Quand les doctorants français et chinois s’intéressent au vieillissement

 
Publié le 23/11/2015 - Mis à jour le 4/12/2015

Des doctorants français et chinois s’intéressent ensemble au grand-âge. Une expérience novatrice vient d’être réalisée en Chine à Wuhan, ville de 12 millions d’habitants, capitale du Hubei, province jumelée avec la Lorraine.

La région est francophile avec l’industrie automobile et lunettière, ses universités à filières francophones, en médecine notamment, des recherches d’excellence, par exemple à l’Université de Technologie de Wuhan sur les matériaux en relation avec les universités de Harvard et de Lorraine, un Département de Français des plus actifs à l’Université de Wuhan, des actions pour diffuser le doctorat en sciences du langage en Chine avec l’aide du Consulat général de France à Wuhan, et de grands noms de la francophonie comme l’atteste l’écrivain Wu Hongmiao, l’une des 50 personnalités franco-chinoises distinguées l’année dernière, qui enseigne à l’Université de Wuhan.

Le vieillissement, un projet doctoral

Les 1res Doctoriales sino-françaises se sont ainsi tenues conjointement à l’Université de Wuhan et à l’Université de Technologie de Wuhan à l’initiative du Collège lorrain des Écoles doctorales (CLED) de l’Université de Lorraine. Durant trois jours, des doctorants des deux pays et des trois universités se sont réunis pour travailler ensemble en plusieurs langues (français, chinois, anglais) sur le thème du « Vieillissement/Aging », en faisant appel à leurs divers champs de spécialité et aux compétences sociales que sollicite un projet doctoral réussi.

Le vieillissement est une question sociétale d’importance pour toute la planète. Selon le rapport de l’UNFPA et de HelpAge, en 2012, les personnes âgées représentaient près de 810 millions de personnes dans le monde, contre 205 millions en 1950, et cette population devrait atteindre 2 billions en 2050.

Dans pratiquement toutes les régions du monde, les plus de 60 ans sont plus nombreux que toutes les autres classes d’âges et parmi les personnes âgées, le groupe des plus de 80 ans se développe plus vite que tout autre groupe plus jeune.

Préoccupation de l’humain

La Chine, avec 190 millions de personnes de plus de 60 ans en 2011 déjà, est le pays au monde qui compte le plus de personnes âgées au-delà de 80 ans. La France, avec 66,3 millions d’habitants au 1er janvier 2015, s’inquiète pour l’avenir de sa population vieillissante en termes de retraites, de santé, etc., et a adopté le 29 octobre 2015 un projet de loi pour l’adaptation de la société au vieillissement, tout en restant le pays européen dont la fécondité reste stable et élevée, avec 2,1 enfants par femme. Treize états membres de l’Union européenne dont l’Allemagne affichent un seuil naturel négatif de leur population, ce qui ne permet plus d’assurer leur avenir économique.

Chaque pays est ainsi amené selon sa culture et son économie à proposer des actions pour répondre aux questions que pose le vieillissement : suppression de la politique de l’enfant unique, accueil renforcé de migrants, durée du travail prolongée, adaptation de l’habitat, etc. De telles préoccupations ne peuvent laisser les doctorants insensibles : leurs travaux, leurs inventions, leurs écrits s’inscrivent dans la société et la changent.

Si au XIXe siècle, dans tous les domaines, s’est posée la question du passage à l’ère industrielle, si le XXe siècle a encouragé la globalisation, réduit les frontières et permis les circulations dans le monde, il semble que le passage au XXIe siècle soit davantage marqué par la préoccupation de l’humain, de ses repères idéologiques, du bien-être et des conditions d’épanouissement des individus et du respect de la planète.

Internationalisation de la recherche doctorale

Cette recentration sur l’Homme est d’importance pour générer du progrès. Pour ce faire, les doctorants ont croisé leurs diverses expertises scientifiques. On notera qu’un seul doctorant venu de France (Psychologie) fait sa thèse dans ce domaine.

Le vieillissement est une question d’actualité transversale, un défi pour toutes les spécialités et tous les chercheurs. La résolution des défis qu’elle pose est à la mesure d’approches radicalement transdisciplinaires. Elle favorise en outre le développement des compétences transversales, peu mises en évidence au cours du travail de thèse classique au cours duquel on devient spécialiste de sa propre « niche ».

C’est ce qui a conduit le CLED de l’Université de Lorraine à proposer à des doctorants de toutes les spécialités, choisis par leur école doctorale, et sur la base de la représentation de plusieurs nationalités, à l’image de l’internationalisation de la recherche doctorale en Lorraine, de rencontrer des doctorants chinois, eux-mêmes de toutes spécialités, allant des sciences exactes dites dures aux sciences humaines dites douces pour relever le défi du grand âge.

Les 64 doctorants de cette première édition, organisés en cinq équipes, ont tout d’abord cherché des « idées sur le vieillissement », ce qui leur a permis de confronter des points de vue au niveau interculturel sur la place des seniors, les rôles tenus par les enfants, etc., mais aussi de faire l’expérience de la façon dont on construit la pensée dans les diverses cultures, européennes (plutôt de manière analytique avec un développement cartésien) ou asiatiques (plutôt de façon systémique, en forme de parapluie, avant de tendre les fils pour regrouper les idées).

Solutions innovantes

Ils ont négocié leurs choix et proposé des solutions innovantes pour ne retenir qu’une idée par groupe. Les doctorants ont alors développé cette idée qu’ils ont présentée à un jury international composé de chercheurs des trois universités, toutes disciplines confondues, et de membres du Consulat général de France à Wuhan, responsables des secteurs concernés.

Cette présentation théâtralisée des idées sur le vieillissement tournait autour de deux idées clés : comment séduire par ses idées, comment convaincre qu’elles sont viables ? Les cinq équipes ont proposé un vêtement de nuit connecté pour aider à lutter contre les cauchemars (Prix du meilleur esprit d’équipe), un « Doudou-Robot » qui accompagne le quotidien (Prix du produit le plus accrocheur), une association de volontaires pour garder jeune par des activités diverses (Prix du projet le plus humaniste), « Mr. Mirror », un miroir intelligent qui donne de la bonne humeur (Prix de la meilleure théâtralisation), des lunettes à mémoire active (1er Prix, Prix du projet le plus innovant).

Dans chaque équipe, les compétences requises pour réaliser ces projets étaient présentes. Il ne suffisait pas de grand-chose, une once de pluridisciplinarité, d’interculturalité, l’envie de faire et un soutien. Dans la plupart des cas, la distance entre le réalisme et la fiction était faible. Les idées et les savoirs en jeu étaient dans un rapport assez raisonnable pour être réalisés.

Reste à inviter les membres de la société civile, les industriels aussi à une telle manifestation pour disséminer une façon plurielle de concevoir la recherche. Les jeunes chercheurs de Wuhan et de Lorraine ont montré la faisabilité du projet et se sont donnés rendez-vous en Lorraine pour la deuxième édition des Doctoriales sino-françaises en 2016.

The Conversation

Dominique Macaire, Professeure des universités à l'école supérieure du professorat et de l'éducation, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.