[Interview] Isabelle Schutz de l'association Inform'elles

 
Publié le 6/03/2025
Entrée de l'assocation Inform'elles

À l’approche du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, entretien avec Isabelle Schutz, éducatrice spécialisée au sein du dispositif Informelles à Metz. Déjà intervenue lors du colloque « Les violences faites aux femmes, de l’invisibilisation à la priorité nationale » organisé le 25 novembre dernier à l’UFR Droit, Économie et Administration, sous la direction de Sophie Dumas-Lavenac, maîtresse de conférences en droit privé, Isabelle Schutz revient sur l’aide qui peut être apportée aux femmes victimes de violence.  La défense des droits des femmes passe évidemment par celle de leurs droits fondamentaux, parmi lesquels le droit au respect de leur intégrité physique et psychique ou la liberté d’aller et venir. La lutte contre les violences conjugales est donc un élément essentiel de la défense des droits des femmes. Dans le prolongement du colloque disponible en intégralité sur UL TV, Isabelle Schutz répond aux questions de Sophie Dumas-Lavenac pour donner un éclairage sur l’aide apportée aux femmes victimes de violences au sein du couple. 

 

 

Le lieu d’accueil et d’écoute pour femmes victimes de violences Informelles a ouvert ses portes en 2008. Il est l’un des résultats du Plan d’Accompagnement des situations de Violences (PAV) créé par l’Association d’information et d’entraide mosellane (AIEM) il y a 30 ans. L’année dernière Informelles a rencontré 560 victimes (dont 10 hommes) au cours de 1565 rendez-vous. 386 victimes venaient pour la première fois. Par ailleurs, le dispositif a accompagné 189 personnes dans le cadre des téléphones grave danger, et 12 personnes dans le cadre des bracelets anti-rapprochements.

S.D.L. : Quelle aide les femmes victimes de violences peuvent-elles trouver au sein du dispositif Informelles ?

I.S. : L’aide est multiple, et est apportée en fonction des besoins des femmes victimes, qui varient avant, pendant et après la séparation de leur conjoint violent. Il est essentiel de respecter la temporalité des victimes. Elle consiste en premier lieu en un accueil et une écoute qui visent à les rassurer sur leur légitimité à dénoncer ce qu’elles subissent. Il est souvent difficile de se percevoir comme victime et les violences psychologiques conduisent à brouiller les repères. De nombreux conjoints violents menacent par exemple de demander l’internement en psychiatrie de leur victime à qui ils disent qu’elle est « folle ». Il faut réussir à désigner les actes du conjoint comme des violences. Pour cela une rencontre humaine, chaleureuse, sans jugement, sans injonction à agir, peut être le point de départ d’une prise de conscience du mécanisme de la violence conjugale et de l’emprise, pour ne plus se sentir responsable de la situation.

L’aide consiste également en une information la plus complète possible sur les étapes de la séparation, depuis le dépôt de plainte jusqu’à la procédure judiciaire, avec un accompagnement juridique gratuit, donné en lien avec le CIDFF (Centre d’information sur les droits des femmes et des familles). Il s’agit également de les accompagner dans les démarches administratives qui leur permettront un départ en toute sécurité, avec leurs enfants lorsqu’elles en ont. Il est important de préparer les femmes à ce qui va se passer, notamment en les alertant sur les conséquences d’une plainte incomplète ou imprécise, mais également d’identifier leurs besoins, par exemple en matière d’aides sociales ou financières. Il est primordial de tout envisager, par exemple pour éviter qu’une demande d’ordonnance de protection ne soit rejetée parce que les conditions en ont été insuffisamment caractérisées.

Le dispositif Informelles permet également de trouver des outils et des informations pour sortir des violences conjugales, soutenir des proches victimes et se reconstruire, à travers les semaines d’animation collective et les groupes de paroles. Lors des semaines d’animation collective se succèdent des séances d’information et d’échange et des ateliers autour du corps et du bien-être, de l’initiation au yoga à l’auto-défense en passant par la sophrologie ou l’esthétique. Les groupes de paroles sont également très utiles : les traces psychologiques des violences marquent les femmes pour longtemps, et il ne leur est pas toujours facile de trouver dans leur entourage une écoute et un soutien dans la durée, ce d’autant plus que les violences s’accompagnent très souvent d’un isolement de la famille et des amis.

S.D.L. : Quelles sont les modalités pratiques pour bénéficier de l’aide du dispositif Informelles ?

I. S. : Le dispositif Informelles garantit un accueil gratuit et confidentiel. L’idéal est de prendre rendez-vous par téléphone. Ainsi nous sommes sûres de pouvoir accueillir la personne qui nous sollicite dans les meilleures conditions. Mais bien sûr si quelqu’un vient directement dans nos locaux nous l’accueillons. Nos locaux sont situés dans le centre-ville de Metz, ainsi les femmes qui sont géolocalisées en permanence par leur conjoint peuvent facilement expliquer leur présence à cet endroit. La personne est d’abord reçue par une intervenante sociale puis, si besoin, par un ou une psychologue. Nous pouvons aussi conseiller et orienter les proches d’une victime qui ne savent pas comment l’aider, ou des professionnels qui ont détecté une situation de violences (professionnels de santé, dont particulièrement les sages-femmes, personnels de l’éducation ou des maisons de quartier par exemple). Les victimes peuvent d’ailleurs venir accompagnées, et nous co-construisons alors une stratégie et un parcours pour sortir des violences conjugales.

