Droit des clauses abusives : le site du Cerclab en éclaireur de l’Open Data des décisions judiciaires

 
Publié le 9/03/2023

Le Centre de recherche sur les clauses abusives (Institut François Geny) s’intéresse au droit des clauses abusives. Il propose une base de données qui met à disposition, librement et gratuitement, les textes et la jurisprudence en la matière. Chaque ressource est complétée par une présentation synthétique sous une forme s’inspirant des codes annotés. En ce début d’année 2023 et après plus de 10 ans de travaux, ce sont plus de 10 000 notices qui sont ainsi disponibles.

Que sont les clauses abusives des contrats ? (indice : cherchez dans les petites lignes en bas des contrats)

Les clauses abusives des contrats sont les stipulations qui créent un « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties. Les connaître en droit est essentiel pour protéger les consommateurs. L’objectif est d’éviter que seuls les professionnels déterminent, unilatéralement et à leur seul avantage, le contenu des conditions générales des contrats. Ces clauses abusives apparaissent généralement dans les petits caractères… qu’on ne lit jamais. La protection contre les clauses abusives a été introduite en droit français par une loi du 10 janvier 1978, mais elle s’inscrit désormais dans le cadre d’une directive européenne du 5 avril 1993 (93/13/CEE).

Un site web pour référencer les clauses abusives

Les enjeux sont importants et concernent tout un chacun. Ainsi, le site permet d’accéder facilement aux décisions examinant le caractère abusif de clauses. Et on en trouve de très nombreuses :

  • clause permettant au vendeur d’un immeuble à construire de retarder le délai de livraison sans pénalité,
  • clause dégageant l’assureur en cas de vol d’une voiture sans preuve d’une double effraction (alors que beaucoup de vols sont désormais réalisés par des procédés électroniques),
  • clause indexant un prêt immobilier sur le franc suisse (à l’origine d’un contentieux considérable, suivi depuis cinq ans par le site),
  • clause obligeant un colocataire ayant quitté les lieux à garantir le paiement des loyers du preneur resté en placé, etc.

Consulter le site du CERCLAB

Les consommateurs sont-ils les seuls concernés ?

En France, dès l’origine, la protection a été accordée aussi aux « non-professionnels » qui correspondent actuellement à des personnes morales sans activités professionnelles (associations sans but lucratif, syndicat de copropriétaires, société civile immobilière familiale). Mais depuis, des textes sanctionnant les déséquilibres significatifs sont apparus entre professionnels dans le Code de commerce en 2008, et la règle est devenue générale pour les contrats d’adhésion, non négociables, dans le Code civil en 2016. L’extension profite ainsi à de nombreuses petites entreprises, artisans ou professions libérales, qui sont souvent placés dans la même situation d’infériorité que les consommateurs.

Qui est intéressé par cette ressource ?

Le site du Cerclab est un outil précieux pour tous les professionnels du droit (magistrats, avocats, etc.) ainsi que pour les consommateurs et les associations qui les défendent. En effet, il ne limite pas la description de la jurisprudence aux arrêts de la Cour de cassation, il intègre aussi les arrêts de cour d'appel accessibles et des décisions de première instance. Le site offre ainsi plusieurs avantages :

  • Cette précision offre la possibilité d’avoir une vision plus large et diversifiée de la réalité du contentieux par rapport à celle qui se limite aux seuls arrêts publiés au Bulletin de la Haute-juridiction.
  • Le site met à disposition des synthèses structurées de cette jurisprudence, décrivant « l’effectivement jugé », et non une simple liste de décisions.
  • Enfin, il permet d’accéder au texte intégral des décisions à partir d’une synthèse, mais aussi de réaliser le lien inverse. L’utilisateur peut, à partir d’une décision, retrouver toutes les synthèses où elle est citée, ce qui, concernant les juges du fond, est à cette échelle une fonctionnalité qui n’existe dans aucun outil d’informatique juridique documentaire.

Quels sont les intérêts scientifiques d’une telle ressource ?

Le site du Cerclab est bien évidemment un outil sans équivalent pour prendre connaissance de l’état réel de la jurisprudence en matière de clauses abusives et de l’efficacité de cette protection. Il a été utilisé pour plusieurs thèses remarquées (Hakim Hadj-Aïssa, Université de Versailles Saint-Quentin, Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales ou encore à l’Université de Lorraine par Mathilde Calcio-Gaudino en 2018, Droit de la consommation et régime de l’obligation : essai de construction d’un régime de l’obligation consumériste au travers de l’exemple de la prescription).

Par ailleurs, en permettant d’accéder aux décisions des juges du fond, le site offre la possibilité de découvrir les contentieux émergents, notamment sériels, ou les problèmes d'interprétation posés par des textes nouveaux, avant même que la Cour de cassation ne se prononce, ce qui permet d’anticiper la réflexion doctrinale.

Le Cerclab : un terrain d’expérimentation pour l’Open Data des décisions judiciaires

En mettant à disposition une vision synthétique d’une jurisprudence élargie, en flux et en construction, le site invite à renouveler les pratiques des juristes, souvent focalisés, en amont, sur les textes, ou en aval, sur les seules décisions de la Cour de cassation. Le site devient alors un terrain d’expérimentation pour l’Open Data des décisions judiciaires qui se met progressivement en place. Il va intégrer dès cette année certains jugements de première instance.

Toutefois, l’accès libre aux décisions de justice pose des questions, notamment sur la notion de jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi signalé le site du Cerclab comme une des rares bases thématiques en France tentant de se confronter à cette situation nouvelle.

Évidemment, ces évolutions soulèvent la question du rôle de l’intelligence artificielle en la matière, mais la réflexion n’en est encore qu’à ses débuts, car le droit des clauses abusives ne porte pas sur des données quantifiables et le site du Cerclab, tout comme celui de l’Observatoire des contentieux (créé en parallèle à la demande de la Cour d’appel de Nancy) démontrent que l’inventaire des problématiques juridiques posées par l’interprétation de textes nouveaux ou par des contentieux sériels est réalisable avec un nombre relativement réduit de décisions (entre 50 et 100), ce qui peut s’avérer trop faible pour les outils actuels. Il ne fait aucun doute que surmonter cet obstacle révolutionnerait la connaissance du droit jurisprudentiel.