Hélène Parent est agrégée de lettres modernes et docteure en langue et littérature française. Elle a soutenu en 2020 une thèse préparée sous la direction d’Alain Vaillant à l’Université Paris Nanterre, publiée aux éditions Classiques Garnier sous le titre Modernes Cicéron. La romanité des orateurs révolutionnaires (1789-1807). Ses travaux portent sur l’histoire de la rhétorique et sur les genres de l’éloquence publique et leurs représentations littéraires et médiatiques au XVIIIe et au XIXe siècle. Depuis septembre 2023, elle est membre du Centre de recherche sur les médiations (équipe Praxitexte) de l’Université de Lorraine (UFR ALL, Metz) en tant que maîtresse de conférences rattachée à la 9e section du CNU (Langue et littérature françaises).
Quel est votre parcours ?
Après trois ans passés en classes préparatoires littéraires, mon intérêt pour la rhétorique classique et la civilisation antique m’a conduite à me diriger vers un master intitulé « Littérature française, de la Renaissance aux Lumières ». L'éloquence politique est le domaine vers lequel je me suis d'emblée tournée, en rédigeant un mémoire sur la rhétorique du conseil dans un corpus de tragédies du XVIIe siècle. J'ai ensuite souhaité approfondir ma connaissance du siècle des Lumières en rédigeant un second mémoire, sur les enjeux politiques du roman libertin. Puis, dans les années qui ont suivi l’obtention de l'agrégation en 2011, alors que j’enseignais dans des lycées de banlieue parisienne, j'ai découvert les discours des orateurs d'assemblée de la Révolution française, tout en continuant à m'intéresser à l'Antiquité et à la langue latine – c'est d’ailleurs au cours de ces même années que j'ai commencé à publier des traductions de textes latins (Cicéron, Sénèque) pour les éditions Allia, activité que je poursuis actuellement. Interpellée par l'imaginaire antiquisant qui se dégageait des discours révolutionnaires, j'ai souhaité étudier ce phénomène, que certains historiens et critiques appelaient péjorativement l’« anticomanie », et que j’ai pour ma part renommé la « romanité ». Loin de l’interpréter comme le signe d’un conservatisme linguistique ou un langage performatif ayant mené à la « Terreur », j’ai souhaité l’éclairer d'un regard nouveau. Mon travail, fondé sur une étude sérielle d’un grand nombre de discours et sur des microlectures stylistiques, s’est nourri de différentes approches, notamment la poétique historique et l’analyse du discours. Ce qui m’a intéressée, en définitive, est la manière dont les orateurs construisaient leur fonction, leur public et leur lieu de parole, devenant des creusets qui reçoivent, transforment et font circuler un langage et une mythologie hérités des siècles précédents et pourtant entièrement tournés vers la modernité.
Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
Après ma soutenance en 2020, j’ai élargi les bornes chronologiques de mes recherches en amont et en aval de la Révolution française, dans le cadre de plusieurs programmes que j’ai mis au point ou auxquels j’ai participé. Parmi ceux-ci, je suis à l’origine d’un projet triennal intitulé « Dire et montrer l’éloquence (1750-1850) », financé par la COMUE « Université Paris Lumières » entre 2021 et 2023. J’ai assuré la coordination de ce programme, ce qui m’a permis de développer mon goût et mes compétences pour le travail en équipe. Nos travaux ont débouché sur trois productions, dont la dernière est en cours d’élaboration :
- une anthologie, codirigée avec Alain Vaillant, intitulée Le Deuxième âge de l’éloquence (en référence au célèbre titre de M. Fumaroli), et qui réunit une trentaine de contributeur·rices (à paraître aux Presses universitaires de Paris Nanterre) ;
- une base de données numérique collaborative recensant un grand nombre de textes théoriques sur l’éloquence (https://eloquence.sociodb.io) ;
- une histoire littéraire dont le titre prévisionnel est Métamorphoses modernes de l’éloquence, codirigée avec Laurence Guellec et Alain Vaillant.
En outre, depuis 2020, je partage avec Stéphanie Roza, spécialiste des Lumières et de l’histoire des socialismes, la direction des Œuvres complètes du journaliste et pamphlétaire révolutionnaire Gracchus Babeuf. Notre équipe pluridisciplinaire, composée d’historien·nes, de philosophes et de littéraires, nous permet d’éclairer différents aspects des écrits de Babeuf, et en particulier, pour ce qui me concerne, de les étudier sous l’angle rhétorique, indispensable pour analyser ces textes, surtout les journaux (qui constituent le tome I des Œuvres, à paraître prochainement). De façon plus générale, mon intérêt pour la question de l’éloquence et de ses représentations me mène à élargir mes travaux vers d’autres corpus : outre la tribune, je me penche sur deux autres lieux de la parole publique que sont la presse et le théâtre, chambres d’écho des assemblées. Enfin, mes travaux rencontrent des questionnements sur l’écriture de l’histoire, sous des formes diverses (écrits relevant de la discipline historique, épopées et récits de fiction inspirés d’événements historiques ou encore écrits autobiographiques de type mémoires). Je m’interroge sur la manière dont ces récits représentent les discours politiques et dont, réciproquement, leur contenu ou leur style peuvent influer sur les discours politiques.
Quels sont vos projets ?
Tout d’abord, je souhaite continuer à mener à bien les projets collectifs dans lesquels je suis engagée : le projet d’histoire littéraire de l’éloquence et celui des Œuvres de Babeuf. Pour ce faire, mon nouveau statut de titulaire et mon rattachement au Crem représentent une chance, d’autant que mes travaux s’inscrivent dans le prochain projet quinquennal de l’unité de recherche, « Vivre ensemble ? Des relations en tension ». J’envisage à ce propos de participer à l’un des axes de réflexion vers lequel se dirige mon équipe, Praxitexte, sur le « porte-parolat » : mes travaux, qui portent sur les figures d’orateurs et de journalistes prenant la parole au nom du « peuple », trouveront naturellement à s’épanouir au sein de cette thématique. Par ailleurs, j’aimerais développer un aspect de mon sujet resté jusqu’à présent à l’arrière-plan : celui de l’oralité et de ses représentations. En effet, l’éloquence ne consiste pas seulement dans la fabrique des discours, elle est aussi une performance oratoire, et il s’agira pour moi de m’interroger à la fois sur la manière dont on peut approcher l’oralité du discours à une époque où il n’existait pas de moyens techniques de l’enregistrer et sur la manière dont cette oralité est représentée dans des textes de fiction, dans la presse, dans les mémoires des contemporains ou encore au théâtre. Enfin, mon travail sur la rhétorique m’amène à questionner la notion de « lieu commun », à la fois en tant qu’outil mis au service de l’argumentation et en tant que lieu du commun. J’ai déjà ébauché des réflexions à ce sujet dans deux notices que j’ai rédigées pour le Publictionnaire : « Assemblée nationale » (https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/assemblee-nationale/) et « Gracchus Babeuf » (https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/babeuf-gracchus/). J’y montre comment le peuple est invité à s’approprier des lieux d’expression (l’assemblée ou le journal) et je pose la question des dispositifs de médiation de cette parole.