Jean Michel Barreau est professeur en sciences de l'éducation à l'ESPE de Lorraine, spécialiste des normes et valeurs scolaires. Avec ses étudiants, il travaille notamment à l'appropriation des gestes fondamentaux relatifs à l’exercice de l’autorité et à la gestion des conflits. Il revient ici sur les formes multiples que peut prendre l'autorité de l'enseignant, bien distinctes de l'autoritarisme.
Avoir de l’autorité en salle de classe est une belle chose pour un enseignant et ses élèves. Cette influence qu’il exerce sur eux lui permet de les mettre dans les meilleures conditions pour qu’ils puissent bien apprendre tous ensemble, avec lui.
Afin de mettre en œuvre au mieux cette importante compétence pédagogique qui concerne sa pratique scolaire de tous les jours, il lui revient de travailler sur quatre registres de son intervention. Pour avoir de l’autorité dans sa classe, le « prof » doit avoir des autorités.
Le savant
Il n’y pas d’enseignant qui ait autorité sur ses élèves s’il ne fait autorité sur la matière qu’il enseigne. C’est d’abord son savoir qui fonde son autorité. Son intérêt et sa culture personnelle, le parcours universitaire qu’il a suivi, les diplômes qu’il possède et les concours qu’il a passés attestent de son haut niveau de compétences dans la discipline qu’il enseigne. Et c’est tant mieux.
Car l’élève est toujours attentif, reconnaissant ou admiratif devant son professeur quand il en sait beaucoup et qu’il est parfois comme un savant dans sa discipline ; que ce soit en mathématiques, en philosophie ou en éducation physique et sportive. La puissance de sa connaissance fait la reconnaissance de l’élève.
Le didacticien
Mais tout peut se défaire si ce savant du savoir est un ignorant de sa transmission. Il n’y pas de rapport d’évidence dans ce domaine. La force du « bon prof » vient de sa capacité à transformer son savoir savant en savoirs scolaires. Qu’il sache construire des tâches d’apprentissage et mettre en œuvre des pratiques pédagogiques stimulantes qui soient au service des connaissances de ses élèves.
Les outils peuvent être divers : le tableau noir ou le TBI, la craie ou la souris, le cahier ou la tablette, le stylo ou le clavier, la page du livre ou la page Internet, le dictionnaire de la classe ou le moteur de recherche Google. C’est la bonne utilisation de l’outil qui valide sa pertinence pédagogique.
Les stratégies peuvent être nombreuses : de la transmission orale à la recherche en groupes, en passant par l’investigation personnelle. Les mises en situation peuvent être multiples : le magistral, le conflit cognitif, l’obstacle, le contrat, la coopération, le soutien, l’émulation, la compétition, etc.
Avec, en souci surplombant, la différenciation qui permet à l’enseignant d’être au plus près du rapport personnel que chacun de ses élèves entretient avec ses propres apprentissages. Côté enseignant, ce qui doit être toujours au rendez-vous c’est l’intelligence et la multiplicité des outils qu’il utilise. Côté élève, ce qui doit être toujours au rendez-vous, c’est la volonté, le goût, la joie, la passion qu’il a d’apprendre et de réussir le plus possible.
Le légiste
Une salle de classe est une petite société éducative. Et parce qu’il y a société, il y a lois. Tout enseignant ne peut faire autrement qu’être un légiste. Quelqu’un qui construit du législatif de classe pour pouvoir bien y enseigner : de la maternelle à l’université. Qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou pas, qu’il le fasse implicitement ou explicitement, il n’y a pas d’enseignant qui ne crée des lois dans l’espace où il intervient. Une classe sans règles est impossible car sans elles maîtres et élèves ne peuvent ni apprendre seul, ni apprendre ensemble, ni apprendre avec lui.
Ce climat législatif peut s’exprimer de plusieurs manières. Un simple froncement réprobateur de sourcils peut parfois suffire pour rappeler ce que l’on ne peut pas faire. Des règles de vie clairement affichées au mur des classes élémentaires peuvent aider à y inscrire concrètement le permis et l’interdit. La loi générale qui prévaut est que nul ne peut faire ce qu’il veut comme il le veut.
Un élève peut-il arriver ou partir à l’heure qu’il décide ? Parler en cours comme il veut ? Venir sans ses affaires de travail ? Refuser des enseignements ? Téléphoner avec son portable ? Manger en classe ? Crier à sa guise ? Casser du matériel ? Insulter ses congénères ? Frapper ses semblables ? Non. Car s’il le fait, il altère les règles qui lui permettent d’entretenir un rapport cognitif et collectif au savoir.
Quant à l’enseignant, s’il est celui qui établit des lois de classe, il est aussi celui qui s’y soumet. Législativement, il est l’égal de ses élèves.
L’arbitre
Parce qu’il y a loi, il y a arbitrage. L’enseignant est l’arbitre des lois de classe qui ont été établies. Par sa fonction, il est toujours placé en situation de celui qui estime, approuve ou désapprouve ce qui se passe. Que ce soit lorsqu’il évalue un travail, régule des comportements, gère des conflits ou des violences. Il est régulièrement sollicité sur les registres de l’exact et de l’inexact, du permis et de l’interdit, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste.
Avec, en trame de fond la lucidité, la neutralité et le courage comme garants du bon fonctionnement de cette régulation. La lucidité, pour la clairvoyance dans les appréciations qu’il porte. La neutralité, pour l’impartialité des décisions qu’il a à prendre. Le courage, pour le passage à l’acte de la sanction quand elle est nécessaire.
Dans ce contrat arbitral, la sanction est souvent la mal aimée. Autant par celui qui la donne que par celui qui la reçoit. Elle entame le rapport de bonnes dispositions que le maître entretient avec l’élève et entame le rapport de liberté que l’élève entretient avec lui-même. Mais quand l’acte est important ou grave, la sanction est aussi incontournable que nécessaire.
Trop souvent perçue comme essentiellement punitive, la sanction a pourtant d’importantes fonctions éducatives. Elle répare le lien éthique, politique et social rompu par un élève entre le maître, le savoir, les autres élèves et la classe en général.
Avoir de l’autorité dans une salle de classe est le contraire même de l’autoritarisme pédagogique. C’est une belle chose qui ressort de la démocratie scolaire où l’enseignant enseigne et les élèves apprennent sereinement dans un climat de classe cultivé, pertinent, régulé, conséquent.
Jean-Michel Barreau, Professeur en Sciences de l'éducation, spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.