À l’occasion du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, l’Université de Lorraine vous propose de découvrir une sélection de celles qui travaillent au quotidien pour la recherche. Zoom sur Marieke Stein, maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches au Centre de recherche sur les médiations (Crem).
Quel a été votre parcours ?
Marieke Stein : "Originaire de Moselle, j’ai toujours été passionnée de littérature. Après des classes préparatoires littéraires, j’ai intégré une École normale supérieure puis, j’ai poursuivi mes études à l’Université Paris VII-Denis Diderot où j’ai soutenu une thèse consacrée aux discours politiques de Victor Hugo. Petit à petit, je me suis intéressée aux différentes médiations de la parole politique, par la presse, puis les blogs. Je suis ainsi passée du rapport entre littérature et politique à la question des médiations (notamment journalistiques), que j’ai approfondie au sein du Crem à partir de 2003, lorsque j’ai obtenu un premier poste d’attachée d’enseignement et de recherche (ATER) dans le département Information et communication de l’Université de Metz. J’ai été recrutée en 2006 à l’IUT de Metz où j’enseigne toujours, dans le département Techniques de commercialisation.
En 2015, ma vie personnelle et ma vie de chercheuse ont connu un tournant : j’ai en effet été littéralement « happée » par la contestation de projets de forages de coal bed methane (gaz de couches de charbon), un gaz voisin du gaz de schiste, pas encore exploité en France, mais très contesté dans les pays où il l’est déjà (principalement en Australie et aux États-Unis). Cette activité suscite des contestations, pour des raisons environnementales et économiques, auxquelles j’ai pris part lorsque j’ai découvert des projets de forages aux marges du bassin houiller, secteur jusqu’ici préservé de l’activité industrielle et où j’habite. Cet engagement m’a révélé des mondes nouveaux pour moi : celui de la conflictualité, celui de la « concertation », celui des mobilisations environnementales. J’ai aussi découvert que les politiques prenaient souvent des décisions sur la base d’une information lacunaire, voire totalement déficiente (exemple : confusion de ce gaz recherché avec du « gaz de mine », ou « grisou »). L’analyse de ce projet fossile, des raisons pour lesquelles il est contesté et, surtout, celles pour lesquelles il est soutenu (incompréhension de la nature exacte du gaz recherché, espoirs de création d’emploi, primat systématique de l’économique sur l’écologique…) m’a tellement passionnée que j’ai décidé de consacrer désormais mes recherches aux controverses environnementales et aux discours qui circulent autour des « grands projets inutiles et imposés » – comme ce projet d’exploitation de coal bed methane."
Sur quelle thématique travaillez-vous et quelles en sont les applications ?
Marieke Stein : "L’ouvrage que j’ai écrit dans le cadre de mon dossier d’habilitation à diriger des recherches que j’ai soutenu le 11 mars est issu de ce travail sur la controverse de coal bed methane en Moselle. Pendant trois ans, j’ai été impliquée au quotidien aux côtés des citoyens mobilisés localement, mais aussi d’associations et de collectifs environnementaux qui militent plus largement pour sortir des énergies fossiles (ANV Cop-21, Alternatiba, France Nature Environnement…). J’ai adopté une posture que je qualifie d’ethnographie autochtone et critique : mon terrain est mon lieu de vie ; ce qui s’avère d’une grande richesse sur les plans méthodologique et heuristique, à condition d’être sans cesse attentive à maintenir une distance critique vis-à-vis des discours, des acteurs et des mécanismes sociaux observés. L’immersion dans le terrain est particulièrement fructueuse dans la mesure où elle permet de mieux identifier l’ensemble des acteurs d’une controverse environnementale, y compris les plus discrets médiatiquement. J’ai donc rencontré beaucoup d’acteurs de cette controverse : élus locaux et régionaux, entrepreneur gazier, agents de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et de la préfecture, chercheurs partenaires de l’entreprise gazière, etc. Ces entretiens m’ont permis de constater que l’information qui circule émane presque exclusivement de l’entreprise gazière elle-même. En effet, en utilisant simplement les mécanismes de diffusion de l’information (internet, presse…) et les ressorts de la décision politique, cette société a réussi à imposer dans l’espace public une représentation exclusivement favorable de son activité. Le défaut d’information, qui est parfois reproché aux citoyens « profanes » ou « obscurantistes », concerne tout autant les autres acteurs de la controverse, y compris les plus fortement légitimés tels les responsables institutionnels et politiques, les journalistes, etc."
Quel conseil donneriez-vous à des jeunes filles qui souhaiteraient s'engager vers la recherche ?
Marieke Stein : "Je leur conseille de ne pas hésiter ! La recherche est une activité stimulante intellectuellement, qui permet de se remettre continuellement en question, de rester toujours en éveil… L’université française permet toutes les évolutions, toutes les bifurcations – j’ai ainsi pu passer des études littéraires à l’analyse de controverses environnementales, en fonction de mon évolution personnelle et intellectuelle, en étant accompagnée par mon laboratoire, en bénéficiant d’un congé pour conversion thématique… Y a-t-il des conseils spécifiques à donner aux jeunes filles ? Pas particulièrement, car il me semble que l’Université est très égalitaire et que les femmes ont autant de chances de s’y épanouir et d’y réussir que les hommes – du moins, c’est un constat qui s’applique aux unités de recherche dans lesquelles j’ai été impliquée, en littérature ou en sciences de l’information et de la communication. Mais, bien sûr, la recherche demande beaucoup d’implication et nécessite parfois de sacrifier un peu la vie de famille… Mais n’est-ce pas le cas de tout métier, aussitôt qu’il passionne ?"