En septembre 2023, Mehdi Guelmamen, brillant étudiant en sciences économiques, s’inscrit en doctorat pour réaliser son rêve : devenir enseignant-chercheur et transmettre ses connaissances. Jeune chercheur engagé, il s’est penché très tôt sur la question de la gouvernance de l’eau potable et s’est impliqué dans les travaux de recherche de la Chaire Ressources Naturelles et Economie Locale (RENEL) de l’Université de Lorraine.
Désormais membre du BETA, il réalise une thèse intitulée « Essais en économie des ressources naturelles : gouvernance de la ressource en eau potable dans un contexte de transition écologique » sous la direction de Serge Garcia, Directeur de recherche INRAE, et d’Alexandre Mayol, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit, Economie et Administration de Metz – Université de Lorraine.
A l'approche de la Journée Mondiale de l'eau, Factuel est allé à la rencontre de ce doctorant dont les travaux sont profondément ancrés dans l’actualité.
Factuel : Peux-tu nous présenter ton parcours et nous dire ce qui t’a poussé à t’inscrire en doctorat ?
Je n’ai pas d’emblée choisi l’économie. Après un bac S, j’ai d’abord intégré une classe préparatoire Economique et Commerciale voie Scientifique (ECS) sur les conseils d’un de mes enseignants. Mais même si je n’avais pas d’idée claire et précise au sujet de mon orientation professionnelle, je n’avais pas du tout envie de poursuivre en école de commerce, pur produit de reproduction sociale.
Convaincu que l’économie est une clé fondamentale de compréhension du monde et de ses enjeux, je suis parti en Licence d’économie à Metz, que j’ai validée avec mention très bien. J’ai continué en Master Economie appliquée que j’ai également obtenu avec une mention très bien.
En L3, j’ai eu l’occasion de faire un premier stage au BETA pour découvrir le milieu de la recherche. Cela m’a plu et j’ai réitéré l’expérience en première et deuxième année de Master, en réalisant également pour chacune de ces deux années d’études un mémoire de recherche sous la direction de mes deux directeurs de thèse actuels.
Ces expériences m’ont réellement permis de prendre la mesure de ce qu’était la recherche. Ainsi, j’ai découvert la chaire RENEL dès le Master 1. J’ai pu participer activement à la préparation de la conférence annuelle de la chaire et y assister. Lors de mon année de M2, le niveau est monté d’un cran, puisque j’ai présenté mon tout premier article lors de la conférence annuelle.
Dès le premier stage, j’ai très vite eu envie de faire une thèse. Plus que les sciences économiques d’ailleurs, c’est la stimulation intellectuelle que me promettait le doctorat qui m’a attiré, ainsi que le sentiment d’appartenance à une communauté scientifique procuré par mon expérience au sein du laboratoire.
Ainsi, Serge Garcia et Alexandre Mayol, mes actuels directeurs de thèse, m’ont d’emblée préparé dans la perspective du concours des contrats doctoraux. Mon mémoire de M2 portait déjà sur la question de la gouvernance de l’eau potable, et plus précisément sur la coopération intercommunale et l’impact de cette coopération sur le prix de l’eau. Il a d’ailleurs fait l’objet de ma première soumission scientifique à une revue. Si cette tentative s’est révélée infructueuse, un remaniement complet de mon travail m’a permis de publier cette année l’article qui constitue mon deuxième chapitre de thèse, et surtout ce travail m’a permis d’obtenir un financement doctoral.
Factuel : Peux-tu nous en dire plus sur ton travail de thèse, et notamment sur la gouvernance de l’eau potable en France ?
Il s’agit d’une thèse en économétrie appliquée et en économie publique sur la gouvernance de l’eau et la gouvernance des services publics.
Le point de départ va être de comprendre ce qui pousse les communes à coopérer entre elles pour gérer certains services publics, dont celui de la distribution de l’eau. Les premiers déterminants semblent être purement économiques : les communes cherchent à faire des économies d’échelle et de performance. Demeurent toutefois des problématiques de qualité de la ressource et de qualité des réseaux qui ne doivent pas être négligées.
