La crise sanitaire pourrait modifier nos habitudes de consommation. Le LOTERR, laboratoire de géographie de l'Université de Lorraine a mis au point une enquête sur l'impact du confinement sur nos pratiques alimentaires. Entretien avec Mathias Boquet, maître de conférences à l'initiative de cette étude qui nous révèle les premières tendances.
Pourquoi avez-vous réalisé cette étude ?
Mathias Boquet : "Avec la pandémie de COVID19, nous sommes plongés dans une situation inédite. La fermeture des écoles et des commerces (hors ceux jugés de première nécessité), la mise en place d’un télétravail généralisé et plus globalement le confinement à domicile ont bouleversé notre quotidien et notre spatialité. Dès l’annonce du confinement, les français se sont rendus massivement dans les commerces alimentaires pour réaliser des achats en prévision des semaines à venir, parfois de façon irrationnelle sur certains produits d’usage courant. Puis a débuté le confinement et, avec lui, une nouvelle relation à l’espace et à nos formes de consommation. Dès lors, nous avons souhaité comprendre l’impact de la crise sanitaire sur la fréquentation de nos lieux d’achats. Est-ce que nous en changeons, notamment par la redécouverte des commerces alimentaires à proximité de notre domicile ? Ou privilégions-nous au contraire nos commerces habituels, même plus distants parce qu’ils sont maîtrisés et rassurants ? Cherchons-nous à limiter notre exposition au virus en choisissant des points de vente particuliers, comme les drives, ou en réduisant notre fréquentation ? Ou bien, guidés par le besoin de rompre l’isolement, fréquentons-nous assidument les commerces où nous avons nos habitudes et des relations sociales ? Cette enquête s’inscrit plus globalement dans la continuité de recherches menées au LOTERR sur la spatialité du consommateur et ses choix en matière de lieux d’achats, notamment le projet CPER ARIANE Border Retail 2.0 (en cours actuellement), qui interroge les pratiques de consommation dans les zones frontalières."
Comment se déroule-t-elle ?
Mathias Boquet : "L’objectif est de collecter des informations sur les modes d’achats et les lieux de consommation des foyers à différents moments du confinement. D’abord, à l’issue de la première semaine pour identifier les répercussions directes du début du confinement. Ensuite, lors de la quatrième semaine et un peu avant la fin du confinement, pour observer les organisations et routines mises en place dans les foyers au plus fort de l’épidémie et lors de son achèvement. Enfin quelques temps après pour comprendre les effets à long terme de la période de confinement sur la spatialité et la temporalité de notre consommation. Dans la mesure où tout le monde est aujourd’hui confiné chez soi, l’enquête est diffusée uniquement par Internet à partir de l’outil d’enquête en ligne Limesurvey (disponible par l’ENT de l’Université de Lorraine). Nos deux premières enquêtes ont permis de recueillir près de 2500 questionnaires pour la semaine 1 et plus de 1000 questionnaires pour la semaine 3. Nous avons fait le choix méthodologique dans cette enquête de questionner davantage les actes de consommation que le ressenti des répondants quant à la situation de confinement. Des entretiens qualitatifs seront réalisés à l’issue du confinement pour compléter cette approche et comprendre quelles furent les stratégies déployées dans les foyers pour faire des achats pendant le confinement et ce que cette période a modifié dans leur consommation au quotidien."
Quels sont les premiers résultats suite à l'étude des premières semaines de confinement ?
Mathias Boquet : "Comme on pouvait s’y attendre, les foyers en période de confinement semblent privilégier la proximité et les commerces préalablement fréquentés. Globalement, la plupart des foyers semble adopter les comportements attendus en matière de confinement que ce soit en fréquentant peu de points de ventes différents (sur les deux semaines d’enquête, la majorité des foyers ayant fait des achats n’a visité qu’un seul point de vente) mais aussi en regroupant leurs achats sur seulement une ou deux sorties hebdomadaires. En conséquence, les supermarchés et, dans une moindre mesure, les hypermarchés bénéficient d’une forte fréquentation puisqu’ils permettent de grouper les achats. Mais, si l’on compare le taux de fréquentation avec une enquête relativement proche menée l’an dernier, on s’aperçoit que ce sont les commerces de proximité qui profitent le plus de la situation au détriment notamment des grandes surfaces spécialisées.
Néanmoins, ces résultats généraux cachent de grandes disparités : si certains foyers restreignent le nombre de commerces visités et le nombre de sorties, ce n’est pas le cas de tous. Certains foyers totalisent un nombre important de commerces visités (au maximum 8 dans la première semaine et 6 dans la suivante), mais aussi une fréquentation quotidienne de certains commerces, comme les boulangeries. Ces comportements assez atypiques ouvrent des voies de recherche intéressantes pour tâcher de les expliquer (facteurs sociologiques, générationels, géographiques…) mais aussi de comprendre quelles sont les différences de la réalité du confinement dans les foyers à travers la consommation et les déplacements d’achats. Par exemple : vit-on de la même façon le confinement dans une ville ou à la campagne ?
Enfin, nous pouvons d’ores et déjà observer l’évolution de la consommation entre la semaine 1 et la semaine 3 à travers deux indicateurs - le nombre de points de vente fréquentés et le nombre d’achats réalisés - en hausse dans les deux cas. Là aussi, beaucoup d’hypothèses peuvent être avancées. Et cette tendance se poursuivra-t-elle au fur et à mesure du confinement ? A suivre…"