Comment conserver le patrimoine documentaire : 3 questions à Dominique Wolf

 
Publié le 29/11/2022 - Mis à jour le 7/12/2022
Comment conserver le patrimoine documentaire

3 questions à Dominique Wolf, Directrice de la Documentation, pour comprendre comment est conservé le patrimoine documentaire à l'Université de Lorraine.

Factuel : Que prévoit la loi en matière de conservation de documents patrimoniaux ?

Dominique Wolf : "La loi est très claire sur ce qui constitue le patrimoine documentaire français et sur les obligations qui incombent aux institutions qui le conservent.

Selon le Code du patrimoine (art. L 311-1 et art. L 111-1), les collections patrimoniales sont considérées comme "trésor national". Ce code stipule plus précisément que sont patrimoniaux les biens conservés par une bibliothèque qui présentent un intérêt public majeur du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, de la connaissance de la langue française et des langues régionales. À ces catégories s’ajoutent les documents anciens, rares et précieux.

Le code du patrimoine considère également les archives comme patrimoniales, qu’elles soient publiques (issues de l’activité de l’administration au sens large) ou privées, mais entrées dans les collections publiques. Les archives et manuscrits provenant de chercheurs ou de personnalités scientifiques relèvent donc aussi des fonds patrimoniaux de l’université. Les archives institutionnelles ont, elles, vocation à être versées aux Archives départementales à l’issue de leur durée d’utilité administrative.

En plus d’indiquer clairement que ces documents sont trésors nationaux, la loi prévoit qu’ils sont inaliénables et imprescriptibles (Code général de propriété des personnes publiques, articles L 2112-1 et art. L 311-1). Cela signifie qu’il est interdit à une collectivité publique de détruire, vendre ou donner ses documents patrimoniaux ; et qu’en cas de vol ou d’emprunt non rendu, le bien demeure perpétuellement la propriété de la collectivité, même si la personne qui le possède l’a acquis en toute bonne foi.

Concrètement, cela signifie que si un document patrimonial est dans une brocante, une librairie spécialisée, ou chez un particulier, et qu’il a le tampon de l’université, alors l’université de Lorraine est fondée à le récupérer gratuitement, car elle en est toujours propriétaire. Ceci vaut quelle que soit la durée qui s’est écoulée depuis la disparition, et même si le document a été transmis par héritage.

Il en découle l’obligation légale pour les bibliothèques, quel que soit leur rattachement à l’université, d’identifier dans leurs collections ce qui a statut patrimonial et de veiller à la conservation pérenne et à la sûreté de ces documents, en toutes circonstances.

Il est utile de rappeler qu’en dehors de ce périmètre, les bibliothèques n’ont pas de mission de conservation définie légalement. En France, c’est la BnF et certaines bibliothèques municipales qui conservent sans limite de temps tout ce qui paraît, au titre du dépôt légal."

Factuel : Quels sont les critères de conservation des fonds patrimoniaux de l’Université de Lorraine ?

Dominique Wolf : "La politique de conservation des fonds est du ressort de chaque composante. La Direction de la Documentation (DDOC) peut apporter une expertise, un avis, mais c’est tout ; sauf si la composante lui demande de conserver des collections pour son propre compte.

Pour ma part, j’estime qu’il est dans les missions de la DDOC de participer très activement à la constitution d’un patrimoine universitaire, à sa valorisation et à sa préservation pérenne ; et que ce patrimoine doit être au service des chercheurs et des étudiants.

Nous considérons traditionnellement les documents parus avant 1830 et les fonds d’archives et de manuscrits comme patrimoniaux, mais ce n’est pas suffisant. Un autre critère déterminant est l’intérêt pour l’histoire de l’université : il permet justement de constituer notre patrimoine commun. Et enfin, pour identifier ce qui, dans nos collections, présente un "intérêt public majeur", nous tenons compte de l’histoire régionale ou nationale et des besoins de la recherche.

