Un an après : Compétences numériques à l’école : un mal pour un bien ?

 
Publié le 7/10/2016 - Mis à jour le 3/05/2023
Un enseignant montrant des lettres sur un écran déclare "Parfois j'ai l'impression que ça rentre mieux à la baguette qu'à la souris".

Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article, un an après sa première publication sur la plateforme d'information The Conversation France. A ce jour, la question de la perception de l’efficacité pédagogique des usages du numérique par certains enseignants reste effectivement posée, même s’ils sont de plus en plus minoritaires dans les dernières enquêtes réalisées par le Ministère et l’Inspection Générale sur les 1er et 2nd degrés. Parmi les résultats significatifs déclarés par 5000 professeurs des écoles interrogés, on relèvera que les usages enseignants du numérique les plus fréquents se situent avant ou après la classe (préparer les cours, compléter le cahier journal), et qu’ils concernent 3 matières en particulier : l’étude de la langue, la lecture… et les mathématiques. Comme quoi, sans attendre l’évolution des référentiels de compétences numériques sur ces apprentissages fondamentaux, les enseignants ont déjà pris les devants.

Le dessin de Rémi Malingrëy.

Ce serait un doux euphémisme de considérer que le premier rapport PISA 2015 (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’OCDE sur les compétences numériques des élèves ne jette pas un pavé dans la mare, et ce, malgré certains relais officiels (voir le communiqué de Mme La Ministre Najat Vallaud-Belkacem qui tentent d’en gommer les résultats embarrassants.

Nous en avons relevé deux en particulier : les compétences des élèves dans l’usage du numérique éducatif dépendent d’abord de l’acquisition de compétences académiques traditionnelles ; les apprentissages fondamentaux en lecture, sciences et mathématiques ne progressent pas significativement avec l’usage du numérique, ils peuvent même régresser dans le cadre d’un usage trop intensif des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) en classe.

Pour la première fois, une étude statistique comparative et internationale relativise les apports du numérique, et souligne qu’il n’existe pas de corrélation directe entre performances des élèves et investissements massifs dans les TIC à l’école. Elle en conclut sur la nécessité d’orienter les stratégies à venir sur le renforcement des capacités des enseignants pour gérer le changement dans leurs pratiques.

Des politiques institutionnelles encore techno-centrées

En France, les politiques institutionnelles sur le numérique ont pourtant été orientées historiquement en priorité sur les équipements et environnements informatiques, les ressources et logiciels éducatifs, de l’école primaire à l’enseignement supérieur. Citons quelques exemples dans leur ordre d’apparition chronologique : le plan Informatique pour tous, la création de salles informatiques dans les collèges et lycées, les Environnements numériques de travail (ENT) dans le secondaire et le supérieur, la généralisation des réseaux sans-fil à l’université, l’équipement en tableaux (ou vidéoprojecteurs) interactifs dans les écoles primaires et collèges…

Or, non seulement ces politiques qualifiées de « top-down » (pilotées par le haut : ministères, collectivités, directions du numérique) n’ont jamais vraiment produit les effets escomptés, mais elles sont souvent appliquées de manière hétérogène, en particulier dans les écoles primaires et au collège où l’achat et la maintenance des équipements dépendent à la fois des collectivités locales, et de la bonne volonté de certains enseignants passionnés.

Et cela semble continuer : le récent plan en faveur du numérique voulu par le Président Hollande en mai 2015 va déboucher sur l’achat massif de tablettes tactiles qui seront distribuées dès la rentrée 2016 à plusieurs collèges dits « préfigurateurs », triés sur le volet, dans lesquels chaque élève de 5e en sera doté pour l’école et pour la maison. Derrière ces politiques en faveur des équipements, pointent des lobbys industriels de plus en plus pressants, entre multinationales informatiques voulant imposer leurs environnements techniques et logiciels (écosystème logiciel Google, tablettes Microsoft ou Apple…) ce qui favorise l’accès potentiel aux données d’usage de millions d’élèves, et éditeurs souhaitant continuer à écouler leurs stocks de manuels imprimés.

