Dans le cadre de l’année de la chimie de l’école à l’université, voici le premier article d'une série d’articles autour de cette « science de la transformation » émanant de chercheurs réunis sur le site de l’École nationale supérieure des industries chimiques (ENSIC), au sein du Laboratoire réactions et génie des procédés (LRGP) et du Laboratoire de chimie physique macromoléculaire (LCPM).
Comment réaliser une frappe chirurgicale pour lutter contre un cancer. Rémi Malingrëy, Author provided
La lutte contre le cancer est un problème de santé publique. Afin de détecter et détruire sélectivement ces cellules cancéreuses, les recherches s’intensifient pour trouver des thérapies plus ciblées ou utilisant des molécules plus spécifiques des cellules cancéreuses. C’est ce que l’on dénomme le ciblage.
Comment cibler ?
Le ciblage peut être défini comme une sorte de GPS amenant le médicament spécifiquement dans les cellules cancéreuses. Les molécules de ciblage permettent de viser la zone tumorale par deux voies qui sont nommés ciblage passif et ciblage actif.
Samir Acherar, Author provided
Le ciblage actif utilise des nanoparticules (assemblages d’atomes ayant une taille nanométrique, 1 nanomètre est 1 000 millions de fois plus petit qu’un mètre) comme GPS. À l’inverse des cellules saines, la jonction entre les cellules cancéreuses n’est pas optimale et fait apparaître des porosités permettant une pénétration et une accumulation plus importante des nanoparticules dans la zone tumorale.
La voie active fait apparaître deux modes de ciblage (direct et indirect). Les cellules cancéreuses pour proliférer ont besoin de nutriments circulant dans les vaisseaux sanguins et développent pour se nourrir des néo-vaisseaux permettant à la tumeur de se relier à la circulation sanguine. Le ciblage actif indirect ou direct cible des récepteurs (protéines situées sur les néo-vaisseaux ou sur la tumeur, capable de fixer des molécules de ciblage) sur-exprimés sur les néo-vaisseaux (indirect) ou sur la tumeur (direct) (Figure 2).
Samir Acherar, Author provided
Cibler pour diagnostiquer
L’imagerie médicale est l’un des principaux outils de diagnostic des cancers qui permet de visualiser les tumeurs et les éventuelles métastases. Différentes techniques existent plus ou moins précises : les principales sont l’échographie, qui utilise des ultra-sons, la radiographie et le scanner qui utilisent des rayons X, l’IRM basée sur l’action d’un champ magnétique, l’endoscopie qui se sert d’un tube optique muni d’un système d’éclairage, couplé à une caméra miniaturisée. Des techniques d’imagerie plus spécifiques utilisant des traceurs tels que la tomographie par emission de position (TEP) et l’imagerie de fluorescence permettent de faire de l’imagerie moléculaire.
La détection par fluorescence utilise la lumière émise par certaines molécules, appelées fluorophores lorsqu’elles sont excitées par de la lumière de longueur d’onde appropriée. Aujourd’hui, il existe en France quatre molécules utilisées en clinique la fluorescéine sodique, le vert d’indocyanine, la protoporphyrine IX et le bleu de méthylène.
Pour améliorer l’efficacité du diagnostic, les recherches se tournent vers la mise au point de marqueurs fluorescents spécifiques qui vont en particulier cibler des récepteurs sur-exprimés par les cellules cancéreuses ou les néo-vaisseaux qui les entourent. Par exemple, une équipe de recherche néerlandaise a montré dès 2011 que l’utilisation de la fluorescéine couplée à l’acide folique permettait une détection fine des métastases du cancer de l’ovaire dans le péritoine.
La recherche de nouveaux radiotraceurs (entités associant une molécule de ciblage et un isotope radioactif dont les rayonnements émis sont détectables par caméra TEP) pour une utilisation en imagerie TEP dans les services de médecine nucléaire est en plein essor. Les examens TEP donnent accès aux données de biodistribution (distribution biologique) du radiotraceur dans l’organisme.
Pour la visualisation de tumeurs cérébrales les examens TEP sont limités du fait de la fixation physiologique du cortex cérébral, gênant la visualisation des métastases cérébrales. La recherche de radiotraceurs spécifiques est primordiale, et les peptides sont des agents de ciblage de choix. Un projet collaboratif innovant soutenu par LUE (Lorraine Université d’Excellence) porte sur le développement de radiotraceurs spécifiques ciblant des récepteurs sur-exprimés dans les métastases cérébrales, tel que neuropiline-1 (NRP-1)(https://twitter.com/Lorraine_LUE/status/1016950791314296833).
L’association de l’imagerie TEP et de l’imagerie de fluorescence est une combinaison particulièrement appropriée. Les vecteurs biologiques radiomarqués et fluorescents peuvent être détectés à des concentrations extrêmement faibles et ainsi fournir des informations complémentaires. Une analyse non invasive du corps entier par TEP permet l’accès à la distribution du radiotraceur dans le corps.
Cibler pour traiter
Les techniques traditionnelles de traitement du cancer comme la chimiothérapie et radiothérapie ne sont pas sélectives des tissus cancéreux et détruisent aussi les tissus sains. De nouvelles avancées permettent d’améliorer le ciblage appelé thérapies ciblées.
Ainsi, la radiothérapie interne vectorisé via des agents de ciblage moléculaire utilise des isotopes radioactifs. Les traceurs développés dans le cadre du programme LUE pour le ciblage du récepteur NRP-1 pourront également être utilisés avec un isotope permettant de traiter.
La thérapie photodynamique (PDT) en fait partie. Outre les applications cliniques, les recherches se tournent vers l’adressage des photosensibilisateurs (PSs). Un PS est une molécule qui, sous irradiation lumineuse, à la faculté de transférer son énergie d’excitation électronique à une autre molécule.
Nous développons des stratégies de ciblage vasculaire pour traiter des tumeurs primitives cérébrales de type glioblastome. Par imagerie IRM sur des souris, nous avons démontré la pertinence d’un ciblage du récepteur NRP-1 par combinaison d’un PS, d’une molécule de ciblage de type peptidique et de nanoparticules. Cette stratégie a permis la visualisation de la partie périphérique infiltrante (néo-vaisseaux) de tumeurs cérébrales de haut-grade (tumeurs cérébrales à évolution rapide associées à un faible taux de survie).
Nous travaillons également sur le traitement des métastases du cancer de l’ovaire. Nous avons été les premiers, dans le monde, à avoir couplé l’acide folique à un PS dans le but de faire de la PDT ciblant le récepteur à l’acide folique sur-exprimé sur les métastases.
Finalement dans nos projets en cours et futurs, nous développons de nouvelles stratégies en PDT visant à obtenir entre autres soit (1) des plates-formes théranostiques sélectives permettant d’associer un agent de diagnostic (imagerie IRM ou TEP), un agent thérapeutique (PS pour un traitement PDT) et une molécule de ciblage (peptides, acide folique) afin d’associer diagnostic et traitement PDT ciblé ou soit (2) des PSs pouvant être irradiés sous rayons X afin de traiter des tumeurs localisées plus profondément dans les tissus.
Samir Acherar, Maitre de conférences, Université de Lorraine et Céline Frochot, Directrice de recherche CNRS Laboratoire Réactions et Génie des Procédés, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.