Rencontre avec Jean-François Seuvic, chargé de mission de Référent Intégrité Scientifique

 
Publié le 15/04/2024

Dès le 1er décembre 2015, l’Université de Lorraine s’était dotée d’une Délégation à l’intégrité scientifique. Depuis la loi de programmation de la recherche de 2020, ces instances (Référent Intégrité Scientifique -RIS- et Comité d’Intégrité Scientifique – CIS -) ont été rendues obligatoires dans les universités françaises et dans les EPST. Factuel est allé à la rencontre de Jean-François Seuvic, notre chargé de mission à l’intégrité scientifique depuis le 1er septembre 2023. Juriste de formation, il a rejoint les 150 Référents Intégrité Scientifique des universités françaises et grands établissements scientifiques.

Qu’est-ce que l’intégrité scientifique et pouvez-vous nous présenter les bases ?

Jean-François Seuvic : "Tout d’abord, il est important de distinguer l’intégrité scientifique, de la déontologie ou encore de l’éthique. La déontologie relève davantage des règles et devoirs régissant une profession ; elle est en jeu par exemple, en cas de harcèlement ou d’injures. L’éthique est liée à la morale sociétale, visant par exemple la régulation et la limitation des recherches sur des animaux à des fins scientifiques (respect du bien-être animal) et la recherche sur les OGM (éthique environnementale).

En France, l’intégrité scientifique est désormais définie dans le code de la recherche (article L. 211-2 et art. 1 du décret du 3 décembre 2021 relatif au respect des exigences de l’intégrité scientifique) comme l’ensemble des règles et des valeurs qui doivent régir les activités de recherche pour en garantir le caractère honnête et rigoureux.

Indispensable au bon fonctionnement des communautés scientifiques, l’intégrité scientifique est également le socle d’une relation de confiance entre le monde de la recherche et les autres composantes de la société. On a vu l’importance de cette confiance en la science lors de la pandémie de Covid, en 2020, avec les débats sur l’efficacité des masques, sur les traitements et sur les vaccins. Outre le caractère honnête et rigoureux, il est fondamental que le chercheur respecte les lois et normes en vigueur. Ainsi, il lui incombe de gérer dans le respect de droits de propriété physique (sur les biens) et intellectuelle (sur les inventions et sur les créations littéraires et artistiques) les données qu’il produit, collecte ou exploite. Enfin, le chercheur se doit de respecter les droits de ceux et celles qui sont impliqués en tant que co-auteurs, co-inventeurs et collaborateurs dans ses recherches (par exemple, en fixant l’ordre des auteurs dans un article commun) et bien sûr, il doit faire œuvre personnelle, sans pillage des tiers (plagiat, vol de données) et alors même que l’IA va « rebattre les cartes »."

Pouvez-vous nous présenter le Comité d’Intégrité Scientifique et dans quel cas peut-il être saisi ?

Jean-François Seuvic : "Le Comité d’Intégrité Scientifique (CIS) compte 12 membres, dont le RIS qui le préside.  Les membres de droit sont trois VP (VP du Conseil Scientifique représenté par le VP en charge de la Politique Scientifique, VP chargée de la Politique Doctorale ; VP chargé du Numérique, des Données et de la Science ouverte) et la Directrice des Affaires Juridiques. Le Conseil scientifique désigne 4 membres, dont un représentant des Doctorants.  Les autres membres sont choisis en fonction de leur intérêt pour l’intégrité scientifique.

Le CIS bénéficie d’un appui en « back-office » assuré par le Coordonnateur Ethique - Déontologie - Intégrité Scientifique de la Direction des Affaires Juridiques, en particulier pour le suivi quotidien des missions du RIS. 

