroniques d’hôpitaux français.
Un résultat de recherche multi-partenarial
Ce résultat résulte d’un partenariat entre l’équipe Orpailleur, commune à Inria et au Loria (CNRS, Inria et Université de Lorraine) et l’Université Stanford, dans le cadre de l’équipe-associée Snowball financée par Inria depuis cinqans. L’équipe de recherche de Stanford est celle de Nigam H. Shah qui est spécialiste de l’analyse prédictive appliquées à des données médicales. Le CHRU Nancy a participé au travail notamment avec le ProfesseurNicolas Jay, qui est à la fois chef du service d’évaluation et d’information médicales du CHRU et membre du laboratoire Loria. Ayant enchainé une délégation CNRS puis Inria, Adrien a également pu compter sur le soutien de l’Université de Lorraine avec son programme Widen Horizon (LUE) qui soutient les séjours de recherche à l’étranger. Adrien Coulet peut ainsi poursuivre son séjour à Stanford et y préparer un nouveau projet : préparation son Habilitation à Diriger des Recherches.