[expo] Pages

Présentation de l'exposition par Lise Lhuillier Gaillard :

L'idée première était de redonner vie à un livre voué à être détruit et à disparaître. Il fallait conserver la matière du livre, l'espace de la page, la succession de celles-ci, certains mots choisis avec soin et ne pas hésiter à extraire la moelle encore vivante du corps du livre pour la réinjecter dans une nouvelle production. C'est ainsi que j'ai volontairement enlevé toutes les pages du livre pour les rendre autonomes afin d'en proposer une à chaque élève du collège de la classe de sixième à celle de troisième, Section d'Enseignement Général et Professionnelle Adapté comprise.

Je souhaitais que les élèves fassent des choix, prennent plaisir à participer à ce travail, ce plaisir n'excluant cependant pas quelques contraintes. La principale de celles-ci consistait à leur faire élaborer un sens à leur portée à partir d'un ouvrage scientifique très peu porteur de sens pour eux.

J'ai en effet choisi de sélectionner le Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage (DUCROT Oswald, TODOROV Tzvetan, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Ed. du Seuil, 1972). Je leur ai demandé, tout en conservant le format de la page, de sélectionner avec précaution certains mots et de construire une phrase syntaxiquement acceptable. En dehors de ces quelques contraintes sans lesquelles il n'y a pas de projet, les élèves conservaient une grande liberté de sens, de forme et de technique.

Ce travail réalisé en classe m'a permis d'être disponible pour aider les élèves dans leurs projets, les accompagner pour construire les phrases, proposer une remédiation car, pour certains élèves, ce type d'intervention sur un texte aussi scientifique et aussi éloigné de leur univers pouvait être impressionnant.

Et du livre dont les pages s'étaient répandues dans l'espace, déployées, reformées dans la tête des élèves, il fallait revenir au livre. Sa destruction en partie comme objet physique devait faire renaître un livre, celui des élèves. C'est ce qu'ont permis les outils numériques. L'ensemble des travaux des élèves ont été ainsi numérisés par Émilie Faille, Professeur Documentaliste au Collège avec l'aide des élèves pour reformer un livre numérique.

Ce livre projeté permet le temps d'un instant de s'attarder de façon plus personnelle sur le projet de l'élève, l'ensemble des travaux étant dans l'exposition assemblés côte à côte formant un vaste territoire. Le nom de l'exposition "Pages" marque ces deux approches : les pages comme l'ensemble des propositions des élèves, et la page dans tout ce qu'elle a de singulier faisant écho à l'expérience particulière de chaque élève avec ce support.

Enfin, pour restituer à ce travail la matière du vivant, je souhaitais déployer dans la mise en scène de l'exposition la présence sonore des élèves. Le livre c'est aussi un objet qui invite à la voix les récits, les débats souvent animés, les jeux oratoires étonnants, le plaisir de la construction partagée. L'empreinte d'une classe très éloignée du lieu de l’exposition dont je réserve la surprise...

L'histoire du projet a eu comme toute aventure ses rebondissements. Certaines pages ont disparu ce qui nous a amené à devoir envisager de créer des faux (copies des versos) afin que tous les élèves puissent travailler autour de ce projet et en être valorisés. D'ailleurs la structure du livre a disparu, malgré les précautions prises, il n'en reste que sa trace... son "emprunte" photographique.