En cas de suspicion de manquement à l’intégrité scientifique, toute personne peut informer le RIS, par courrier-papier ou par mail, via l’adresse integrite-scientifique-referent@univ-lorraine.fr. Ce signalement doit être identifié (pas de message anonyme) et écrit ; tous les intervenants sont tenus à la confidentialité en cours de procédure. Ce signalement ne vaut pas encore saisine d’instance car il y a des conditions à vérifier (par exemple, sur la compétence personnelle du RIS -l’affaire doit concerner l’UL- ou sur la compétence matérielle -c’est bien l’IS qui est en jeu, et pas l’éthique ou la déontologie-). Si ces conditions sont remplies, il y a saisine officielle.  Le RIS et le CIS vont alors instruire le dossier, en entendant les protagonistes ; en se faisant au besoin aider par des experts et des sachants ; le cas échéant en procédant en co-saisine et co-instruction avec d’autres RIS si l’affaire concerne d’autres universités.  La présomption d’innocence et le principe du contradictoire sont impérativement respectés. Si une solution amiable par une médiation est possible, elle est privilégiée (par exemple, accord sur l’ordre des co-auteurs dans un article collectif). A défaut, l’instruction contradictoire se termine par un rapport final qui est transmis à la Présidence de l’Université, avec des préconisations (par exemple, en cas de plagiat, demander la rétractation d’un article en cause ; saisir le Conseil de discipline, notamment pour le retrait du titre de Docteur…). C’est toujours la Présidence qui décide in fine des mesures mises en œuvre (sur les procédures conseillées, voir  le «Guide pour le recueil et le traitement des signalements relatifs à l'intégrité scientifique » (https://www.ofis-france.fr/wp-content/uploads/2023/12/2018_Guide-traitement-signalements-IS_RESINT.pdf), qui figure sur le site de l'Office Français de l'Intégrité Scientifique (Ofis) (www.ofis-france.fr/).

Ces signalements et saisines peuvent intervenir dans des situations fort diverses. Il peut s’agir des fraudes scientifiques, de falsifications, de plagiats ; de pratiques discutables dans l’analyse ou l’usage des données, d’omission de données gênantes, d’usurpation de données antérieurement obtenues par d’autres. Les manquements à l’IS sont fréquents dans l’octroi de l’autorat des publications, comme l’omission d’un auteur dans un article scientifique ou comme un ordre des auteurs non conforme au travail de chacun. Il y a aussi des cas de spoliation au sein d’équipes de recherche ou d’usurpation par un encadrant des travaux de ses étudiants, de ses stagiaires ou de ses doctorants (cf pour une présentation complète, l’ouvrage collectif « Une recherche responsable. L’intégrité scientifique », éd. Quae, 2024, pp. 11-13).

Avec les nouvelles technologies notamment l’IA, comment garantir une intégrité scientifique aujourd’hui ?

Jean-François Seuvic "Nous nous adaptons en fonction de l’environnement scientifique qui est en constante évolution. D’abord, outre notre action a posteriori, en aval des signalements de manquements à l’IS, auxquels nous cherchons à porter remède et réparation, nous développons des actions a priori, en amont, en vue d’éviter les manquements. Dans la mesure où l’intégrité scientifique devient un impératif de plus en plus fort (cf  https://www.ofis-france.fr/les-missions/),  les actions préventives doivent se développer. Je rappelle que tous les étudiants inscrits en doctorat ont à suivre un module de formation à l’intégrité scientifique dispensé dans leur École doctorale. De plus, depuis 2023, le doctorant, après sa soutenance, lorsqu’il reçoit le grade de Docteur, est désormais tenu de prêter serment de respecter les impératifs d’intégrité scientifique. Ce serment ne porte pas seulement sur l’exercice de doctorat mais sur l’entière carrière à venir. Par ailleurs, dans les préconisations adressées à la Présidence après constat d’un manquement, il est possible de conseiller des mesures préventives.

Ensuite, les exigences de l’intégrité scientifique évoluent. Aux impératifs d’honnêteté et de rigueur, mentionnés dans la définition de l’IS contenue dans le décret précité de 2021, il faut ajouter un impératif d’indépendance, en veillant par exemple à ce que des travaux et conclusions scientifiques ne soient pas biaisés sous l’influence des financeurs (songeons par exemple à des rapports scientifiques sur le glyphosate ou sur certains médicaments) ou sous l’influence des processus et contenus de l’Intelligence Artificielle.  Nous sommes ici à la conjonction de l’IS, de l’éthique et de la déontologie. Il est heureux que vienne de se mettre en place à l’UL un Comité de pilotage commun à Éthique, Déontologie et IS (le Copil EDIS).  L’utilisation de l’intelligence artificielle fait partie des premières réflexions en cours.

Enfin, je souhaite remercier mon prédécesseur, Jean-Paul Haton, RIS de 2015 à fin 2023 pour le travail qu’il a accompli et la mise en place de procédures que nous poursuivons et développons."