En 3 ans (2022-2024), l’Université de Lorraine a déjà fait des efforts très importants d’optimisation et de rationalisation pour absorber les effets de l’inflation : augmentation de plus de 14 M€ de charges incompressibles hors énergie, augmentation de plus de 10 M€ du coût du gaz et de l’électricité (aide de l’État déduite), et plus encore assumer des charges salariales transférées par l’État avec une compensation partielle (avec un solde à notre charge de 27,5 M€ depuis 2022). La bonne santé financière de l’université, résultant d’une bonne gestion et de la très bonne dynamique de ses recettes, fait que nous avons pu, jusqu’à présent, faire face ensemble.
Au total, ce sont ainsi plus de 50 M€ de charges nouvelles auxquelles l’université a dû faire face entre 2022-2024.
Au moment où nous préparons le budget initial 2025 de l’Université de Lorraine, les dernières informations disponibles nous permettent de projeter que nous ne pourrons pas couvrir entre 16 et 21 M€ de nouvelles charges. Selon le Sénat[1], ce sont à l’échelle du pays 542 M€ de dépenses non compensées par l’État, soit 3,5 % de la Subvention pour charge de service public (SCSP). Pour l’Université de Lorraine, avec un taux d’emploi titulaire important, cela représente 5 M€ pour les mesures salariales de 2023 non compensées, 8 M€ pour une nouvelle contribution au régime des agents de la fonction publique, 1 M€ retirés par anticipation pour le passage à 3 jours de carence et la diminution de la prise en charge des salaires pendant les congés maladie, 2 M€ d’évolution « naturelle » de notre masse salariale du fait des grilles salariales d’État et des progressions de carrière… Et il avait été envisagé en plus 5 M€ de contribution de l’UL pour aider les universités qui sont plus en difficulté.
16 à 21 M€ de charges que nous ne pouvons pas financer : ce n’est tout simplement plus possible… Et, pourtant, il y a d’autres solutions !
La conséquence des choix budgétaires du gouvernement est l’asphyxie de ses opérateurs d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. On peut en effet ajouter à tout ce qui précède le fait que le soutien à l’apprentissage dans le supérieur est remis en question, alors qu’il est un levier essentiel pour notre jeunesse et pour nos entreprises et représente près de 25 M€ de recettes pour l’Université de Lorraine. Couper l’accès aux aides de l’État (estimée à 25 milliards par an[2], au total) pour des opérateurs de formation improvisés et peu scrupuleux aurait été une autre voie, le Sénat soulignant « l'absence de contrôle suffisant sur la qualité des formations bénéficiant des financements associés »1 : elle n’a pas été choisie.
Le gouvernement aurait pu encore faire d’autres choix, comme par exemple suivre les recommandations de la Cour des comptes qui propose de modifier le mécanisme du Crédit d’impôt recherche (CIR) :
- Actuellement : 30 % de crédit d’impôt est octroyé à hauteur de 100 M€ de dépenses de recherche, et 5 % de crédit d’impôt au-delà ;
- Préconisation dite « ambitieuse » de la Cour des comptes de 2022[3] : 42 % d’accompagnement à hauteur de 20 M€, conduisant à une économie de 1,75 milliard d’euros.
Combien d’entreprises de nos territoires peuvent défiscaliser à hauteur de 100 M€ de dépense de recherche ? Associé à une simplification des dossiers de demande de CIR, cette mesure donnerait un nouvel élan à l’innovation dans les petites et moyennes entreprises et permettrait en même temps de financer l’arrêt de la saignée des universités publiques et des organismes de recherche. Il est encore possible de choisir une voie plus équitable au bénéfice de nos territoires.
Écoutés mais pas entendus !
À ce jour, le gouvernement rétorque à la conférence nationale des présidences d’université que :
- « Nous avons des fonds disponibles dans nos fonds de roulement et nos trésoreries ». C’est exact en apparence mais à l’Université de Lorraine ces fonds sont intégralement gagés : ils sont constitués par des avances de financement de projets pour lesquels les dépenses sont à venir ou par des engagements pour de l’investissement immobilier ou des équipements.