La deuxième étape est d’évaluer l'effet de la coopération intercommunale sur la performance du secteur de l’eau potable en France. Pour cela, je me concentre sur les prix payés par les consommateurs, et je mesure cette performance économétriquement à partir de la variable « prix de l’eau ».
En utilisant un ensemble complet de données de panel, recueillies auprès de l’Office français de la biodiversité, qui comprend tous les fournisseurs d'eau potable français de 2008 à 2021, je démontre que les formes d'organisation choisies par les municipalités influencent les prix de l'eau potable payés par les consommateurs. Les prix à la consommation sont significativement plus élevés en moyenne lorsque les municipalités décident de coopérer entre elles. La coopération intercommunale ne conduit donc pas nécessairement à de meilleures performances en matière de fourniture d'eau potable. Cet état de fait pourrait s’expliquer par la présence de coûts de transaction politique au sein des structures intercommunales.
Enfin, je travaille actuellement aux côtés de Youba N’Daye, Maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Lorraine et spécialiste en économie des ressources naturelles. Nous utilisons des méthodes d’économétrie spatiale pour comparer l’impact de la coopération intercommunale et de la gestion privée sur la qualité du réseau d’eau. Il y a une différence de performance entre le fait de gérer une ressource collectivement ou de la gérer individuellement, à laquelle va s’ajouter la dimension public/privé. La délégation du service public de gestion de l’eau potable à une entreprise privée est-elle vraiment gage de meilleure qualité ? Il y a toute une littérature selon laquelle la performance du secteur privé est supérieure à celle du secteur public que nous souhaiterions nuancer, voire déconstruire.
Factuel : Selon toi, les chercheurs ont-ils un rôle à jouer face aux défis sociaux et sociétaux ?
Il existe pour moi un capital symbolique du doctorat qui apporte un certain poids à la parole des chercheurs et leur octroie une légitimité à participer et à être écouté dans le débat intellectuel.
Mes travaux s’inscrivent dans cette croyance. Nous avons, par exemple, avec Alexandre Mayol, publié récemment dans un ouvrage collectif généraliste (L’eau dans tous ses état – Enjeux politiques, juridiques et économiques, PUG) dont la cible est majoritairement constituée par les acteurs de terrain : acteurs publics locaux, avocats, magistrats, élus et fonctionnaires territoriaux, mais aussi experts en hydrologie. Le chapitre d’ouvrage auquel nous avons collaboré s’attache ainsi à faire le point sur la gestion de l’eau en France et à faire un état des lieux sur les intercommunalités. Par la même occasion, il s’agit de rappeler que les économistes ont des choses à dire sur la gestion des services publics et sur la gestion des ressources naturelles.
S’agissant de peser dans le débat public, il ne faut pas non plus négliger la part de l’enseignement dans le travail d’un enseignant-chercheur. La transmission est au cœur du métier, il ne s’agit pas d’accumuler du savoir pour accumuler du savoir. J’aime à me dire que les cours sont un lieu où les étudiants apprennent à raisonner et à se construire un esprit critique et que j’apporte ma pierre à l’édifice. L’économie est une science sociale, qui se construit en puisant des ressources dans d’autres disciplines : la sociologie, l’histoire, la géographique, la psychologie et les sciences politiques notamment. Certains économistes négligent l’interdisciplinarité, mais j’essaie de montrer à mes étudiants que réfléchir à une problématique économique mène nécessairement à aller puiser dans les travaux d’autres auteurs. Par exemple, étudier l’économie des inégalités sans évoquer Marx ou Bourdieu est un contre-sens total...
Pour aller plus loin :
- Mayol, A., Guelmamen, M., « Intercommunalités et gestion de l’eau en France : une analyse économique du droit des collectivités », in L’eau dans tous ses état – Enjeux politiques, juridiques et économiques, 2024, Presses Universitaires de Grenoble (PUG)
- Guelmamen, M. Does Intermunicipal Cooperation Affect Prices? An Economic Analysis of the French Drinking Water Sector. Rev Ind Organ (2025).