[TCF] Les infections résistantes aux antibiotiques, ça n’arrive pas qu’aux autres

 
Publié le 12/06/2017 - Mis à jour le 19/06/2017
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Céline Pulcini, infectiologue, est professeur à la faculté de médecine de Nancy (Université de Lorraine) et au CHRU de Nancy. Elle coordonne au sein d'APEMAC avec le Pr Nathalie Thilly l'axe interdisciplinaire ANTIBIOVAC, qui mène des projets de recherche sur le bon usage des anti-infectieux et les pratiques vaccinales, l'objectif étant de prévenir l'émergence de la résistance bactérienne aux antibiotiques.

Dans une publication du 3 mai de la prestigieuse revue Nature, avec ses confrères d’Afrique du Sud, de Suisse et du Royaume-Uni, elle appelle à se doter d'un vocabulaire commun à l'échelle internationale, qui permettrait de désigner le problème et ses solutions.


Le phénomène est désormais connu : certaines bactéries sont devenues résistantes aux antibiotiques. Elles portent des noms latins que personne ne retient, à part peut être Escherichia coli, célèbre car elle entraîne régulièrement des interdictions de baignade dans les plans d’eau et contamine parfois les steaks hachés. En dehors de telles alertes, les citoyens se sentent assez peu menacés – tant qu’ils ne sont pas à l’hôpital, lieu associé aux infections nosocomiales.

Ils ont tort. Car des infections qui ne cèdent pas devant un traitement antibiotique classique, ce n’est pas fréquent mais cela peut arriver à tout le monde, et pas seulement aux personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques. Les infections résistantes aux traitements antibiotiques causent ainsi chaque année 12 500 décès en France.

De nombreux antibiotiques figurent dans la nouvelle liste des médicaments qualifiés « d’essentiels » publiée le 6 juin par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Ils doivent être préservés, c’est à dire utilisés avec parcimonie et pour certains, seulement en dernier recours, car ils servent à guérir des enfants et des adultes d’infections bactériennes autrefois mortelles, comme les pneumonies ou les méningites.

Le cas fréquent de l’infection urinaire avec fièvre

Prenons le cas, devenu banal pour un médecin hospitalier infectiologue en France, d’une patiente touchée au départ par une simple infection urinaire. Elle revoit son généraliste parce que la fièvre s’est déclarée, signe que l’infection touche le rein – ce qu’on appelle une pyélonéphrite. Ces infections guérissent habituellement très bien avec quelques jours d’antibiotiques en comprimés. Mais là, la fièvre persiste, et l’analyse d’urines montre un Escherichia coli multi-résistant, c’est à dire contre lequel les antibiotiques disponibles en cabinet de ville s’avèrent inefficaces.

La patiente est donc hospitalisée, et un nouvel antibiotique lui est administré par perfusion. Le bilan réalisé à son entrée montre que la bactérie multi-résistante s’est propagée dans le sang (provoquant une septicémie), et que l’infection du rein s’est compliquée d’un abcès. Après un séjour de plusieurs jours, la patiente peut rentrer à son domicile. Elle devra néanmoins recevoir la visite d’une infirmière pour des perfusions d’antibiotique pendant une dizaine de jours supplémentaires.

Le même problème peut se produire avec une infection de la prostate, organe qui peut lui aussi être atteint lors d’une infection urinaire.

Ingestion de staphylocoques dorés (en rose) par un globule blanc humain (en vert). Vue au microscope électronique. National Institute of Allergy and Infectious Diseases, National Institutes of Health, CC BY-NC

Ainsi, la personne ayant contracté une infection causée par une bactérie résistante aux antibiotiques risque de voir s’allonger le délai pour que les médecins trouvent le traitement efficace, ce qui augmente le risque de complications (septicémie et abcès, dans le cas cité précédemment). Bien souvent elle devra être soignée par des antibiotiques ayant davantage d’effets indésirables, et disponibles uniquement par perfusion. De telles histoires se rencontrent maintenant dans tous les pays dans le monde, comme le montrent les témoignages de patients réunis par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC, European Centre for Disease Prevention and Control), agence européenne.

On peut aussi se trouver aux prises avec une infection résistante aux antibiotiques au retour de vacances passées à l’étranger. La présence de bactéries résistantes semble en effet plus forte dans certaines parties du monde que dans d’autres. Les données ne sont toutefois pas disponibles pour l’ensemble des pays, et souvent limitées à la situation à l’hôpital. Des cartes présentant la fréquence de l’antibiorésistance selon les pays sont actualisées régulièrement par l’ECDC pour l’Europe et le Center for Disease Dynamics, Economics and Policy (CDDEP), ONG basé à Washington (États-Unis), pour le monde. Ces différences peuvent s’expliquer notamment par une surconsommation d’antibiotiques, parmi lesquels ceux les plus à risque de sélectionner des bactéries résistantes.

Le risque de ramener d’un voyage de telles bactéries est plus élevé encore lorsqu’on a eu la diarrhée sur place, ou qu’on s’est vu prescrire un traitement antibiotique – quelle qu’en soit la raison. En effet, un déséquilibre de la flore intestinale, conséquence de la diarrhée ou d’une prise d’antibiotiques, favorise l’implantation de ces bactéries résistantes dans le tube digestif.

