[Retour sur] Prix littéraire Frontières : rencontre avec Philippe Fusaro

 
Publié le 2/12/2021 - Mis à jour le 12/05/2023

Mercredi 17 novembre, les étudiants de L3 Humanités ont pu accueillir l’écrivain Philippe Fusaro dans le cadre d’une rencontre animée par Carole Bisenius-Penin, co-responsable du prix littéraire Frontières – Léonora Miano. Ce deuxième événement du cycle de rencontre « Écrire les frontières » a permis un échange dynamique au sujet de l’œuvre de cet auteur qui se repait des frontières plus ou moins floues. 

D’un bout à l’autre de la chaîne du livre

Philippe Fusaro est écrivain, mais aussi libraire indépendant (L’Oiseau siffleur) à Valences. Il participe à la production, comme à la diffusion de la littérature contemporaine. Mais comment concilier ces deux métiers, chronophages, deux versants très différents d’une même pièce ? Il avoue lui-même que c’est parfois compliqué. La librairie est un lieu animé par les rencontres avec des écrivains, face auxquels il parle en tant que professionnel du livre. Il a vécu ce métier de libraire comme une libération : alors qu’avant il ne pouvait pas s’offrir tous les livres qu’il voulait, il se retrouve désormais entouré de livres à longueur de temps. Cette profession lui permet d’alimenter son écriture par la vie certes, mais aussi par la multiplicité des lectures offertes par la librairie. 
Tout le monde le sait ou le présuppose, l’obsession de l’écrivain est de se dégager du temps pour écrire. Mais pour autant, Philippe Fusaro ne pourrait pas se résoudre à choisir entre le métier de libraire ou d’écrivain ! Il aime trop être libraire… La vie qu’il mène en ce moment est selon lui l’idéal : écrire tôt le matin dans l’espace qu’il loue à côté de sa librairie, puis vendre des livres et discuter avec les lecteurs, c’est-à-dire se nourrir de littérature. Il dit avoir mis 20 ans pour comprendre qu’il était beaucoup productif dans cette situation. 
Il souligne que dans l’endurance de l’écriture romanesque, il faut rechercher les moments d’hyper-concentration où l’on parvient à être transporté dans « le film que l’on se crée » : il faut les conditions nécessaires à cet état, et la musique y contribue beaucoup pour lui. 
 

Des frontières littéraires et artistiques poreuses

Cet autour se joue des genres littéraires, il révèle que son projet en cours est une véritable autobiographie, un retour aux origines. Le souci de la forme est toujours primordial dans tous les projets littéraires menés. Le jeu sur les frontières textuelles, de la nouvelle au récit en passant par la biographie romancée (comme Colosse d'argile, Folio, 2006) ne cessent d’entrecroiser les lignes. Comme La Cucina d’Ines (La fosse aux Ours, 2017), qui entremêle récit, souvenirs de Lecce, dessins de la célèbre illustratrice genevoise Albertine et recettes de cuisine du Sud de l’Italie évoquant la « nonna ». 
De la même façon, l’univers de la bibliothèque constitue également un lieu propice à l’imaginaire, comme en atteste un autre texte (Le pas de l’autre), répondant à une commande de l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques) qui cherche à répondre, à travers une conversation fictive avec un poète vosgien (Gilbert Vautrin), à cette question : une bibliothèque pour faire quoi ?
Il aime aussi déplacer les frontières textuelles vers d’autres formes artistiques. Ainsi à chaque écriture d’un roman, il s’accompagne d’une bande-son. L’écrivain opère un véritable tressage entre la musique et l’écriture, teinté d’une littérature très internationale : le nouvelliste américain Raymond Carver et ses textes qui lui font croire qu’écrire est facile, l’écrivain italien Italo Calvino et son roman Si par une nuit d’hiver un voyageur à l’architecture si particulière, l’auteur autrichien Thomas Bernhard, si fort dans la voix et la rage, et sa grande invention dans la langue. 
 

Le lieu comme ancrage pour écrire un texte

Philippe Fusaro est né à Forbach : la frontière est immédiate et traversée régulièrement pour aller de l’autre côté, à Sarrebruck. Il a aussi expérimenté la frontière comme étudiant à Strasbourg, à l’École supérieure des arts décoratifs, puis librairie. Mais celle qu’il ne cesse de creuser est bien celle avec l’Italie, un mythe dans sa famille. Traversée par son père à vingt ans pour trouver un travail, elle représente sans nostalgie pour lui un mur qui retient là-bas les souvenirs et la vie d’avant. 
Son œuvre prend ancrage sur une forte dimension spatiale. Pour écrire, Philippe Fusaro a besoin d’un lieu mythique, chargé d’histoire et de littérature. Par exemple, pour son roman Aimer fatigue (Éditions de l’Olivier, 2014), il est allé chercher là-bas certains fantômes littéraires (Tennessee Williams). Une occasion de s'approprier quelques-uns des grands mythes littéraires et cinématographiques : la femme fatale, le grand écrivain alcoolique en mal d'inspiration, l'espion. S’y rendre, s’imprégner du lieu, mais savoir ensuite s’en extraire, s’échapper de ce qui le pollue, c’est-à-dire le réel. Un autre lieu mythique rêvé est le Piper Club, site emblématique de la nuit romaine dans sa fiction fellinienne Nous étions beaux la nuit (La Fosse aux Ours, 2018) rendant hommage au chanteur Christophe. 
Selon lui, la création littéraire est indépendante de la volonté, écrire est une nécessité au même titre que boire ou manger. On y met beaucoup de soi, c’est un processus qui a quelque chose de l’auto-analyse. Philippe Fusaro alimente son écriture par son métier de libraire, par les lieux qui jalonnent sa vie et par les textes et autres arts qui résonnent en lui, pour faire de son œuvre. En somme, une création artistique éclectique qui tourne autour des frontières et de certains lieux mythiques.  
 
Article de Camille Lucot, étudiante L3 (Humanités)