[Portrait] Laurence Corroy : l’éducation aux médias et à la santé

 
Publié le 10/09/2020 - Mis à jour le 5/05/2023
Portrait photographique de Laurence Corroy

Professeure des universités en sciences de l’information et de la communication, Laurence Corroy a rejoint le Crem (équipe Praxis) en septembre 2020. Vice-présidente Formation de la Société française des sciences de l’information et de la communication, elle est aussi directrice de la collection « Éducation et médias » aux éditions L’Harmattan et membre du groupe Esprit critique du Conseil scientifique de l’Éducation nationale.

Quel est votre parcours ?

Après avoir exercé quelques années comme intervenante en communication et directrice des études à l’Institut supérieur international de commerce de Paris, j’ai soutenu – tout en continuant mon activité professionnelle – un diplôme d’études approfondies (DEA) en sciences de l’information et de la communication (SIC). Un jour, au cours de mes recherches, par erreur, un bibliothécaire m’a remis une première édition originale reliée de La Gazette de Théophraste Renaudot datant du 17e siècle. La texture du papier, son épaisseur, le craquement des pages, l’encre originale demeurent un souvenir qui m’a définitivement fait aimer la recherche… Major de la promotion, une allocation de recherche m’a été proposée pour poursuivre en thèse. Ce changement imprévu de carrière et d’objectifs s’est avéré enthousiasmant et, en 2003, j’ai soutenu une thèse sous la direction de Jacques Gonnet (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3) : Prises de parole des lycéens et des étudiants au XIXe siècle : émergence d’une presse spécifique. Dans le cadre de ce travail, j’ai établi un catalogue d’une centaine de journaux qui, en dépit des difficultés et censures, ont paru tout au long du siècle.

Une fois recrutée à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 par l’Institut de la communication et des médias en tant que maîtresse de conférences en SIC, j’ai développé un axe de recherche sur l’éducation aux médias consacré tant aux expressions médiatiques contemporaines des adolescents qu’à leurs consommations médiatiques et leur rapport à l’actualité. En 2014, avec Daniel Raichvarg comme garant, j’ai obtenu l’habilitation à diriger des recherches après avoir présenté à l’Université de Bourgogne une réflexion épistémologique sur les différents courants scientifiques qui ont irrigué conceptuellement l’éducation aux médias.

Plus tard, une rencontre avec une équipe de médecins de l’Université de Paris m’a permis, avec d’autres chercheurs en SIC, de développer un nouvel axe de travail autour des questions de santé. En 2016, nos conclusions ont été remises au directeur général de la santé concernant l’antibiorésistance et sa constitution publique en problème de santé. La même année, je participais notamment au dossier « L’antibiorésistance, un problème en quête de publics », coordonné par Jocelyne Arquembourg (CIM, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3) dans la revue Questions de communication.

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?

Aujourd’hui, deux axes de recherche structurent mes travaux :

Tout comme les pratiques communicationnelles des jeunes et leurs représentations médiatiques, les enjeux curriculaires et les choix politiques en France comme à l’international en éducation aux médias continuent d’innerver mes travaux. Je travaille au sein du groupe « Esprit critique » du Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN) qui réfléchit au développement de l’esprit critique à l’École. Dans le cadre de projets en éducation aux médias, je collabore avec le Centre national d’entraînement aux méthodes d’éducation actives (Ceméa). En tant que membre fondateur, je fais aussi partie du comité Enfants et écrans, composé de chercheurs et de praticiens qui donne des avis sur les pratiques écraniques des enfants.

La constitution de problèmes de santé au sein de l’espace public, la manière dont un problème de santé publique peut devenir un problème public de santé, l’analyse des discours médiatiques autour de thématiques spécifiques émergentes font partie de mes recherches actuelles. J’intègre dans cette réflexion non seulement les médias d’actualité mais aussi les narrations médicales fictionnelles (telles Demain nous appartient diffusé par TF1 et Plus Belle La Vie sur France 3) qui sont interrogées au prisme des médiations en santé et des problématiques de vulgarisation (edutainment). Les questions d’éducation à la santé et les aspects générationnels qui y sont liés sont autant de pistes de recherche à continuer de développer. Depuis 2017, je suis membre du groupement de recherche international (GDRI CNRS) Humanités médicales dirigé par Alain Schaffner (Thalim, CNRS, Université Sorbonne-Nouvelle-Paris 3, ENS).

Avec Christelle Larguier et Sébastien Rouquette (ComSocs, Université Clermont Auvergne), nous organisons des journées de rencontres annuelles autour de la santé. Cette année, nous poursuivons une réflexion portant sur les discours et représentations autour des longues maladies, en particulier sur les figures du patient, du médecin et de l'aidant (IUT de Moulins, 14-15 juin 2021).

De plus, actuellement vice-présidente Formation de la Société française des sciences de l’information et de la communication avec Élise Maas (Protagoras, IHECS, Belgique), je travaille à la direction d’un dossier portant sur l’insertion professionnelle des doctorants et des jeunes docteurs. Nous avons élaboré un livret de compétences des jeunes docteur·es en SIC qui sera publié cette année, à destination des employeurs du secteur privé ou public.

Quels sont vos projets ?

Dans le domaine de l’éducation aux médias, avec Sophie Jehel (Cemti, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis), nous dirigeons le projet de recherche « Intimité(s) numériques » financé par la région Normandie en collaboration avec les Ceméa. Avec des lycées normands comme terrain, ce projet questionne les pratiques numériques amicales et amoureuses des adolescents, les narrations amicales numériques, les intimités mises en scène, leur interpénétration avec les sociabilités juvéniles en présence. Surtout, le projet a interrogé les non-communicabilités digitales, les ruptures du lien amical ou amoureux, dont les pratiques de « ghosting » et de rejet sur les réseaux sociaux en ligne sont les formes les plus visibles, accentuant et transformant les séparations électives de la vie réelle en mises au ban virtuelles. J’ai aussi le plaisir d’avoir intégré l’équipe du projet « Interpréter les images chocs en temps de crise sanitaire » dirigé par Nolwenn Tréhondart du Crem et financé par le ministère de la Culture. Ce dernier me permet notamment de concilier mes deux axes de recherche principaux. Enfin, je travaille avec la direction du numérique du ministère de l’Éducation nationale, le ministère de la Culture, le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi) et l’association Jets d’encre à la valorisation de la presse lycéenne par une exposition pour laquelle j’assurerai le commissariat. Celle-ci sera présentée en mars 2021 au ministère de l’Éducation nationale et investira ensuite d’autres lieux.

Concernant le domaine de la santé, je participe actuellement au montage d’un projet scientifique porté par Emmanuelle Simon et d’autres collègues de l’équipe Praxis du Crem. Celui-ci propose une étude comparative et éventuellement contrastive des dispositifs numériques en santé (région Grand Est et Guyane). La période du confinement ainsi que la crise sanitaire qui perdure questionnent profondément nos habitudes et notamment le rapport médecin-patient. Enfin, les rendez-vous annuels consacrés aux problématiques de santé que nous organisons avec Christelle Larguier et Sébastien Rouquette donneront lieu à une publication en 2021 ou 2022 et, en 2022, cette rencontre se déroulera à Nancy.