Des E. coli résistants chez 1 Français sur 15

Aujourd’hui en France, plus d’une personne sur quinze a des Escherichia coli multi-résistants dans son tube digestif, comme le montrent une étude réalisée sur des adultes en 2011 à Paris et une autre chez des bébés dans le Sud-Est de la France en 2014. On ne tombe pas forcément malade, car les bactéries résistantes ne sont pas plus agressives que les autres. Dans leur imaginaire, la plupart des citoyens voient la bactérie multi-résistante comme une menace venue de l’extérieur. Or bien souvent, ce sont nos propres bactéries, constituant avec d’autres micro-organismes comme les champignons, notre microbiote, qui provoquent des infections, par exemple urinaires.

On acquiert ces bactéries à partir de contacts avec des objets, des personnes ou des animaux qui en sont porteurs, ou à travers notre alimentation si celle-ci a été contaminée. Respecter les règles de base d’hygiène, dont le lavage des mains, réduit ce risque. Les bactéries multi-résistantes peuvent persister des mois après la contamination dans notre tube digestif, le temps que la flore habituelle se reforme, et prenne le dessus.

Dans cette expérience, sept antibiotiques (capsules blanches) ont été testés. Les bactéries présentes dans la boîte de petri de gauche sont sensibles aux sept, comme le montrent les cercles gris ou vert – signe que les bactéries n’ont pas poussé. Les bactéries de la boîte à droite, elles, ne sont vraiment sensibles qu’à trois des antibiotiques. Dr Graham Beards/wikipedia, CC BY-SA

Réduire sa consommation d’antibiotiques est une manière, pour les citoyens, d’œuvrer au service de l’intérêt général en protégeant l’efficacité de ces traitements pour soi et pour les autres. Par ailleurs, chaque cure d’antibiotiques détruit la flore intestinale, dont on connaît désormais l’importance pour notre santé. Les antibiotiques détruisent aussi les bonnes bactéries dans d’autres parties sensibles du corps, comme le vagin, la peau ou la bouche, favorisant là aussi la croissance de bactéries résistantes, mais aussi de champignons sources de mycoses.

Aussi, il est bon de réfléchir à deux fois avant de demander des antibiotiques à son médecin. Les antibiotiques sont des médicaments précieux, qu’il faut préserver pour les situations où ils sont indispensables.

Bactéries multi-résistantes, ou superbactéries ?

Si les citoyens rencontrent tant de difficultés à mesurer l’ampleur de la menace représentée par l’émergence des bactéries multi-résistantes, c’est aussi parce que les experts du sujet n’ont pas encore réussi à s’entendre pour parler d’une seule voix. Ils emploient des mots différents pour désigner… les mêmes choses. Les médecins infectiologues français vont dire bactéries multi-résistantes (BMR) et antibiotiques ; quand les spécialistes de l’OMS vont parler de superbactéries (superbugs, en anglais), et d’antimicrobiens (antimicrobials).

A l’échelle mondiale, le vocabulaire commun qui permettrait de désigner le problème et ses solutions manque cruellement. C’est le constat que mes confrères d’Afrique du Sud, de Suisse, du Royaume-Uni, et moi-même, faisons dans l’article scientifique que nous avons publié le 3 mai dans la prestigieuse revue Nature.

Dans cet article, nous appelons à une intervention collective des Nations-Unies afin d’établir un vocabulaire de référence.

Quel nom trouver, en français, pour les bactéries résistantes ? Quand l’OMS a dressé sa récente liste des 12 bactéries contre lesquelles il devient urgent de trouver de nouveaux antibiotiques, les médias ont parlé de « superbactéries ». Or ce mot prête à confusion, évoquant des bactéries particulièrement virulentes qui se multiplieraient à grande vitesse, ce qui n’est pas le cas. Elles ne prolifèrent pas plus que les bactéries sensibles aux antibiotiques, mais sont plus difficiles à combattre avec les traitements dont nous disposons.

Des précautions pour les hommes, comme pour les animaux

Les programmes de santé publique visant à l’utilisation appropriée d’antibiotiques gagneraient à être qualifiés, en anglais, par le terme « antibiotic stewardship », pour les précautions à prendre aussi bien dans la santé humaine que dans la santé animale. Ce mot englobe la dimension individuelle et collective de toute prescription antibiotique. Il met l’accent sur le fait qu’en utilisant un antibiotique, l’individu (comme l’animal d’élevage) avantage les bactéries résistantes dans sa propre flore intestinale et les transmet aussi à son environnement. Il souligne aussi la nécessité de préserver une ressource (les antibiotiques) pour le bien de tous, de manière durable. Mais il n’a pas à ce jour d’équivalent évident en français.

The ConversationEt si on abandonnait, au passage, le vocabulaire volontiers guerrier d’un « combat mondial » mené contre « l’ennemi » que seraient les bactéries résistantes ? Car on finit par oublier qu’à force « d’attaques », on perturbe le rôle vital joué par notre microbiote dans notre santé. Il serait bon de choisir des mots reflétant mieux la relation écologique qui lie les êtres humains aux bactéries.

Céline Pulcini, Professeur de médecine, infectiologue, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.