Quoi de plus naturel que d’être fatigué, quand on ressent cette sensation de lassitude ou d’inconfort physique suite à un effort prolongé ou intense, qui disparaît avec le repos ou une bonne nuit de sommeil ! Mais, quand la fatigue dure et devient chronique (au-delà de 3 à 6 mois), s’agit-il encore d’un symptôme « physiologique » qui va céder au repos ou à la récupération en cas de surmenage, d’épuisement ou de dette de sommeil, ou bien d’un symptôme « d’alarme » révélateur d’une pathologie, voire d’une « maladie » à part entière ?
La fatigue pathologique ou asthénie survient sans effort ou pour des efforts modérés contrastant avec les capacités antérieures, et sans amélioration par le repos. C’est un écheveau complexe à démêler dans lequel s’intriquent les facteurs organiques et psychologiques, les modes de vie et leur retentissement. La fatigue chronique justifie une consultation médicale pour en rechercher les nombreuses causes somatiques, psychologiques ou fonctionnelles.
La démarche diagnostique débute par l’interrogatoire et l’examen clinique pour identifier la plainte et la demande du patient, caractériser la fatigue, évaluer son retentissement et orienter les examens complémentaires par la mise en évidence de symptômes fonctionnels ou de signes d’alarme signant la défaillance d’un système ou d’un organe. Devant une fatigue chronique inexpliquée, une batterie de tests systématiques est proposée pour détecter des anomalies évocatrices mais peu explicites cliniquement. Un suivi s’impose à la recherche de signes nouveaux et révélateurs. Plus de 9 fois sur 10, est identifiée une cause, souvent suspectée dès l’étape clinique, dont le traitement résout généralement la fatigue. Les étiologies les plus fréquentes recoupent le vaste catalogue des maladies : troubles psychiatriques et événements de vie, addictions, troubles du sommeil, troubles métaboliques et endocrinopathies, carences, maladies neuromusculaires, infections et maladies inflammatoires chroniques, hémopathies malignes et cancers... Reste le domaine de la fatigue chronique « fonctionnelle » ou « inexpliquée », aux limites incertaines entre « psychologique » et « organique » méconnu, vaste champ de recherche pour identifier des pathologies nouvelles répondant à des modèles physiopathologiques souvent hypothétiques, car non ou mal identifiées par les techniques usuelles. Une part importante revient aux « syndromes somatiques fonctionnels » au sein desquels se distinguent la fibromyalgie et le syndrome de fatigue chronique (SFC), parfois difficiles à séparer, fatigue et douleurs chroniques pouvant coexister dans leur expression clinique. Les classifications diagnostiques et les modes évolutifs sont utiles pour identifier les troubles et mieux caractériser les sous-groupes de patients.
Une place particulière revient au SFC, trop souvent rattaché à des causes psychiatriques, notamment la dépression, qui est le plus souvent réactionnelle. C’est un ensemble hétérogène comme en témoigne les différentes dénominations (SFC, encéphalomyélite myalgique, intolérance systémique à l’effort…) et les classifications en rapport. C’est une affection non rare (0,2 à 0,4% de la population), souvent déclenchée par un épisode infectieux qui n’en est pas la cause première, avec handicap sévère et sans traitement validé. Bien que codifiée dans la classification internationale des maladies, sa reconnaissance et sa prise en charge restent insuffisantes entrainant une mobilisation importante à travers le monde des patients (réseaux sociaux) et des associations de malades (en France, l’ASFC et le projet DOT en lien avec ADENUM). Suite au rapport américain publié en 2015 (Institute of Medicine) soulignant la problématique de santé publique, l’embarras des professionnels de santé et le désarroi des patients, les médecins et chercheurs s’organisent (en Europe, centres de fatigue chronique, réseau EUROMENE, CA15111 du projet COST). Des progrès sont attendus dans la démarche diagnostique grâce à un questionnaire simplifié sur 5 critères (fatigue chronique sévère de plus de 6 mois, sommeil non récupérateur, malaise post effort, intolérance orthostatique, troubles cognitifs) validé par l’enquête récente de l’ASFC et de son conseil scientifique. Des biomarqueurs spécifiques sont à l’étude à partir des anomalies de mieux en mieux caractérisées : fonctionnelles musculaires (activité, stress oxydatif, dysfonction mitochondriale…), systémiques (perturbations endocriniennes, dysautonomie…), immunitaires (auto-immunité associée…), inflammatoires « sous le seuil » (encéphalique, musculaire…), dysbiose intestinale et anomalies du métabolome... Des traitements sont en cours d’évaluation : approches psycho-comportementales, gestion des capacités énergétiques, réentraînement physique, traitements immunomodulateurs, thérapies complémentaires...
Les avancées dans la physiopathologie du SFC laissent espérer aussi des progrès dans la compréhension de la fatigue chronique associée à de nombreuses maladies infectieuses, inflammatoires ou cancéreuses, dont la persistance après leur contrôle par des thérapeutiques apparemment efficaces reste une énigme scientifique.