Jean-Pierre Jacquot est professeur de biologie au sein de l'unité Interaction arbre micro-organismes (IAM, une UMRA INRA), il dirige la fédération de recherche écosystèmes forestiers, agroressources, bioprocédés et alimentation (EFABA). La tenue d’un congrès « Redox Regulation : Historical Background and Future Perspectives » du 28 au 31 mars 2017 à Nancy est l’occasion pour lui de revenir sur des aspects historiques de la régulation redox et d’évaluer vers quels horizons nous conduit ce champ de recherche extrêmement dynamique.
La régulation redox désigne des mécanismes qui permettent de modifier les propriétés des enzymes, dont le rôle de catalyseur (facilitateur de réactions chimiques) est essentiel pour le métabolisme cellulaire (ensemble des réactions chimiques se produisant à l’intérieur d’une cellule). Ces réactions sont essentielles pour le contrôle de la vitesse de la photosynthèse (et donc la productivité végétale et par conséquent l’alimentation animale et humaine) mais aussi pour lutter contre différents stress au niveau cellulaire susceptibles de provoquer diverses maladies chez l’homme.
Cette histoire a démarré autour des années 1970 par l’observation que l’activité catalytique de certaines enzymes impliquées dans la fixation du CO2 chez les végétaux était strictement contrôlée par la lumière (pour l’essentiel elles sont actives à la lumière et inactives à l’obscurité, une propriété extrêmement inhabituelle).
Les recherches conduites en parallèle dans plusieurs laboratoires (Berkeley, Neuchâtel, Nancy puis Orsay) ont abouti à la découverte d’un nouveau système de régulation, une cascade baptisée système ferrédoxine-thiorédoxine constituée par une série de protéines solubles interagissant dans un ordre strict.
Le catalyseur clé de ce système est la thiorédoxine une petite protéine extrêmement thermostable (résistante à la chaleur), une propriété très rare pour les biocatalyseurs et qui a facilité son isolement et son identification.
Localisation mitochondriale d'une thiorédoxine de peuplier. JP Jacquot
Les systèmes de régulation redox sont très diversifiés chez les végétaux
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Il est apparu très rapidement que les végétaux ne contiennent pas une thiorédoxine unique mais tout un ensemble de gènes responsables de systèmes qui fonctionnent dans plusieurs compartiments subcellulaires et en particulier dans des organites qui jouent un rôle essentiel comme centrales énergétiques de la cellule.
Dès 1988 nous avons pu montrer avec des collègues de Villejuif que des biomolécules similaires existaient dans les cellules animales et qu’elles pouvaient agir comme cytokines (des petites protéines possédant des propriétés proches des hormones) ou facteurs de croissance (des protéines qui permettent d’accroître considérablement la vitesse de croissance de cultures cellulaires quand elles sont ajoutées au milieu de culture).
Suite à ces travaux pionniers, des études ultérieures ont indiqué que les thiorédoxines étaient également impliquées dans la dégradation de molécules comme les espèces oxygénées réactives générées dans tous les organismes aérobies. Dans cette catégorie la molécule la plus connue du grand public est l’eau oxygénée (H2O2) qui présente une forte toxicité même à des concentrations relativement faibles (tous ceux qui ont eu la « chance » de se « couronner » les genoux et de se faire soigner par leur maman à coups d’eau oxygénée pourront témoigner des potentialités et de l’agressivité de cette molécule)…
Incidemment il est apparu dans les deux dernières décennies que les espèces oxygénées réactives comme H2O2 sont utilisées par les cellules à des fins de défense contre les organismes pathogènes. En revanche, une production trop intense de ces molécules est susceptible d’être aussi dommageable pour l’organisme qui les produits, or les systèmes thiorédoxine-dépendants permettent non seulement de contrôler le niveau de leur accumulation, mais également de réparer des protéines endommagées au niveau d’un acide aminé très sensible, la méthionine.
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Connexions entre la régulation redox et le métabolisme du fer
Au cours de la dernière décennie, le secteur le plus dynamique concerne l’étude des biomolécules « cousines » des thiorédoxines appelées glutarédoxines. Outre leur fonction redox, à l’instar des thiorédoxines, les glutarédoxines sont un maillon indispensable dans l’assemblage des centres fer-soufre nécessaires à la respiration et la photosynthèse, deux mécanismes essentiels au fonctionnement du vivant. Cette fonction « alternative » des glutarédoxines est conservée chez les bactéries, les plantes et les systèmes animaux incluant l’homme. Un dysfonctionnement de ces systèmes peut d’ailleurs entraîner des maladies génétiques redoutables.
Le congrès à venir sera une occasion pour revenir sur les avancées successives réalisées sur les systèmes redox mais surtout d’évaluer vers quels horizons ces recherches vont nous transporter. Bien des découvertes en la matière auraient été impossibles à prédire par la bio-informatique. La wet biology (biologie expérimentale), toujours aussi indispensable, a encore un bel avenir devant elle.
Jean-Pierre Jacquot, Professeur, Biologie et Biochimie végétales, Université de Lorraine, IUF, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.