Après des années d’oubli et 230 ans après sa naissance, Jean-François Didier d’Attel de Luttange (1787-1858), bienfaiteur de la ville de Verdun revient dans la lumière grâce à la publication d’un livre paru aux PUN – Editions Universitaires de Lorraine. Ce livre est le résultat d’une réflexion collective, collaborative et pluridisciplinaire. Littéraires, historiens, historiens de l’art, musicologues et mathématiciens se sont penchés sur une personnalité atypique, complexe et méconnue. Cette recherche, menée dans le cadre de l’Axe 2 « Langues, textes et documents » de la Maison des Sciences de l’Homme Lorraine (USR 3261, CNRS-Université de Lorraine) a bénéficié du soutien de l’ANDRA.
Polygraphe curieux, Attel a légué par voie testamentaire à la ville de Verdun une masse documentaire riche et hétéroclite : des objets d'art actuellement conservés au Musée de la Princerie, près de 3000 manuscrits et livres qui reposent maintenant dans les fonds de la Bibliothèque municipale de la ville. C’est la description et l’analyse d’une partie de cet ensemble qui permet aujourd’hui d’esquisser le portrait de cette figure d'intellectuel de la première moitié du XIXe siècle.
Le présent volume, qui n’a pas été conçu comme une biographie d’Attel, s’ouvre néanmoins sur une présentation de sa famille, de sa formation et de ses diverses activités. Frédéric Plancard nous permet de faire connaissance avec « un érudit du XVIIIe siècle égaré au XIXe ». Jean El Gammal replace Attel dans la Lorraine et la France des notables où cet « héritier de sensibilités contre révolutionnaire » est peu intégré. Frédéric Tixier, analysant les relations d’Attel avec la Société Nationale des Antiquaires de France confirme ce manque d’intégration.
En revanche, Attel, auteur prolifique, a commis au moins quatre romans dont les textes sont conservés. Dans leur analyse, historiens et des littéraires sont unanimes à reconnaître qu’en dépit de sa relative médiocrité et de sa diffusion demeurée confidentielle, « l’œuvre » ne manque pas d’intérêt. Le manuscrit de La Vierge de Byzance au Vatican (1822-1824) étudiée par Stefano Simiz, est une uchronie inachevée qui révèle le philhellénisme de l’auteur et ses aspirations à la réconciliation de l’Église. L’Épouse, ou Mystère et fatalité (1829), roman historique, romantique, gothique, frénétique, ironique ou critique, un « étrange objet littéraire non identifié » tel que le définit Alain Guyot, témoigne « d’une époque littéraire en pleine mutation. » Isabelle Guyot-Bachy s’interroge plus particulièrement sur les sources historiques d’Un page de Charles le Téméraire (1838), pâle imitation lorraine du Quentin Durward de Walter Scott. Enfin Catherine Guyon a analysé L’héroïne d’Orléans (1844), un récit romancé de la vie de Jeanne d’Arc dont la licence poétique est assumée par l’auteur qui a pourtant rassemblé sources et bibliographie. Pour les deux historiennes, le constat est le même : Attel est resté en dehors du renouveau des sciences historiques de la première moitié du XIXe siècle.
Après l’étude de l’œuvre romancée, ce sont plusieurs des centres d’intérêt d’Attel qui sont passés au crible. Son philhellénisme, déjà évoqué, est expliqué et commenté par Jean-Marie Flamand. Les ouvrages grecs présent dans sa bibliothèque atteste de réelles compétences linguistiques et d’un amour authentique de la civilisation grecque et de sa littérature. La même passion est constatée par Céline Carenco dans le domaine de la musique ; l’intérêt d’Attel pour l’étude théorique et la pratique musicale, se traduit par quelques partitions, « entre écriture classique et inspiration romantique ». En revanche, notre polygraphe semble atteindre son seuil d’incompétence en ce qui concerne les mathématiques. Olivier Bruneau démontre la vanité de ses brèves recherches (1839-1856) sur la quadrature du cercle. Notons tout de même que c’est cet acharnement mathématique qui lui a valu d’être compté parmi les quadrateurs dans les ouvrages recensant les fous littéraires, notamment ceux de Raymond Queneau et d’André Blavier.
Bibliophile, Attel ne s’est en revanche pas trompé en achetant quatre documents rassemblés ou produits par le pasteur messin Paul Ferry ici présentés par Julien Léonard : trois traités théologiques et un recueil généalogique concernant diverses familles messines. Ce dernier est en totale cohérence avec les préoccupations nobiliaires d’un homme apparenté à quelques familles de Metz. Les ouvrages généalogiques et héraldiques sont commentés par Jean-Christophe Blanchard qui interprète également un nobiliaire réalisé par Attel dans lequel transparaît sa vision réactionnaire du monde. La nostalgie de l’homme et du bibliophile est encore perceptible dans les objets qu’il a accumulés, actuellement conservé au Musée de la Princerie. Mais Frédéric Tixier s’interroge sur le statut de cette accumulation disparate, qu’il semble abusif de désigner par le terme de collection. Bibliophile, assurément, Attel ne serait qu’un simple accumulateur d’objets, au gré de ses lubies et des opportunités, en témoigne encore les quatre peintures italiennes et flamandes du XVIIe siècle ou la collection de camées reproduisant les fresques de la galerie Farnèse d’Annibale Carracci décrites par David Mandrella.
Bien des facettes de la personnalité d’Attel sont donc ici mises en lumière, même s’il reste quelques zones d’ombre, cet ouvrage, qui livre une grande part de ses contradictions, de ses talents et de ses faiblesses, lui rend toute son humanité. Est-il un savant ? Est-il un fou littéraire ? Il est désormais possible d’apporter quelques réponses, provisoires, à ces interrogations. Il est avéré qu’il n’a pas été un savant mathématicien, mais ses connaissances étaient réelles dans les Humanités. Il fut un bon helléniste. Rétif aux progrès de l’historiographie de son temps, il fut un historien dans la tradition d’Ancien Régime attentif aux sciences de l’érudition. Considéré comme fou littéraire pour ses travaux sur la quadrature du cercle, Attel mérite aussi de l’être pour ses romans ici tirés de l’oubli.
Les travaux rassemblés dans ce volume, ont permis à la bibliothèque municipale de Verdun et au Musée de la Princerie d’organiser une exposition consacrée à « d’Attel de Luttange, ce célèbre inconnu », visible au Musée de la Princerie, 16 rue de la Belle Vierge à Verdun du 9 septembre au 30 octobre 2017.