Colloque : Corps et âme - Vie et mort des femmes du haut Moyen Âge

 
Date(s): 
Jeudi 2 septembre 2021 - 14:00 - Vendredi 3 septembre 2021 - 17:00
Lieu(x): 
Espace Gilbert ZAUG
Place Henri Utard
REMIREMONT
coordination Charles KRAEMER et Sylvie JOYE, HisCAnt-MA - Université de Lorraine

À l’occasion du 1400e anniversaire de la fondation du monastère féminin de Remiremont, le plus ancien de la Lorraine installé en contexte rural, il nous est apparu opportun de lier la réflexion sur la longue histoire de ce site et ses spécificités à celle d’une réflexion plus ample sur la condition des religieuses et, plus largement, celle des femmes du premier Moyen Âge. Les travaux à leur sujet ont été profondément renouvelés depuis une trentaine d’années en effet, mettant en valeur l’importance de l’association des historiens, historiens d’art et archéologues dans l’appréciation de la place et du rôle des femmes dans la société médiévale, au-delà des regards masculins que posent sur elles la plupart des sources documentaires, et des régimes de genre qui leur sont associés.

Soumise, opprimée, reléguée au rang des exclues de la société, telle est l’idée souvent encore associée à la femme médiévale. Ainsi, pour Jacques le Goff (Hommes et femmes au Moyen Âge, p. 10), cet état de fait est « le reflet de celle que notre modernité a perpétuée dans la plupart des sociétés humaines, y compris la nôtre ; elle est le reflet documenté de la place réelle des femmes au Moyen Âge ». Si les femmes sont l’objet de contraintes objectives et d’un discours souvent misogyne et rare, les médiévistes ont aussi montré que « l’histoire des femmes pas plus que celles des rapports des sexes ne suit assurément un cours régulier » (Klapisch-Zuber, Histoire des femmes. Le Moyen Âge, 1991, p. 172) en insistant sur le fait que dans l’occident chrétien d’avant l’an mil, elles ne vivaient pas toutes par procuration (Wemple, id°, p. 216).

Parmi elles, la femme religieuse, celle qui exerce l’autorité autant que celle qui la subit, celle qui atteindra la sainteté comme celle qui restera pécheresse, celle qui fuit le siècle ou celle qui y retourne, pourra être observée dans son cadre environnemental – le monastère et la clôture – liturgique et régulier mais aussi centre de formation et foyer intellectuel réservé aux filles de l’aristocratie. Pour illustrer ce propos on pense spontanément à Salaberge, fondatrice, dans le courant du VIIe siècle, du monastère Saint-Jean de Laon, qui fit son apprentissage au monastère du Romarici mons (Gaillard, 2011) ; mais on ne peut ignorer celles pratiquant des métiers artistiques ou intellectuels, comme cette nonne scribe, décédée près de Mayence vers 1100 et dont l’activité a pu être caractérisée grâce à un examen minutieux de son squelette qui a révélé la présence de poussière de lapis-lazuli incrustée dans la plaque dentaire (Radini et al., 2019).

La question se pose également de tous les objectifs liés à l’entrée des femmes en religion, sous diverses formes, et de leur rapport avec le sacré. Pour toutes celles qui, sans avoir jamais été mariées au Christ ne sont plus sous la tutelle de l’église, se pose aussi la question d’une autre forme de tutelle, celle du père sur sa fille, du frère sur sa sœur, du mari sur son épouse.

Le cas de Remiremont et des prétendus « monastères doubles » invite également à réfléchir sur la place des monastères féminins dans les rapports de force politiques et religieux durant le premier Moyen Âge, sur la possibilité pour les femmes d’exercer une autorité reconnue et sur la façon dont celle-ci peut s’exprimer sachant que les réorganisations politiques et religieuses plus globales jouent un rôle primordial de ce point de vue, avec des restrictions plus grandes à l’époque carolingienne, qui semble pourtant par ailleurs mettre en avant une plus grande considération de la femme dans le mariage et la mise en scène du pouvoir royal.

Le colloque s’intéressera donc à la condition des femmes les mieux documentées mais également, dans une démarche d’anthropologie historique, à celles des couches les moins aisées de la société, celles qui travaillent par opposition à celles qui prient – paysannes, serves ou non, les plus nombreuses à n’en pas douter, commerçantes et artisanes, femmes mises au ban de la société – pour lesquelles les sources documentaires sont rares mais qui peuplent les innombrables cimetières ruraux régulièrement mis au jour que le haut Moyen Âge nous a laissés.

À côté des sources documentaires et iconographiques – histoire, hagiographie, épigraphie, arts visuels – l’archéologie funéraire avec toutes ses disciplines connexes, peut aussi contribuer à nourrir le dialogue sur l’anthropologie du féminin durant le premier Moyen Âge. On évoquera parmi les approches possibles, celle de la topographie des cimetières mérovingiens et carolingiens et des types de sépultures comme reflet de la binarité sociale induite des genres (carrés spécifiquement féminins, place des femmes dans les enclos funéraires familiaux …) ; celle des sépultures habillées comme expression d’un vestiaire féminin caractéristique du milieu social ; celle des dépôts funéraires comme traduction du cadre de vie des défuntes ? Celle de leur état sanitaire et pathologique, de leur corps et de son vieillissement à partir des observations faites sur leur squelette…

Inspiré à la fois par la richesse des terres du Grand Est sur les traces d’un monachisme féminin original, et le profond renouvellement de l’historiographie et de l’archéologie concernant les femmes au haut Moyen Âge durant les dernières années, ce colloque voudrait faire le portrait de la variété des femmes comme personnes et comme membres de communautés, en même temps que des caractères de la féminité en Occident avant le XIIe siècle.

Le colloque s’organisera selon quatre thématiques principales :

  • Les moniales : rapport au sacré, rituels et règles de vie
  • Style de vie : Vie quotidienne et mise en scène du faste
  • Société civile et anthropologie du genre
  • Relations d’autorité entre hommes et femmes