[RENCONTRE] avec Lee Fou Messica, directrice artistique de l'Espace Koltès

 
Publié le 27/09/2022 - Mis à jour le 10/05/2023
Lee Fou Messica, directrice artistique de l'Espace Koltès

Lee Fou Messica, directrice artistique de l'Espace Bernard-Marie Koltès, scène conventionnée d'intérêt national sur le campus du Saulcy, évoque sa nouvelle saison théâtrale, autour de la thématique de la violence.

Bonjour Lee Fou, votre nouvelle saison questionne la violence dans notre société, pourquoi avoir choisi une telle thématique ?

Peut-on vraiment parler de choix ? Non, c’est plutôt un constat. Avant d’être programmatrice, je suis spectatrice de théâtre, et dernièrement j’ai remarqué que beaucoup de pièces traitaient de cette thématique, avec des approches très différentes à chaque fois. Dans les écriture contemporaines les artistes sont là parce qu’ils sont porteurs de ce qui transpirent dans la société, ils n’ont presque pas le choix que d’être des témoins.

Il y a également les infos qui ne sont guère réjouissantes (féminicide, guerre, homicide), où la violence est au centre de tout, autant à l’échelle intime que planétaire. Difficile d’y échapper actuellement…

En résumé c’est un choix sans être un choix, j’essaie d’être une messagère, un vecteur de ce que je vois et de ce que je synthétise. Choisir la thématique #VIOLENCE, ce n’est pas pour la promouvoir, mais pour la démasquer : surtout celle qui est sournoise, celle qu’on ne perçoit pas immédiatement. C’est une invitation à exercer notre esprit critique pour la démasquer ; il est nécessaire d’en parler car c’est en en parlant qu’on fait avancer les choses.

Un des objectifs de cette programmation est d’interroger les faits de notre société sous un autre prisme, celui de la violence.

Est-ce que dans notre société actuelle on est contraint·e à la violence ?

J’ai envie de dire qu’elle est présente partout, qu’on la subit très fort, et qu’elle peut même parfois émaner de nous-même sans que l’on s’en aperçoive. Les mots permettent la prise de conscience et puis le passage à l’action. Il y a des moments où, à notre niveau d’humain, on pourrait agir, par exemple : on passe une mauvaise nuit, on subit les embouteillages, le stress, on arrive au travail chargée d’ondes négatives et on déverse la violence contenue sur le premier venu. Ça c’est de la violence qu’on peut gérer et éviter. Mais d’autres fois on ne peut pas : comment convaincre Poutine de ne pas envahir l’Ukraine, par exemple, pouvons-nous éviter cette violence-là ? Il faut aussi se dire que la violence est présente à notre insu, elle nous envahit, par le flux incessant d’images, par des infos ultra anxiogènes. On est matraqué par la violence de l’actualité, qui vient en boucle nous vriller le cerveau.

Ne pas nier la réalité permet la remise en question, il faut initier la parole. Avec le spectacle vivant, cela se passe au niveau du sensible, c’est ce qui permet d’en faire un élément déclencheur. Je crois fermement en l’effet papillon de la parole, qui fait prendre conscience aux gens. C’est le rôle de l’artiste de dénoncer, c’est son travail d’être témoin, sans porter de jugement. La démarche de mon projet c’est d’initier, d’encourager, d’entretenir l’esprit critique des jeunes.

J’ai presque l’impression d’enfoncer une porte ouverte, mais le problème c’est qu’on intègre cette société de violence comme une norme, et c’est contre ça que j’ai envie de batailler. On minimise les choses, on se dit qu’à notre échelle ce n’est pas grave, ça ne nous atteint pas, et ça permet une augmentation sournoise et constante de cette violence. Je sais que c’est facile à dire, mais nous devons tous nous engager ; d’ailleurs, en tant que service public de théâtre, si on faisait une programmation utopique type « bisounours », on ne jouerait pas notre rôle. Je ne me verrai pas du tout avoir une programmation lisse qui plaise à tout le monde et qui le « brosse dans le sens du poil », j’aurais l’impression de me trahir et de trahir le public.

Pourquoi est-ce essentiel de s’engager ? Et comment faire ?

A certains moments de mon parcours j’ai eu envie de faire plein de choses, aujourd’hui je me rends compte que j’ai envie de faire avec ce que je suis. La question de l’engagement est centrale, comment s’engager en étant soi-même, accepter de faire les choses à son échelle et avec ses moyens.

Quand on est jeune on ne sait pas toujours comment s’engager, on se sent parfois démunis, on a déjà beaucoup de choses personnelles à gérer, mais j’ai envie de dire que peu importe le niveau, le plus important c’est de faire : c’est en faisant qu’on montre l’exemple, pas avec des discours.

Voir comment les spectateurs peuvent se sentir concernés, notamment pendant les temps de rencontre entre les artistes et le public après les spectacles (les bords plateau), c’est ce qui m’a conforté dans l’idée que c’était utile de programmer des spectacles qui témoignent du monde dans lequel on vit. Les bords plateau créent des temps de discussion capitaux, qui nourrissent encore plus la parole et l’esprit critique. Cette année on a envie de partir un peu à la recherche de témoignages de gens pour qui le théâtre a compté, par exemple on donne la parole aux spectateurs dès le mois prochain dans notre newsletter (alors n’hésitez pas à partager*)

Etre dans une démarche de ne pas se leurrer, de ne pas se laisser aller à la paresse intellectuelle, se laisser embrigader par un certain confort. Ne jamais renoncer à grandir, connaître la vérité, c’est déjà s’engager.

C’est pourquoi je pense que c’est une grande chance d’avoir ce théâtre au sein d’une université comme l’UL, que c’est un outil formidable pour s’ouvrir au monde, se construire, tant dans l’esprit critique que dans la sensibilité artistique, car ce sont des armes contre la violence.

Quel message voulez-vous faire passer à la jeunesse en cette rentrée scolaire ?

Investissez les théâtres, les musées, les lieux de vie et de culture, profitez de l’espace Koltès comme un outil dans votre construction personnelle.

Les spectacles qu’on propose viennent de toute la France, dans une programmation de théâtre labellisé, au tarif de 5.99€ pour les étudiant·e·s. Cette somme, elle peut freiner parfois, mais aller au théâtre c’est essentiel pour vivre à mes yeux. Nos tarifs n’ont pas augmenté, on a même fait des marque page partout sur le campus avec des offres spéciales. Alors trouvez les et venez !

Lee Fou Messica

Directrice artistique de l’Espace Bernard-Marie Koltès

*Venez nous partager un souvenir de théâtre, dites-nous pourquoi il est essentiel de venir au théâtre à vos yeux, et nous serons ravis de partager ce souvenir dans notre newsletter du mois prochain. Vous souhaitez participer ? Envoyez-nous un mail avec votre témoignage à ebmk-rp@univ-lorraine.fr


Espace Bernard-Marie Koltès

Scène conventionnée d’intérêt national, nouvelles écritures contemporaines

Île du Saulcy

57010 Metz

www.ebmk.fr

03 72 74 06 58 (billetterie ouverte du lundi au vendredi de 14h à 18h)

Tarifs :

5.99€ pour les étudiant·e·s

10.99€ pour les personnels de l’UL

Pièce(s) jointe(s):