[TCF] Réguler la température avec l’effet thermochrome

 
Publié le 5/07/2017
Prototype de capteur hybride : standard (partie basse) et thermochrome (partie haute). Mise en évidence de l’effet thermochrome - augmentation du rayonnement thermique - à l’aide d’une caméra infrarouge. © Viessmann, CC BY

Fabien Capon a reçu il y a quelques semaines le Prix Yves Rocard de la Société Française de Physique, pour son travail sur un matériau thermochrome utilisé dans les capteurs solaires de la société Viessmann afin d'en limiter la surchauffe. Mais les capteurs solaires ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier des propriétés offertes par les matériaux thermochromes.

Comment réguler la température des capteurs solaires, notamment utilisés dans les satellites ? En jouant sur les couleurs des matériaux thermochromes, changeantes en fonction de leur température. Au sein de l’Institut Jean Lamour (unité mixte de recherche CNRS-Université de Lorraine) une équipe de chercheurs utilise cet effet thermochrome afin de réguler la température des capteurs solaires.

Régulation en milieu spatial

Depuis quelques années, des revêtements thermochromes sont utilisés dans le domaine spatial pour protéger l’électronique embarquée dans les satellites en orbite autour de la terre. Le changement de couleur provoque des modifications du comportement optique notamment dans l’infrarouge : cela permet de lisser les écarts de température à l’intérieur du satellite. À l’ombre de la terre (-50 °C) le satellite conserve sa chaleur. Et à l’inverse, lorsqu’il est exposé au soleil (150 °C), la chaleur est réémise dans l’espace sous forme de rayonnement infrarouge. L’architecture du dispositif est simple, il s’agit d’un film mince thermochrome d’environ 0,5 micron – 100 fois plus petit que le diamètre d’un cheveu – déposé sur la surface du satellite. Cette technologie est à la fois légère et extrêmement fiable puisqu’il s’agit d’un matériau auto-adaptatif.

Satellite soumis aux variations de température. Imperial College London

C’est sur le même principe de fonctionnement que notre équipe de recherche, en partenariat avec la société Viessmann, a utilisé l’effet thermochrome pour répondre au problème de surchauffe des capteurs solaires thermiques.

Il y a 10 ans, le marché solaire thermique était sans réelles innovations, avec, en majorité, des capteurs solaires aux performances équivalentes. Il paraissait alors clair qu’il fallait intégrer de nouvelles fonctions à ces couches sélectives qui absorbent 94 % du rayonnement solaire avec une émissivité infrarouge limitée à 5 %.

Parmi les différentes pistes envisagées, on a privilégié le développement d’une nouvelle génération de couches sélectives et thermochromes afin de résoudre le problème de stagnation/vaporisation des installations solaires thermiques.

Les différents éléments constituants un capteur solaire. On distingue le châssis, la protection en verre, l’isolation, ainsi qu’un serpentin en cuivre soudé sur une feuille d’aluminium sur laquelle on a déposé un film mince – couche sélective solaire – de 0,5 micron d’épaisseur. Viessmann, CC BY

La figure ci-dessus représente une partie du capteur solaire, on distingue la couche sélective de 0,5 micron d’épaisseur en noir/violet qui est déposée sur une feuille d’aluminium. Un serpentin en cuivre dans lequel circule un fluide caloporteur récupère la chaleur solaire.

Les installations solaires thermiques actuelles, équipées de capteurs haute performance standards, rencontrent généralement des périodes d’inactivité en été (stagnation), avec des températures à l’intérieur des capteurs qui peuvent dépasser 200 °C.

Dans ces conditions, le fluide caloporteur (en vert sur la figure ci-dessous) qui permet le chauffage de l’eau sanitaire se vaporise, et son intégrité ne peut plus être garantie, entraînant une maintenance régulière avec un surcoût pour l’utilisateur final.

Représentation schématique d’une installation de chauffage fonctionnant avec un capteur solaire thermique. Viessmann, CC BY

La solution à ce problème réside dans une couche sélective auto-adaptative qui permet d’évacuer les calories par rayonnement pour éviter la surchauffe du capteur.

