Après les déserts commerciaux, trois chercheurs du Centre Européen de Recherche en Économie Financière et Gestion des Entreprises (CEREFIGE) reviennent sur une autre facette du colloque consacré à l’attractivité des centres-villes en octobre dernier.
Dépasser le simple constat des difficultés des centres-villes pour construire des solutions innovantes, pour proposer des voies de progrès ! Tel était le défi de la table ronde sur « l’attractivité du territoire lorrain : approche par le patrimoine culturel et commercial » qui s’est tenue le 18 octobre 2016 à Metz. Elle a réuni des commerçants, des chefs d’entreprise, des citoyens, des représentants d’organisations publiques et des universitaires. Il est intéressant de noter que les analyses ont convergé vers les notions « de flux, de mobilité et de réseaux » dans différentes déclinaisons.
Oublier le modèle du stock
Jusqu’à présent les enseignes de distribution ont privilégié la logique de zone de chalandise (en raisonnant sur un « stock » de clients habitant dans cette zone) pour déterminer leur stratégie d’implantation et donc leur attractivité commerciale. Pour implanter un nouveau point de vente, ce raisonnement conduit souvent à mesurer la faisabilité du projet en estimant la population proche du point de vente.
Autrement dit, le postulat de ce raisonnement est que le consommateur va faire ses courses selon un critère de proximité par rapport à un point fixe (généralement son domicile). Ainsi, les zones de chalandise sont estimées par des zones concentriques autour du centre, lieu d’implantation du point de vente.
Selon Jean-Pierre Douard, maître de conférences en sciences de gestion à l’ESM-IAE de Metz, il convient d’intégrer de nouveaux modes de pensée, de raisonner en termes de flux. La mobilité des consommateurs remet en cause les modèles d’attraction classiques. Les consommateurs ne vont pas nécessairement connaître l’offre commerciale dans leur lieu de vie mais vont connaître l’offre commerciale qui s’intègre dans leur parcours de vie.
Les drives alimentaires l’ont bien compris : la mère de famille n’achète plus son pain à la boulangerie de son quartier mais l’achète à la boulangerie qui est près du dojo de son fils ou de l’école de musique de sa fille. De même, le salarié d’une entreprise s’arrête dans la zone commerciale jouxtant son lieu de travail, pour des questions de praticité. Si, avant, le cercle pouvait résumer l’offre commerciale connue par le consommateur, aujourd’hui l’archipel (connaissance d’offre commerciale éclatée) serait mieux adapté.
Analyser les flux
Il est donc nécessaire d’identifier ces différentes trajectoires de déplacement d’achat des consommateurs et de trouver des outils d’analyse adaptés de ces nouveaux flux. Le développement des bases de données localisées, systèmes d’informations fondés sur les spécificités des territoires constitue une solution. Elles donnent des informations quantitatives sur les comportements d’achat des résidents de zones géographiques spécifiques.
Cette nouvelle perspective s’illustre parfaitement avec la start-up lorraine, Greenberry. Œuvrant pour une ville plus « intelligente », connectée et citoyenne, elle propose aux collectivités une plateforme permettant de collecter, centraliser, analyser et diffuser les données urbaines. Greenberry est le fruit de la combinaison réussie entre digitalisation et géolocalisation.
La ville devient ainsi un laboratoire d’expérimentations urbaines et constitue le cadre d’une démarche de recherche-action à bases d’applications mobiles, de capteurs et d’événements.
Les données physiques (capteurs)
Grâce aux informations collectées et à ces réseaux complexes d’observation, il est possible de mieux gérer ou du moins d’aider à la décision en temps réel (par exemple, réguler la circulation routière suite à un évènement sportif ou un concert en proposant des itinéraires bis). Greenberry va même plus loin, puisqu’elle considère le territoire comme une « plateforme d’innovation ouverte » en donnant la possibilité à tous les citoyens de participer à des démarches de co-conception, de co-création et de retours d’expérience.
Les interactions entre le monde physique et digital permettent de construire la ville de demain.
Étendre l’offre et favoriser la fréquentation du centre-ville
Pour créer du flux, il faut également améliorer ou étendre l’offre. Cela peut paraître a priori contre-intuitif dans la mesure où le pouvoir d’achat est souvent présenté comme un gâteau à taille constante. L’ouverture d’un point de vente est trop rapidement analysée comme une diminution du chiffre d’affaires des commerçants actuels. Pourtant, l’exemple de la place de Chambre à Metz prouve le bien-fondé de cette démarche. De quelques restaurants, il y a une dizaine d’années, la place compte aujourd’hui plus d’une trentaine de restaurants qui collaborent ensemble pour animer et faire vivre ce lieu de Metz.
Sans doute s’agit-il d’introduire une précision complémentaire. Étendre l’offre commerciale tous azimuts n’a pas de sens et peut conduire à l’émergence de friches commerciales. L’analyse des flux combinée à celle de la complémentarité entre offre existante et nouvelle offre est la clé de cette extension commerciale.