Nous travaillons également en étroite collaboration avec des partenaires. Ainsi le CIDFF  tient des permanences dans nos locaux et assure une information et un conseil juridique. Nous participons aussi au pôle VIF (violences intrafamiliales) du tribunal judiciaire de Metz et sommes en lien avec le parquet. Les collègues du PAV sont présentes dans les commissariats et gendarmerie, où les victimes peuvent être reçues par des intervenantes sociales de l’AIEM. Le dispositif est présent sur tout le secteur géographique correspondant au ressort du tribunal judiciaire de Metz, avec des permanences délocalisées. D’autres dispositifs locaux existent ailleurs en Lorraine, mais quoiqu’il en soit notre intervention n’est pas du tout sectorisée, et nous pouvons tout à fait accompagner une femme dont le domicile est en Moselle-Est ou en Meurthe-et-Moselle s’il est plus confortable pour elle de venir nous voir à Metz, par exemple parce qu’elle y travaille.

S.D.L. : Pour finir, que souhaitez-vous, à l’approche du 8 mars, pour voir progresser la reconnaissance des droits des femmes ?

I.S. : Je vois deux points qui posent encore de grandes difficultés pour lutter efficacement contre les violences dans le couple. D’une part, le refus de considérer l’ensemble des conséquences sur les enfants des violences au sein du couple, et ce qui change lorsque la femme victime est mère. Lorsque la victime reste et subit les violences, il lui est reproché de ne pas protéger ses enfants en ne quittant pas son conjoint violent, mais lorsque la victime part, il lui est reproché de rompre le lien entre ses enfants et leur père. La façon dont l’ex-conjoint violent instrumentalise la co-parentalité pour continuer à faire souffrir sa victime n’est pas suffisamment prise en compte, et la souffrance que cela provoque chez les enfants non plus.

D’autre part, je remarque l’émergence de condamnations de femmes victimes de violences dans le contexte de violences réciproques. Il arrive que les femmes se défendent et commettent elles-mêmes des violences, mais j’observe qu’elles reconnaissent facilement leur passage à l’acte, là où l’homme auteur de violences sur sa compagne minimise très souvent les faits. Cela revient à dire que les torts sont partagés, ce qui peut peut-être arriver, mais la réalité la plus courante est celle de violences d’abord commises par l’homme, d’une spirale de la violence dans le couple dans laquelle l’homme est auteur et la femme victime, et dans laquelle la femme, en réponse, devient également autrice de violences.

Plus généralement, je souhaite que nous restions toutes et tous mobilisées dans la lutte contre les violences dans le couple.

 

L'association Inform'elles vous écoute au 03.87.35.05.64 et vous accueille sur RDV à Metz par mail : informelles@association-aeim.fr

L'adresse exacte de l'association sera communiquée lors de la prise de RDV.

 

Pour revoir les vidéos du colloque "« Les violences faites aux femmes, de l’invisibilisation à la priorité nationale " :

> Cliquez ici pour visionner les propos introductifs de la journée d'étude

> Cliquez ici pour visionner "de l'incapacité de la femme mariée à la reconnaissance du viol conjugal : repères historiques" (Alexandra BOUSCAVERT, MCF UL) 

> Cliquez ici pour visionner "la mobilisation du droit pénal dans la lutte contre les violences conjugales" (Chloé LIEVAUX, MCF UL)

> Cliquez ici pour visionner "la mobilisation du droit processuel dans la lutte contre les violences conjugales" (Sophie DUMAS-LAVENAC, MCF UL) 

> Cliquez ici pour visionner "le point de vue du parquet" (Laureline GUILLOT et Emmeline OGET, Magistrates, tribunal judiciaire de Metz

> Cliquez ici pour visionner "le point de vue de l'association d'aide aux victimes" (Emmanuelle LEVY, Centre d'information sur les droit des femmes et des familles) 

> Cliquez ici pour visionner "la mobilisation du droit processuel dans la lutte contre les violences conjugales, le point de vue de l'avocate (Sarah UTARD, Avocate au barreau de Metz) 

> Cliquez ici pour visionner "table ronde : la mise en oeuvre des évolutions" 

> Cliquez ici pour visionner "l'apport du droit travail dans la lutte contre les violences conjugales" (Alexia GARDIN, Professeure UL)

> Cliquez ici pour visionner Isabelle GEHAY, Responsable intervention sociale, CAF 57

> Cliquez ici pour visionner "table ronde : la mise en oeuvre de l'accompagnement social des femmes victimes de violence" 

> Cliquez ici pour visionner "les violences sexuelles en EHPAD" (Aline VIGNON-BARRAULT, Professeure, Université d'Angers)