Nous avons rencontré Justine Breton, docteure en littérature médiévale, et Noémie Budin, docteure en langue, littérature et civilisation française, à l'occasion de la projection de 5 épisodes choisis Kaamelott pour Sciences en Lumière, à Domermy La Pucelle (88) le 04 novembre à 15h00. Les deux chercheuses ont travaillé sur le sujet de la légende arthurienne sous ses multiples aspects : ses réécritures, ses adaptations contemporaines, l'humour qu'elle contient mais aussi le regard critique qu'elle peut nous amener à porter sur la société.
Justine Breton est docteure en littérature médiévale et effectue ses travaux particulièrement sur les représentations de la légende arthurienne au cinéma et à la télévision.
Sa thèse portait sur la représentation du pouvoir dans la légende du Roi Arthur en comparant les manuscrits médiévaux aux réécritures et aux adaptations contemporaines. Dans ce contexte, Kaamelott était une partie assez essentielle de son travail.
C’est en lien avec le succès de la série que vous vous êtes intéressée à ce sujet ?
Le succès de la série influe énormément sur la façon dont on retient la légende aujourd’hui. On est très peu à lire les textes du Moyen-Age ! Les histoires sont par contre conservées dans notre imaginaire collectif, par l’intermédiaire de la BD, des séries …
Kaamelott a eu un rôle essentiel en France : en comparaison aux productions anglo-saxones (Sacré Graal des Monty Python, Excalibur de John Boorman), Kaamelott a amené quelque chose de typiquement français dans la réécriture de la légende.
Votre sujet de thèse consistait à voir ce qu’il reste entre les textes du Moyen-Age et l’interprétation qu’on en fait aujourd’hui ?
Oui, c’est ça. C’est de voir ce qui reste et pourquoi c’est cela qui reste, pourquoi telle chose a été modifiée. Si on représente Arthur de plus en plus comme un roi « démocratique », c’est parce qu’on cherche à adapter la légende à ce que nous souhaitons voir.
Les impacts sont également sociaux ?
Kaamelot, moins mais certaines adaptation oui. Par exemple la comédie musicale Camelot, aux Etats-Unis, avec Julie Andrews et Richard Burton, qui vient d’une série de réécritures, a eu une grande influence sur la façon dont la présidence de Kennedy a été vue. On a appelé la maison blanche Camelot, etc. Ça s’est développé après la mort de Kennedy, on a voulu montrer l’image d’une gloire utopique.
Est-ce qu’on est sur le registre de la parodie avec l’adaptation d’Alexandre Astier ?
Pas à proprement parlé, car il ne s’appuie pas sur une œuvre. La légende est traitée de façon ironique. Alexandre Astier a une très bonne connaissance des textes médiévaux et de leur réécriture, et il s’appuie sur plusieurs éléments qui sont poussés à l’extrême.
Par exemple, dans le texte de Chrétien de Troyes sur Perceval, ce dernier est décrit comme un personnage qui n’arrive pas à poser les questions au bon moment. Dans Kaamelott, il est montré comme très bête, et Arthur finit par lui dire « Je crois qu’il faut que vous arrêtiez d’essayer de dire des trucs ». C’est un clin d’œil au texte de Chrétien de Troyes.
Il y a donc des niveaux de lecture très différents de Kaamelott selon le niveau de connaissance des textes.
Effectivement, Kaamelott peut être apprécié par quelqu’un qui découvrirait la légende et aussi par de grands connaisseurs. On a organisé un colloque l’année dernière et les spécialistes du sujet ont apprécié l’intelligence de la série. Il y a même des références parfois obscures.
Parfois les références sont de l’ordre de la fantaisie, et parfois il y a des détails très précis qui montrent une vraie appropriation de la légende par Alexandre Astier.
Kaamelott est donc une bonne porte d’entrée pour s’intéresser au sujet ?
Je pense, car c’est la porte que j’ai suivie ! J’ai toujours été fascinée par le Moyen-Age et j’ai grandi avec la série .Ça m’a permis de découvrir différemment les textes du Moyen-Age. Cela se voit aussi chez les étudiants qui connaissent la légende avant tout par Kaamelott. Ils ont en souvenir le texte de Chrétien de Troyes enseigné au collège, mais la série est beaucoup plus prégnante dans leur esprit.
Lors de la projection du 4 novembre vous allez expliciter les divers détournements ?
Oui, on va s’intéresser à la représentation des chevaliers, à l’épée Excalibur et nous ferons des parallèles avec des éléments plus pointus pour compléter notre connaissance de la série.
Noémie Budin est docteure en 9ème section, Langues, Littérature et Civilisation Françaises. Elle a soutenu sa thèse à l’Université de Lorraine en 2016. C’est une spécialiste de l’imaginaire et notamment de l’imaginaire féérique dans les fictions contemporaines (littérature jeunesse, cinéma, séries …). Elle étudie le lien entre la société contemporaine et son impact sur cet imaginaire.
Qu’est-ce qui vous a conduite à vous intéresser à Kaamelott ?
La première fois que je m’y suis intéressée c’était pendant mon Master : mon mémoire portait sur les réécritures de la légende arthurienne pour la jeunesse. Je me suis alors intéressée à la façon dont l’époque contemporaine s’est appropriée la légende, ce qui m’a amenée à Kaamelott.
Comme l’imaginaire féérique en France est fortement lié à la matière de Bretagne, j’ai continué mes recherches et j’ai participé au colloque consacré à Kaamelott en 2017 organisé par Justine Breton et Florian Besson.
Qu’est ce qui est remarquable dans l’adaptation d’Alexandre Astier ?
Ce que je trouve très fort, c’est la justesse : c’est humoristique et parodique et en même temps c’est très juste. On n’est pas autant qu’on le pense dans la caricature.
Il y a à la fois une originalité en jouant sur le comique qu’on peut trouver dans l’œuvre et en même temps Alexandre Astier va appuyer sur des détails précis et des motifs qu’on retrouve dans les textes arthuriens.
Quel est l’impact social de Kaamelott ?
La matière arthurienne est à la fois propre à la culture Française et Anglo-saxonne. On est dans une sorte de mélange des cultures. Il y a un regard sur notre histoire mais c’est une légende, un passé plus spirituel que véritablement historique. Les références et les époques sont mélangées (costumes, musique, …) C’est un moyen d’interroger notre histoire mais aussi notre propre regard sur notre passé.
Ce qui est intéressant c’est qu’Alexandre Astier appuie fortement sur la quête du Graal qui est vaine, ce qui peut montrer un certain désenchantement dans la société moderne.
C’est le point de vue d’Astier qui est défendu ou ce sont des éléments qui ressortent dans les textes médiévaux ?
On retrouve l’aspect vain de la quête du Graal dans les textes, mais il y a quand même un parti pris de la part d'Alexandre Astier. Et il y a aussi une sorte de mise en abîme, où Arthur se retrouve témoin de sa propre histoire, avec un point de vue subjectif.
Rendez-vous le 04 novembre à 15h00 - à la Maison natale de Jeanne d'Arc - Domremy-la-Pucelle
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