Accompagnement des enseignants

Pour autant, il serait faux de prétendre que la formation et l’accompagnement des enseignants à l’usage du numérique soient oubliés. Ils sont devenus nettement plus présents depuis 3 ans, avec la réforme des Master MEEF, intégrant depuis 2013 les compétences du Certificat informatique et Internet enseignant (C2i2e) dans son programme, la récente transformation des Centres nationaux de documentation pédagogique (CNDP) en réseau CANOPE davantage orienté sur l’accompagnement pédagogique, et désormais présent dans les ESPE, et la plateforme Magist@re développant une offre de formation continue à distance conçue avec les enseignants.

A l’université, le Livre blanc Accompagnement et formation des enseignants du supérieur aux usages pédagogiques du numérique paru en 2012 a également marqué un palier dans l’infléchissement des politiques au sein des directions du numérique, en faveur de la formation continue des personnels enseignants.

Car c’est bien par là qu’il faut commencer. C’est en tous les cas les enseignements tirés de plusieurs enquêtes d’usage sur les pratiques enseignantes avec le numérique, et dont les résultats se recoupent malgré des terrains différents. Par exemple, l’enquête PROFETIC 2014 dans le secondaire, et celle du projet TECMEUS que nous avons menée en 2010 dans les universités, se rejoignent sur plusieurs constats : les enseignants ne sont pas réfractaires a priori sur les TIC, mais ne sont pas toujours convaincus de leurs réels apports pédagogiques, les ressources existantes sont souvent peu connues, pas exploitées ou mal adaptées à leurs besoins, la reconnaissance institutionnelle de l’investissement d’un enseignant dans l’innovation pédagogique est très variable d’un établissement à un autre, le soutien technique est souvent insuffisant…

Plus généralement, ces enquêtes soulignent la nécessité d’interroger la place du numérique en analysant d’abord les conceptions pédagogiques des enseignants (comment enseignent-ils ? comment conçoivent-ils leur métier d’enseignant ?) et les modalités d’apprentissages des élèves (comment apprennent-ils ?). En effet, adopter une posture déterministe pour l’usage des TIC à tout prix s’avère toujours contre-productif quand on s’adresse à des enseignants attachés à leur liberté pédagogique.

Un socle de compétences numériques à réorienter ?

Le rapport PISA 2015 de l’OCDE pose également une autre question : faut-il revoir ou compléter le choix des compétences numériques actuellement visées dans les programmes et consignes officiels depuis plusieurs années ? En effet, depuis la formation à l’informatique des enseignants dans les années 70 et, plus récemment, la généralisation du Brevet informatique et internet (B2i) en 2002 pour les écoliers et collégiens, puis en 2007 pour les lycéens, et celle du Certificat informatique et Internet (C2i) en 1re année de Licence à l’université, l’accent est mis davantage sur des compétences numériques informationnelles (s’informer, se documenter en ligne), déontologiques (usage responsable des outils) ou instrumentales (savoir traiter des données numériques)… Mais quid des compétences fondamentales en lecture, mathématiques et sciences mesurées par l’enquête PISA depuis 2000 ? Pas grand-chose à vrai dire…

Ceci amène donc à nuancer les résultats de l’enquête PISA 2015, tant que les actions visées par les politiques institutionnelles sur le numérique ne cibleront pas en priorité leurs liens avec ces apprentissages fondamentaux. Et ne reposeront plus essentiellement sur la qualité et la diversité des initiatives individuelles ou collectives (comme l’association Sesamath) d’enseignants passionnés et convaincus par les apports du numérique, tels que la recherche a pu les identifier (multimodalité, apprentissage individualisé, apprentissage collaboratif, simulation…). Sinon, les résultats de cette enquête risquent davantage de confirmer les enseignants réfractaires dans leurs postures, voire de réduire les usages en classe pour ceux qui les utilisent déjà…

The Conversation

Luc Massou, Enseignant-chercheur en Sciences de l'Information et de la Communication, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.