Aborder la problématique des flux pour dynamiser le commerce de centre-ville conduit à s’interroger sur celle des transports publics et du stationnement. Au-delà de leur offre pléthorique qui fait écho au point précédent et des prix attractifs, les grandes surfaces installées en périphérie des villes sont accessibles à partir d’axes routiers majeurs (par exemple, des autoroutes) et proposent des parkings gratuits : tout ceci explique sans doute l’attrait des clients pour ces lieux. D’après la Fédération des Commerçants de Metz, c’est d’ailleurs la première raison que citent les commerçants pour expliquer leurs difficultés.
Dans une démarche concertée entre les différents acteurs concernés (fédération des commerçants, régie des transports de la ville, ville de Metz), une solution collective a été proposée au travers du programme de fidélité « Bonjour Metz ». Grâce à la mise en place de cartes à puce, les consommateurs ont accès de manière gratuite au parking pendant un mois : il s’agit en fait d’un transfert de charges vers les commerçants (à l’image des magasins des centres commerciaux qui payent les charges relatives à l’entretien des parkings). Les consommateurs cumulent de l’argent dans une cagnotte grâce à leurs achats, et cet argent sera utilisable dans les commerces messins (répondant au principe du cross-selling).
De plus, ce programme permet aux commerçants d’avoir accès à des données sur les flux des consommateurs et de mettre en œuvre des « stratégies pull » c’est-à-dire de « pousser » leurs offres par des dispositifs de communication traditionnelle. Par exemple, vous recevez un SMS sur une offre susceptible de vous intéresser.
Le digital, un outil au service de l’attractivité
Et dans cette logique, il ne s’agit plus d’opposer des points de vente physiques à un canal virtuel mais bien au contraire d’en mesurer toutes les opportunités. Évidemment, le web-to-web existe et il ne faudrait surtout pas diaboliser l’e-commerce, mais des parcours tels que web to shop ; shop to web ; mobile to shop… doivent être également étudiés et mis en avant.
Si ses prémisses se trouvent dans l’engagement militant de ses membres fondateurs, le groupement d’achat solidaire des pays lorrains (GASPL) répond aux besoins de proximité et d’authenticité des consommateurs, tendance particulièrement présente dans le domaine agroalimentaire. Comment mettre en contact des consommateurs à la recherche de produits locaux et du terroir avec des producteurs lorrains ? Dans le cas présent, la digitalisation offre la possibilité de mettre en contact. Les proximités spatiales et temporelles peuvent nourrir également une proximité relationnelle (consommateurs liés par le cœur).
Créer et animer des réseaux
Lors de cette journée de conférence/début, il a naturellement été question de la collaboration entre les commerçants du centre-ville et des quartiers environnants. Mais, cette collaboration ne semble pas apparaître comme naturelle pour tous les commerçants. Ainsi, on peut distinguer deux types de commerçants : les pro-actifs, ceux ayant compris que la collaboration avec des concurrents est l’une des solutions essentielles pour perdurer et les non actifs, qui sont difficiles à convaincre.
Pourtant, fédérer les énergies apparaît une source indéniable de dynamisme économique. Les associations professionnelles et les collectivités publiques sont des rouages essentiels participant à cette dynamique.
Pour exemple, la ville de Metz a mis en place un comité stratégique du commerce organisé mensuellement et rassemblant notamment la municipalité, la Fédération des commerçants, la Chambre de Commerce et de l’Industrie et la Chambre des Métiers. L’objectif de ce comité est de créer un écosystème regroupant les principaux acteurs de la recomposition du tissu urbain.
Au niveau des associations professionnelles, les initiatives de la Fédération des Vitrines de France peuvent être mentionnées. L’objectif poursuivi est de créer un réseau pour passer de l’acte de consommation à l’expérience de consommation. De manière peut-être un peu triviale mais ô combien vraie, le plaisir est un élément moteur du consommateur et cela commence par le plaisir des yeux. Il n’y a qu’à noter le succès des vitrines des grands magasins parisiens lors des fêtes de fin d’année ou le développement des fêtes locales (Saint Nicolas, marché de Noël en Lorraine).
Pour ce faire, la Fédération des vitrines de France a recours à un outil classique du marketing direct, une newsletter envoyée mensuellement à ses adhérents qui permet de couper l’isolement des commerçants, de partager des idées nouvelles !
Là encore, et comme toujours, le commerce se doit d’innover dans les produits (l’offre), dans la distribution, dans la communication mais également dans la manière de conduire les affaires : l’innovation managériale apparaît ainsi comme un catalyseur des énergies commerciales.
Au-delà de sa proximité « géographique », le commerce de centre-ville et le commerce de proximité survivront également à travers l’émergence et le développement d’une proximité « relationnelle ». À ce titre, il serait sans doute abusif de parler d’une « nouvelle » gestion de la relation client. Pourtant, les potentialités des solutions digitales permettent d’entrevoir des nouvelles méthodes de concevoir, de délivrer et d’échanger de la valeur pour les consommateurs, l’entreprise et les autres parties prenantes !
Hélène Yildiz, Maître de Conférences HDR Sciences de Gestion, Université de Lorraine; Béatrice Siadou-Martin, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université de Lorraine et Sandrine Heitz-Spahn, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.