[3 questions à] Bérengère Stassin : lauréate du prix du livre FIC 2020

 
Publié le 30/01/2020 - Mis à jour le 5/05/2023
Portrait photographique de Bérengère Stassin

Bérengère Stassin est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’IUT Nancy-Charlemagne de l’Université de Lorraine et co-responsable de l’équipe Pixel du Crem. Ses travaux portent principalement sur les communautés de savoir en ligne et le cyberharcèlement et elle anime le carnet de recherche en accès libre Cyberviolence & Cyberharcèlement. En 2019, elle est l’auteure d’un ouvrage remarqué, (cyber)harcèlement. Sortir de la violence, à l'école et sur les écrans (C&F Éd.) ; en 2020, elle obtient le prix du Livre cyber dans la catégorie Cybercriminalité décerné par le Forum international de la cybersécurité (FIC), qui lui a été remis le 29 janvier 2020 à la Chambre de commerce de Lille par Corinne Thiérache, avocate et présidente du jury.

Quel est votre parcours ?

J’ai obtenu un baccalauréat littéraire à Charleville-Mézières en 1999. J’ai ensuite suivi une classe préparatoire littéraire aux grandes écoles (hypokhâgne, khâgne) à Valenciennes, puis une licence en lettres modernes à l’Université Lille 3. Dans le cadre de ce parcours, il fallait choisir une option. De manière un peu hasardeuse – il n’y avait plus de place en cinéma et en journalisme –, j’ai choisi « Documentation ». Cela a été ma porte d’entrée vers les sciences de l’information et de la communication (SIC). Parallèlement à mes études, je travaillais comme téléconseillère. En 2003, après avoir obtenu ma licence, ce job étudiant est devenu pendant quelques années mon emploi à temps plein pour le compte d’une maison d’édition, puis d’une compagnie d’assurance.

En 2008, je suis retournée à l’Université Lille 3 pour préparer un master en SIC et, en 2010, je me suis inscrite en doctorat sous la direction de Stéphane Chaudiron au sein du Groupe d’études et de recherche interdisciplinaire en information et communication (Gériico). Ma recherche portait sur les communautés de savoir en ligne. J’ai étudié les formes de médiation des savoirs exercées par un réseau de blogueurs experts évoluant dans le domaine de l’information-documentation (infodoc), mais aussi la manière dont ces blogueurs faisaient « communauté », construisaient leur identité numérique et géraient leur présence en ligne.

J’ai soutenu ma thèse en 2015 et, en 2016, j’ai été recrutée comme maître de conférences par l’Université de Lorraine, où j’ai intégré le Crem au sein de l’équipe Pixel (créée en 1998) qui s’intéresse principalement aux médiations en lien avec les technologies de l’information et de la communication et les usages de celles-ci. Et, l’an dernier, j’ai pris la coresponsabilité de cette équipe avec Sébastien Genvo.

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?

Mes recherches actuelles portent sur les phénomènes de cyberviolence et de cyberharcèlement qui se développent au sein du web et des médias sociaux. Ce qui est une autre façon d’interroger l’identité numérique et la présence en ligne, car ces dernières se construisent par l’ensemble de nos traces numériques, des contenus que nous publions en ligne, qu’il s’agisse d’un commentaire sur un blog, d’une photo sur Instagram ou d’une insulte sur Twitter.

Je m’intéresse particulièrement au cyberharcèlement scolaire et à la manière dont l’École et ses partenaires (associations, parents, éducateurs) luttent contre ce fléau, aux actions de prévention et d’éducation qu’ils mettent en place. C’est dans ce cadre que j’ai préparé l’ouvrage (cyber)harcèlement. Sortir de la violence, à l'école et sur les écrans, qui constitue une synthèse des connaissances sur ces sujets. Ce livre présente et caractérise différentes formes de harcèlement et de cyberharcèlement scolaires : usurpation d’identité, cyberviolence verbale, cyberviolence sexuelle, médiatisation de la violence physique, harcèlement de meute, etc. Il propose aussi une présentation et une réflexion sur les dispositifs de prévention et d’éducation qui sont ou qui peuvent être mobilisés. Car, comme pour les victimes d’autres formes de harcèlement, celles du cyberharcèlement ne trouvent pas toujours la force de parler, parce qu’elles ont honte ou peur que les choses empirent si elles brisent le silence.