Pour résumer, voici le périmètre du patrimoine conservé dans les bibliothèques universitaires :

  • Les archives et manuscrits de personnalités scientifiques ;
  • Tous les documents imprimés antérieurs à 1920 sont exclus du prêt. Dans cet ensemble volumineux (de l’ordre de 80 000 documents) tout n’est bien sûr pas patrimonial. Mais il recèle des collections qui ont un intérêt majeur, que nous sommes en train d’identifier.
  • Tous les documents iconographiques ou sonores de plus de 50 ans d’âge.
  • Les documents rares : ceux qui existent en moins de 5 exemplaires dans les bibliothèques françaises, ceux qui ont des mentions manuscrites faites par une personnalité, ceux qui sont parus en très peu d’exemplaires et qui ont un intérêt scientifique ou documentaire.
  • Les documents précieux, qui présentent des caractéristiques matérielles particulièrement travaillées.
  • Les bibliothèques personnelles ou de travail de personnalités scientifiques marquantes.

Nous tenons compte aussi de l’état de la documentation au niveau local ou régional. Par exemple, les fonds anciens des INSPÉ ayant pratiquement disparu dans d’autres régions du Grand Est, notre politique de conservation est assez extensive. Nous avons choisi de nous concentrer sur ce qui constitue des sources pour l’histoire de la pédagogie en Lorraine avant, pendant et après l’Annexion. Sont donc ainsi conservés :

  • les documents parus jusqu'en 1945
  • les manuels scolaires parus entre 1945 et 1970
  • les cartes murales
  • le matériel pédagogique ancien, selon des critères définis avec la mission Patrimoine mobilier à la DLI, et en concertation avec des chercheurs.

Je finirai juste par préciser qu’à la DDOC, notre politique de conservation ne concerne pas seulement les fonds patrimoniaux. Elle touche aussi des collections non patrimoniales, mais qui ont un intérêt de long terme pour la recherche et l’enseignement et fournissent une profondeur documentaire et scientifique à nos collections en salle."

Factuel : Quelles actions ont été mises en œuvre pour sauvegarder le patrimoine des BU de Lorraine ?

Dominique Wolf : "Le patrimoine n’a pas de prix, mais la conservation des collections a un coût et nécessite des compétences. Nos mesures visent donc à sauvegarder et conserver le mieux possible ce patrimoine tout en tenant compte de contraintes matérielles (espaces de stockage, moyens humains et financiers).

Les actions sont multiples. J’en citerai deux principales :

  • La sauvegarde des fonds anciens des INSPÉ, en concertation avec l’INSPÉ.

Ce fut un projet de longue haleine, mené à la fois à Épinal et à Montigny-lès-Metz.

À Épinal, plus de 30 000 documents non catalogués, provenant de plusieurs anciens sites de l’INSPÉ de Lorraine étaient malheureusement contaminés par des moisissures. Les experts de la BnF ont procédé aux analyses micro-biologiques et ont indiqué que la situation n’était pas dramatique. Cependant, face à l'ampleur financière de la décontamination, il convenait de prioriser les segments à traiter pour conserver la partie la plus rare du fonds et présentant le plus grand potentiel pour la recherche. Nous avons aussi tenu compte de l’existence, en France, d’institutions qui ont déjà pour mission nationale de conserver le patrimoine en pédagogie : l’Institut français de l’Éducation à Lyon, le Musée national de l’Éducation à Rouen et, bien sûr, la BnF.

Nous avons donc pu sauvegarder 4 500 documents, dont la décontamination a représenté tout de même 28 000 €. Ce projet compliqué a été terminé en mai 2021 et les collections sont désormais à la BU du Saulcy à Metz.

Parallèlement, les collections de Montigny-lès-Metz, particulièrement intéressantes, car elles remontent à l’Annexion, ont été également récupérées cet été par la BU du Saulcy.

Toutes ces collections doivent désormais être utiles pour les chercheurs et les étudiants. Nous allons donc mener cet hiver une campagne de signalement dans les catalogues collectifs, pour les rendre accessibles pour tous dès 2024.

  • La réserve centralisée

Nous avons mené le regroupement en 2022, à la BU Lettres, Sciences humaines et sociales à Nancy, des fonds patrimoniaux répartis jusqu’à présent dans les principales BU de Nancy (Droit, Sciences, Santé et Ingénieurs). Ils constituaient le patrimoine documentaire de l’Université de Nancy avant la création des universités disciplinaires dans les années 1960. Ce regroupement a été rendu possible par la fusion. C’est comme une histoire qui s’achève.

Ce projet vise à simplifier leur gestion, mais aussi à les rapprocher des chercheurs les plus susceptibles de les exploiter, ceux de SHS et d’histoire des sciences. Parallèlement, nous terminons leur signalement dans le SUDOC et nous travaillons à une offre de services pour les chercheurs et les étudiants à partir de la L3."