Catherine Guyon, Maître de conférences HDR en histoire médiévale et spécialiste de Saint Nicolas

 
Publié le 13/12/2018 - Mis à jour le 14/04/2023
portrait Catherine Guyon

Dans le cadre de sa conférence pour l'Université du Temps Libre qui a eu lieu le 4 décembre 2018 à l'IUT de Metz (Département des Mesures Physiques, Technopôle), nous avons rencontré Catherine Guyon qui évoque pour nous le culte de Saint Nicolas, pont entre l'Orient et l'Occident.

 

Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Je suis Catherine Guyon, maitre de conférences habilitée à diriger des recherches en histoire du Moyen-Age à l’Université de Lorraine.

 

Quels sont vos sujets de prédilection ?

Mes recherches portent sur  l’histoire religieuse, culturelle, sociale, de la fin du Moyen-Age, avec quelques spécialisations sur les ordres monastiques et religieux, le culte des saints, les pèlerinages, l’histoire des femmes et l’histoire de la Lorraine.

 

Le sujet de Saint Nicolas regroupe ces thèmes ?

Oui il recoupe mes travaux sur la Lorraine et les pratiques religieuses et s’inscrit pleinement  dans mes recherches, publications, colloques autour des pèlerinages où Saint Nicolas qui tient une place particulière. C’est l’un des grands saints de l’Occident mais aussi de l’Orient. J’ai eu notamment l’occasion en 2013 d’organiser un colloque qui faisait suite à un autre colloque auquel j’avais participé en 2010 à Bari (Italie), lieu où se trouve le tombeau de saint Nicolas. Ce colloque de 2013 était international et concernait saint Nicolas en Orient et en Occident. Il s’était tenu à Saint-Nicolas-de-Port et à Lunéville durant 3 jours autour des fêtes du 6 décembre et avait rassemblé 25 intervenants venu de 8 pays différents (Russie, Allemagne, Suisse, Belgique, Italie, Turquie, USA). C’était tout à fait passionnant.

 

St Nicolas a une place particulière en Lorraine, mais s’il a généré des venues d’autant de pays différents c’est qu’il a une importance internationale.

Oui  il a un rayonnement à l’échelle européenne. C’est un pont entre l’Orient et l’Occident, permettant des échanges culturels stimulants.

Ce colloque et les autres articles et publications sur saint Nicolas vont de pair avec un engagement personnel au niveau d’associations nicolaïennes comme membre de l’association Connaissance et Naissance de Saint-Nicolas-de-Port et du conseil d’administration  de Saint-Nicolas des Lorrains de Rome qui veille sur l’église Saint-Nicolas des Lorrains fondée au 17e siècle, dans le centre historique, à quelques mètres de la Piazza Navone. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de donner des conférences sur saint Nicolas à Rome et à l’étranger, notamment à Novgorod en mai 2018.

St Nicolas a donc un rayonnement considérable, du Moyen-Age jusqu’à nos jours, car ce rayonnement perdure et semble même reprendre de l’importance depuis une quinzaine d’années, tant en Lorraine qu’à l’étranger.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’intervenir pour l’UTL ?

J’ai tout simplement été sollicitée, et c’est vrai qu’au moment des fêtes de St Nicolas, depuis plusieurs années je suis souvent demandée pour faire des conférences ou organiser des expositions. Outre le fait que je connais bien les objets sur saint Nicolas conservés dans les musées lorrains, j’en collectionne à titre personnel et suis en relations avec  d’autres collectionneurs. L’an dernier en novembre et décembre 2017 j’ai ainsi montré une exposition à la BU du Saulcy qui a reçu beaucoup de visiteurs même en dehors des cercles universitaires.

 

Vous avez abordé le sujet sous un angle actuel ?