Le changement de comportement à la maison, la chute des résultats scolaires, les troubles du sommeil sont des signes qui peuvent alerter les parents et les conduire à engager une discussion avec leur enfant. Ils peuvent aussi s’adresser au numéro vert du ministère de l’Éducation nationale (3020) ou au numéro « Net écoute » (0 800 200 000). Mais il faut aussi que les usagers des médias sociaux aient le réflexe d’alerter les plateformes lorsque des contenus douteux ou diffamatoires circulent. Différentes organisations sont à leur écoute en cas de doute ou de question : la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), les associations e-Enfance et Respect Zone. Et, plus que jamais, il faut éduquer les jeunes et moins jeunes aux médias et à l’information, à l’intelligence des traces numériques, à la gestion et à la protection de leur identité numérique.

Actuellement, un dispositif retient toute mon attention : les Ambassadeurs lycéens contre le harcèlement scolaire. En partenariat avec le rectorat de l’académie Nancy-Metz, j’enquête auprès de ces élèves qui se portent volontaires pour sensibiliser leurs pairs et les aider lorsqu’ils sont confrontés à certains problèmes.

Quels sont vos projets ?

Je souhaite poursuivre mes recherches en développant des collaborations avec des chercheurs en SIC, mais aussi dans d’autres disciplines, et faire de la cyberviolence l’un des axes forts de l’équipe Pixel. Car les travaux de certains collègues sont connexes. Je pense notamment à Angeliki Monnier qui codirige le projet franco-allemand M-Phasis sur les discours haineux dans les médias sociaux en lien avec les migrants, ou à Sébastien Genvo qui a récemment développé un jeu vidéo expressif sur la thématique du suicide (Lie in my Heart). Je pense aussi à Béatrice Fracchiolla, dans une autre équipe du Crem (Praxitexte), et à ses travaux en sciences du langage sur la violence verbale. Il y a au Crem de véritables forces sur ce thème. D’autant que Jacques Walter y a dirigé l’une des premières thèses en sciences humaines et sociales (SHS) sur la cyberdélinquance, celle de Jean-Philippe Humbert soutenue en 2007. Dans le prolongement, je réfléchis à la manière dont on pourrait développer des thèses sur la cyberviolence financées dans le cadre de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) avec certaines grandes associations de prévention du (cyber)harcèlement scolaire. Et, pour moi, tout cela doit se faire en veillant bien à ne pas négliger les questions éthiques. En effet, quand on travaille sur des données impliquant des individus, surtout s’ils sont mineurs, on ne peut pas faire l’économie de certaines questions telles la protection absolue de leur anonymat et de leur intégrité. Il s’agit là d’un impératif – moral et professionnel – de résultat, et non pas seulement de moyens.

En outre, j’ai à cœur de poursuivre mes activités de diffusion auprès d’un public plus large que je mène sur mon blog, Cyberviolence & Cyberharcèlement, et par le biais du média en ligne The Conversation France. Je travaille aussi à la rédaction d’une notice sur le cyberharcèlement qui sera publiée en libre accès sur le Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics.

Mais, pour le moment, j’espère surtout que le prix du FIC contribuera à mieux faire connaître aux éducateurs, aux parents et au grand public ce phénomène d’envergure et les actions à mettre en œuvre pour lutter contre. C’est la raison pour laquelle je fais mon possible pour répondre aux sollicitations – qu’elles proviennent des médias, du milieu éducatif ou d’ailleurs – pour partager mes connaissances sur le sujet.