- « Nous n’avons qu’à développer nos recettes propres, via les prestations et les contrats de recherche ». Oui, mais c’est un secours beaucoup plus aisé à Paris qu’à Épinal ou à Longwy.
- « Nous n’avons qu’à valoriser notre patrimoine immobilier ». Oui, mais un immeuble en « Rive Gauche » à Paris est plus facile à valoriser qu’un immeuble en rive de Madon ou de Fensch.
Tout indique dans les orientations actuelles que l’État renonce à ses universités et à leur rôle majeur dans l’équilibre des territoires qui le composent. Ce n’est pas acceptable !
Si rien ne change : des conséquences à court, moyen et long termes pour la Lorraine !
Pour ce qui nous concerne à l’Université de Lorraine, les conséquences immédiates de cette politique sont :
- Suppression de 3 M€ (- 10 % en moyenne) de l’allocation de fonctionnement pour toutes les structures internes de l’établissement (formation, recherche, services) ;
- Campagne d’emploi réduite (publication d’un emploi sur deux, remplacement partiel par des contractuels) ;
- Déprogrammation d’opérations immobilière sans co-financement externe : - 40 M€, soit une réduction d’un tiers de notre programme de travaux. Quelques exemples de déprogrammations et des enjeux associés :
- Ferme de la Bouzule (là où s’invente l’agriculture de demain et où les étudiantes et étudiants de l’école d’agronomie sont formés) où il y a pourtant un fort risque d’arrêt d’activités pour des raisons de sécurité si nous ne faisons pas les travaux ;
- IUT de Metz, où nous avions pourtant un programme ambitieux d’isolation thermique au bénéfice des étudiantes, étudiants et personnels, mais aussi source d’économie et de réduction de notre impact sur l’environnement ;
- Magasin central où des collègues assurent toute la logistique de l’établissement dans des conditions extrêmement dégradées.
- Impossibilité de financer 80 % de notre programme pluriannuel de mise en accessibilité de nos bâtiments pour les personnes à mobilité réduite ;
- …
Comment assurer l’avenir dans de telles conditions ?
Si rien ne change, cela ne suffira même pas et au cours du premier semestre 2025, nous devrons mettre en œuvre de nouvelles mesures telles que :
- Des campagnes d’emplois de fonctionnaires très réduites allant vers la suppression d’environ 200 postes de permanents à terme, sans remplacement par des contractuels;
- La diminution en conséquence de la charge d’enseignement (réduction de l’offre de formation ainsi que de nos capacités d’accueil, et donc réduction du nombre d’étudiantes et d’étudiants formés d’environ 1500, en première estimation).
Si les choix du gouvernement sont confirmés, ces mesures s’étaleront sur plusieurs années et produiront un effet décalé dans le temps. Il est donc probable que nous serons à nouveau amenée à réduire une nouvelle fois le programme d’investissement de l’établissement courant 2025. Autant de travaux qui ne seront pas réalisés pour l’entretien minimal des bâtiments, l’amélioration des conditions de travail et d’étude, la transition écologique…
1 euro investi dans l’université génère 4 euros de richesse sur ses territoires. Affaiblir l’université, c’est réduire la force d’attractivité qui découlait de sa politique d’investissement ambitieuse et impacter négativement le tissu économique régional. La conséquence directe de tout cela, c’est la réduction des missions assurées par un opérateur public au plus près des citoyennes et citoyens de nos territoires.
- Journée nationale d’action – enseignement supérieur et recherche : 3 décembre – informations à suivre
- Journée nationale de mobilisation pour les services publics et la fonction publique : 5 décembre
[1] Sénat, Commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, avis n° 149 (2024-2025), tome V, fascicule 2, Projet de loi de finances pour 2025 : Enseignement supérieur, déposé le 21 novembre 2024.
[2] Bruno Coquet, Apprentissage, quatre leviers pour reprendre le contrôle, OFCE Policy Brief 135, 12 sept. 2024.
[3] Conseil d’analyse économique, Renforcer l’impact du Crédit d’impôt recherche, 2022.