Augmentation de l’émissivité infrarouge – dissipation de la chaleur par rayonnement – lorsque la température augmente dans le capteur de droite, l’émissivité infrarouge augmente de 5 à 45 %. Viessmann, CC BY

Ce comportement du capteur est rendu possible grâce à l’effet thermochrome que l’on peut visualiser sur un capteur prototype regroupant les deux technologies, sur la figure qui illustre cet article : en bas, la couche standard et en haut la couche thermochrome. Le serpentin en cuivre du capteur – où circule normalement le fluide caloporteur – est parcouru par de l’eau chauffée à 100 °C. À cette température, l’image thermique montre clairement l’augmentation de l’émissivité – couleur orange. Ceci met parfaitement en évidence la présence d’un effet thermochrome et par conséquent la dissipation de la chaleur dès que la température du capteur augmente trop fortement.

Avancées techniques

La recherche a d’abord porté sur la fabrication d’une couche sélective solaire à base du matériau thermochrome VO2 (oxyde de vanadium). Le point de départ a été la mise en évidence à l’aide d’échantillons de laboratoire de petite dimension (1cm2) du potentiel de films à base de VO2 capables de compléter avantageusement la couche absorbante des capteurs solaires thermiques.

Une méthode d’élaboration inédite a été mise au point et optimisée en 2010, et les différentes analyses sur les appareils du laboratoire ont permis de caractériser les propriétés électriques et optiques de la couche thermochrome sur un substrat d’aluminium. Ces résultats nous ont amenés à revoir complètement le développement de la couche sélective : le VO2 pouvait bel et bien se substituer intégralement à la couche standard. La découverte majeure a été de montrer que la couche mince de VO2 constituait à elle seule une couche sélective solaire dite « intelligente » avec des propriétés auto-adaptatives permettant de répondre à la problématique de surchauffe des capteurs solaires.

Laboratoire commun public-privé

En 2014, l’étroite collaboration entre l’Institut Jean Lamour et Viessmann a été renforcée et formalisée par la création d’un laboratoire commun – programme LabCom soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche. Ce LabCom qui porte le nom de SOLARIS (SOLutions Appliquées à la Recherche d’Innovations Solaires) a permis d’embaucher le personnel nécessaire à l’amélioration, l’optimisation ainsi qu’à la compréhension des mécanismes de thermorégulation d’un capteur solaire.

Par exemple, le vanadium possède plusieurs oxydes et nous avons montré que le système biphasé VO2/V4O9 possède des propriétés optiques plus performantes qu’une phase VO2 pure. Enfin, le système triphasé dopé à l’aluminium VO2/V4O9/Al2O3 augmente encore les performances du capteur. Par conséquent, il sera préféré et pris en compte lors d’une extension du brevet à l’international.

Après sept ans de recherche et développement, un nouveau capteur solaire thermique et thermochrome équipé de la technologie ThermProtect est commercialisé par société Viessmann depuis 2016. Pour le marché du solaire thermique, le développement de ce capteur solaire thermique « anti stagnation » et « anti vaporisation », avec une température maximale de fonctionnement limitée à 150 °C, et un rendement équivalent aux solutions actuelles, constitue une réelle innovation ainsi qu’une rupture technologique.

Travaux en cours

The ConversationNos travaux en cours, dans le cadre de SOLARIS, portent sur l’utilisation d’une famille de matériaux plus complexes. Il s’agit de pérovskites thermochromes qui sont à la fois des oxydes plus efficaces et plus adaptées que le VO2. Elles possèdent des propriétés optiques auto-adaptatives similaires à celles de l’oxyde de vanadium, cependant elles sont plus stables face à l’oxydation, et surtout elles offrent la possibilité de maîtriser la température à laquelle se produit l’effet thermochrome.

Fabien Capon, Maître de conférences à l'université de Lorraine, chercheur à l'institut Jean Lamour, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.