L'Orne est un affluent de la Moselle le long duquel on trouve de nombreux seuils et barrages édifiés au cours de l'histoire industrielle de cette vallée. L'activité humaine a engendré la fixation de nombreux contaminants par les sédiments qui dorment dans le lit de la rivière, mais on connaît encore mal la nature et la quantité de ces contaminants.
Or les contaminants pourraient être remobilisés et polluer le cours d'eau à l'occasion d'épisodes hydrologiques intenses tels que des crues... Ou la suppression de seuils ou de barrages, devenus inutiles avec la disparition de l'industrie sidérurgique. Pour mesurer ces risques, plusieurs laboratoires se sont alliés afin de mener une recherche pluridisciplinaire en hydrologie, géochimie et microbiologie. Il s'agit de comprendre les mécanismes de remise en suspension des sédiments fins et de leurs contaminants chimiques ou microbiologiques, associés aux variations des flux d’eau.
on ne s'attendait pas à rencontrer autant de monde
Les chercheurs sont acteurs d'un large débat orchestré par l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse. « La directive européenne sur la qualité des milieux aquatiques incite fortement à l’élimination des ouvrages et au retour vers un fonctionnement plus "naturel" du cours d’eau. Notre objectif est d’estimer au mieux l’impact, le bénéfice écologique des actions de réaménagement, à différentes échéances » explique Benoît Losson, maître de conférences en géographie et co-porteur avec Luc Manceau du projet MOBISED, lauréat de l'appel Projets Exploratoires Premier Soutien (PEPS Mirabelle 2014) organisé par l'Université de Lorraine et le CNRS. « Cependant le retrait d'un barrage ou d'un seuil provoquerait sans doute la remise en suspension de sédiments, et la pollution de l'eau par les contaminants qu'ils avaient fixés. » Sans compter les intérêts des pêcheurs qui apprécient de disposer d'étendues d'eau calmes : « on ne s'attendait pas à rencontrer autant de monde en partant réaliser des prélèvements et des mesures sur un plan d'eau » sourit Luc Manceau, ingénieur d'études au Centre de recherche en géographies LOTERR. Tous les riverains et habitants de la vallée qui ont vécu de la sidérurgie sur plusieurs générations s’intéressent au devenir de leur environnement et de leur milieu de vie.
Pour prendre les bonnes décisions, il est donc crucial de comprendre dans quelle mesure les sédiments fixent les contaminants, et comment ceux-ci sont libérés lorsque le cours d'eau se réveille. « Des épisodes de crues intenses nous offriraient l'occasion d'évaluer l'impact d'un évènement similaire provoqué par la suppression d'un barrage » suggère Benoît Losson. C'est dans ce but que les géographes arpentent les rives de l'Orne en procédant à des mesures topographiques et hydrologiques. La cartographie 3D du lit de la rivière établie durant la période estivale sera comparée à celle qui suivra les crues hivernales. Conjointement, les chercheurs du laboratoire GéoRessources, du Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux (LIEC), du Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) et du Laboratoire de Chimie, Physique et Microbiologie pour l'Environnement (LCPME) effectuent des prélèvements d’eaux, de sédiments et de matières en suspensions, afin d’identifier les caractéristiques géochimiques et microbiologiques des différents compartiments et identifier les micropolluants présents. Tous les chercheurs sont membres de la Zone Atelier du bassin de la Moselle (ZAM).
Nous avons devant nous une dizaine d'années de recherches
Si les résultats attendus ne pourront être généralisés à n'importe quel cours d'eau, ils permettront tout de même d'établir une méthodologie pour analyser la présence et l'agrégation de contaminants dans les sédiments d'un cours d'eau, ainsi que l'impact de grosses crues ou de l'intervention humaine sur leur remobilisation.
Le financement reçu dans le cadre du programme PEPS a permis d'amorcer ce travail, mais il ne couvre qu'une année de recherches sur un unique tronçon et non sur l'ensemble du bassin versant. Afin de poursuivre leurs travaux, les chercheurs ont récemment planché sur plusieurs demandes de financement :
- Un projet ANR (Agence Nationale pour la Recherche) de quatre ans, associant en plus des partenaires actuels, un laboratoire de recherche du Luxembourg (Centre de recherche Public Gabriel Lippmann) et un laboratoire d’Hydrologie de Nancy rattaché à l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). L’obtention de ce financement par l’ANR permettrait d’engager des analyses régulières et d’embaucher de jeunes chercheurs.
- Une demande de subvention à l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse qui s’est montrée fortement intéressée par ces travaux.
- Enfin, pour pouvoir investir dans de nouveaux appareils de mesures (non couverts par les financements tels que les PEPS), des demandes d’équipements ont été déposées pour le prochain CPER 2015-2020 (projet Zone Atelier Moselle).
« si nous parvenons à obtenir les financements nécessaires, nous avons devant nous une dizaine d'années de recherches » conclut Benoît Losson.