Lors de ma conférence à l’ULT, j’ai abordé saint Nicolas dans une perspective diachronique, c’est-à-dire sur la longue durée, pour montrer comment ce personnage a pu être autant diffusé en Orient et en Occident, en faisant la synthèse des dernières recherches. Je suis partie de ce qu’on sait aujourd’hui du personnage historique (un évêque de Myre -cité appelée aujourd'hui Demre- en Lycie -aujourd’hui sud de la Turquie- du 4e siècle connu pour son fort tempérament et sa lutte contre les injustices) et comment à partir de là se forge la légende en Occident à partir du 12e, comment elle se répand et quelles sont les mutations jusqu’à nos jours. J’ai évoqué la concurrence avec le personnage du père Noël qui en est une émanation ou un avatar apparu au 19e siècle. A aussi été évoqué le renouveau actuel de saint Nicolas en Lorraine bien sûr, mais aussi en Angleterre, en Italie, et également en Russie. Ce renouveau s’explique sans doute parce que saint Nicolas est associé à l’enfance, au don, à la générosité, à l’espoir bien nécessaire dans une période difficile. Je pense qu’on a besoin de moments de rapprochements, de convivialité, de lumière, au milieu d'une actualité souvent difficile.

Sa fête revêt des formes différentes. En Russie, 6 fêtes lui sont consacrées mais la plus importante a lieu en mai : la St-Nicolas d’été qui correspond au transfert (appelée translation) de son corps de Myre (Turquie) à Bari (Italie) le 9 mai 1087. C’est aussi la principale fête à Bari qui donne lieu à de magnifiques spectacles nautiques commémorant l’arrivée des reliques du saint par la mer. Dans le reste de l'Europe, il est plutôt fêté en hiver, c’est une fête associée à la lumière à l’approche du solstice d’hiver et de Noël.

 

Vous étiez déjà intervenue pour l’UTL auparavant ?

Pas jusqu’à présent.

 

Quel regard vous avez sur cette démarche de proposer des conférences pour tous ?

Je pense que c’est une bonne idée. L’Université doit aussi s’élargir en dehors de son public habituel, elle doit rayonner sur la ville et s’ouvrir à un très large public. Notre auditoire ne doit pas se limiter à la porte de nos amphis habituels. C’est important qu’on intervienne dans un horizon plus large.

Je trouve aussi intéressant d’intervenir à Metz où il y a un culte précoce de St Nicolas : les premières traces du culte de St Nicolas apparaissent notamment à Metz en 1070, avant même que les reliques n’arrivent à St Nicolas de Port (vers 1093). Cette présence se matérialise aussi par des traces de cortèges dès le 12e siècle. Dans les archives j’ai pu retrouver des traces de costumes au 15e siècle. Saint Nicolas figure aussi en bonne place dans le cérémonial ancien de la cathédrale qui lui avait dédié une chapelle dès le 12e siècle.

St-Nicolas-de-Port a suscité un grand pèlerinage dès le milieu du Moyen Age. C’était à la fois un lieu sanctuaire religieux et un centre de commerce en relation avec de nombreuses villes de Lorraine (dont Metz), de Flandre et d’Allemagne.

 

St Nicolas devient au 15e siècle une figure identitaire de la Lorraine en lien avec le pouvoir ducal sous René d’Anjou puis René II, c’est la spécificité dans notre région.

Mais son rayonnement européen permet de faire dialoguer les différentes parties de l’Europe, par des approches, des fêtes et des représentations différentes. En Lorraine, Alsace, Franche comté, Belgique c’est saint Nicolas accompagnés des 3 enfants qui s’impose, tandis qu’en en Italie on le représente surtout présentant trois bourses d’or avec lesquelles il dota trois jeunes filles pauvres de Patare pour permettre à leur père ruiné de les marier au lieu de les livrer à la prostitution. Ailleurs, notamment dans le nord de l’Italie et en Savoie il est simplement représenté en évêque. Il fait l’objet de fêtes nautiques ou  en Italie et en Belgique.

Cette diversité est présente dans le dossier déposé la ville de Nancy pour faire reconnaître les fêtes de Nicolas au patrimoine culturel et immatériel de l’UNESCO.

 

Ca officialiserait cette fête ?

Ce dossier repose en tout cas sur une démarche vivante et fédératrice.

 

Depuis cet entretien, le gouvernement est favorable et a inscrit les festivités autour de St Nicolas à l’Inventaire français du Patrimoine Culturel et Immatériel premier pas vers une reconnaissance officielle qui pourrait avoir lieu en 2021.