[Interview] Françoise Baron revient sur le parcours inspirant de Marie Marvingt (1875-1963)

 
Publié le 23/05/2024

Françoise Baron, enseignante en STAPS à la Faculté des Sciences du sport de Nancy, est aussi biographe de Marie Marvingt. En 2013, elle publie le livre "Marie Marvingt : À l’aventure du sport, aux éditions L’Harmattan" consacré à la vie trépidante et inspirante de cette femme pionnière, aventurière et sportive ! Dans le cadre de l'inauguration du bâtiment Marie Marvingt sur le campus du Saulcy à Metz, Françoise Baron nous en dit plus sur l'histoire hors du commun de cette lorraine.

Pourquoi une biographie sur Marie Marvingt ? Quelle est la genèse de ce livre ?

F.B. : Je suis agrégée d’EPS à la faculté des sciences du sport. J’y enseigne notamment l’histoire du sport et plus particulièrement l’histoire du sport féminin. Je citais Marie Marvingt mais je ne la connaissais pas vraiment. Dans le cadre d’un travail de recherche je me suis intéressée à elle car c’est une personnalité locale peu connue. J'ai découvert Marie Marvingt avec le livre hagiographique de Rosalie Maggio et de Marcel Cordier dans lequel les superlatifs décrivant Marie Marvingt ne manquent pas. Ce n'est pas tellement le personnage romanesque qui m'a intéressée mais le type d'engagement physique de cette femme et le mode de vie qui l'accompagne à une période où la femme est cantonnée à son rôle de mère et d'épouse. Je me suis essentiellement appuyée sur les articles de journaux qui relatent ses exploits et sur l'histoire des diverses activités qu'elle a investies.

Comment définiriez-vous cette femme ?

F.B. : C’est une femme pugnace – audacieuse – orgueilleuse aussi un peu. C’est une femme moderne, libre.

Les nombreuses facettes de sa personnalité vous inspirent quoi ?

F.B. : Cette femme m’a interpellée car elle a osé braver des interdits, transgresser des règles, s’affranchir des normes sociales, les normes de genre en particulier. Elle s’est engagée dans des activités très variées, c’est ce qui en fait sa singularité.

Marie Marvingt était une sportive accomplie et "touche à tout". Pourquoi cette soif d'aventures sportives, parfois au péril de sa vie ?

F.B. : Son engagement physique de type masculin, en rupture complète avec le type d’éducation corporelle réservée aux femmes à la fin du XIXème et au début du XXème révèle le besoin de s’affranchir de la condition féminine de l’époque. L’activité physique n’était pas interdite aux femmes mais elle devait garantir le maintien de l’intégrité physique donc une pratique sans excès, pas de prise de risque, et dans le respect des valeurs féminines définies à cette période comme la grâce, l’esthétisme. En portant le pantalon, en s’engageant dans des activités risquées, en réalisant des efforts physiques intenses, ou en pratiquant des activités techniques Marie Marvingt s’émancipe de ce modèle. Ces activités symbolisent cette émancipation :

  • La bicyclette c’est la liberté – à une période où les femmes sont cantonnées aux activités du foyer et doivent être accompagnées lorsqu’elles sortent
  • L'avion : l'autonomie : "voler de ses propres ailes"
  • L'alpinisme : l'ascension – (s’élever- s’affranchir des règles de la domination masculine)
  • Les voyages : l'évasion – (s’évader du foyer, d’ailleurs elle ne s’est pas mariée et elle n’a pas eu d’enfant)

Un bâtiment Marie Marvingt à l'Université de Lorraine, quelles valeurs, quels symboles pour nos étudiants ?

F.B. : Marie Marvingt symbolise la combativité, la volonté mais aussi la conquête et l’émancipation.

Cette lorraine au destin si extraordinaire est peu connue du grand public, pourquoi selon vous ? Et comment la faire connaître davantage ?

F.B : Oui il y a un paradoxe entre la notoriété qu’elle a eue dans la première partie du XXème siècle (de très nombreux articles dans la presse régionale, dans les journaux nationaux, voire dans la presse « people » ont relaté ses exploits) et l’oubli dans lequel elle est tombée à la fin de sa vie. Elle est plus connue aux USA qu’en France. Peut-être parce que la fin de sa vie a été plus banale, elle n’est pas morte en héroïne. Un Comité Marie Marvingt milite depuis plusieurs années pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. Des rues, des établissements scolaires, des installations sportives portent son nom. En 2022, le stade de football du Mans a pris le nom de Marie Marvingt : un stade de football porte le nom d’une femme ! Joëlle Fossier Auguste, dramaturge, metteure en scène et comédienne lui a consacré une pièce de théâtre. Marie Marvingt tient une place importante dans mon cours sur l’histoire du sport féminin, je l’ai bien sûr choisi pour illustrer les pionnières du sport féminin, ces femmes qui selon l’expression de l’historien du sport Thierry Terret sont allées « à la conquête d’une citadelle masculine ».