Le 2 février dernier, les étudiants du master Veille stratégique et organisation des connaissances (VSOC) ont eu l’opportunité d’accueillir Olivier Coussi, enseignant-chercheur à l’université de Poitiers, qui leur a présenté ses travaux de recherche portant sur l’intelligence territoriale, sous le versant investissements directs étrangers. Ce séminaire était l’occasion pour les étudiants de revenir sur certaines notions déjà abordées en cours d’intelligence territoriale sur les questions de l’attractivité d’un territoire.
Il existe plusieurs définitions de l’intelligence territoriale. Dans cet article, nous parlerons plutôt d’intelligence économique territoriale (IET) qui se définit comme étant une démarche qui consiste à mettre en application les principes de l’intelligence économique au sein d’un territoire dans le but d’améliorer sa compétitivité et son attractivité et d’assurer sa sécurité. L’IET doit permettre aux acteurs d’un territoire de maîtriser l’information à des fins stratégiques, mais aussi d’optimiser sa protection et de mettre en œuvre des actions d’influence notamment pour attirer des investissements.[1]-[2]
De surcroit, l’IET permet de mobiliser l’ensemble des ressources et des compétences du territoire pour construire une vision partagée du développement, et favoriser ainsi l’implantation d’entreprises innovantes et créatrices d’emplois. La mise en place d’une démarche d’IET nécessite une coordination étroite entre les différents acteurs du territoire, ainsi qu’une volonté politique forte pour accompagner ce processus.
Un territoire ne peut être attractif auprès des investisseurs étrangers que lorsqu’il est capable de mettre en avant ses atouts ainsi que ses richesses et de faire face à une grande concurrence au niveau international, cela veut dire qu’il doit se donner tous les moyens afin de promouvoir son image et de se différencier. L’IET est donc l’outil idéal pour permettre au territoire d’attirer des investissements directs étrangers, avec ses 3 principaux volets : la veille stratégique, l’influence et la sécurité économique.
Entretien avec Olivier COUSSI
Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre parcours ?
Je m’appelle Olivier Coussi, j’ai 53 ans, je suis enseignant-chercheur à l’université de Poitiers. Je suis un jeune enseignant-chercheur puisque j’ai débuté ma carrière à l’université il y a une dizaine d’années maintenant suite à une première partie de carrière dans le domaine du transfert de technologie et la valorisation de la recherche pendant 5 ans et ensuite pendant 12 ans j’ai occupé la fonction de responsable territorial pour la région Poitou-Charentes d’un commissariat à l’industrialisation de la DATAR[3] où je m’occupais de prospection d’investisseurs à capitaux étrangers et d’ingénierie financière publique. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler sur les problématique d’intelligence économique et d’intelligence économique territoriale.
Pensez-vous que la politique Française actuelle en terme d’attractivité des territoires est efficace ?
Je me garderai bien d’émettre un avis sur la politique française actuelle en matière d’attractivité du territoire. D’une part parce qu’il faudrait regarder sur quel secteur, est-ce que c’est tout azimut ? Est-ce que c’est en général ? Et puis d’autre part, il faut se méfier des résultats en trompe l’œil : ce n’est pas parce que la France depuis je pense 3 ans occupe la première place du classement européen du nombre de projets à capitaux étrangers attirés sur le territoire national tous les ans qu’elle est performante en termes d’investisseurs étrangers puisque 1) sa balance commerciale est déficitaire et 2) si on regarde les données en termes de bilans des flux financiers, des flux d’investissements c’est-à-dire si on compare les flux d’investissements français à l’étranger versus les flux d’investissements étrangers en France, là on n’est pas du tout bons et donc il faut savoir de quoi on parle, Est-ce que l’attractivité c’est le nombre de projets ? Ou est-ce que c’est réellement la valeur économique de ces projets et l’activité économique ? Ce sont deux choses différentes. Donc je me garderai bien de donner une note à la politique française actuelle en matière d’attractivité territoriale, je constaterai qu’il y a de belles réussites et que pour autant on a souffert depuis de nombreuses années de problématiques de désindustrialisation, de perte d’attractivité sur certains secteurs donc je pense qu’il faut aller point par point et ne pas forcément monter en généralité mais plutôt s’attacher à regarder des situations et puis essayer de les comprendre.
Quels sont pour vous les critères à prendre en compte pour considérer qu’un territoire est suffisamment attractif auprès des investisseurs étrangers ?
Personnellement je pense que l’attractivité n’existe pas en soi, c’est-à-dire qu’aucun territoire n’est attractif en soi et qu’en fait l’attractivité se construit par rapport à un projet. On va construire cette attractivité quand on aura bien compris le cahier des charges du projet que l’on souhaite attirer sur son territoire et à partir de là on va faire une offre : cette offre doit correspondre aux éléments différenciant et aux critères qui feront que l’investisseur va faire son choix et donc en fonction de la nature du projet les critères changent. Quand on a un projet pour attirer une usine de production de batteries par exemple et bien il faut un terrain capable de recevoir cette usine, il faut certainement des facilités comme de l’électricité, du gaz etc… Il faut un bassin de recrutement qui permet de recruter des gens compétents, formés, au bon niveau et pas forcément des BAC +10, ça peut être des employés spécialisés, des techniciens supérieurs etc…. à contrario quand on est dans un projet de service, dans la finance et la banque, je ne pense pas qu’une ville comme Périgueux en Dordogne dont je suis natif, soit attractive pour ce genre de projets alors que par exemple des villes comme Nantes, Lyon ou Paris pourraient l’être. Donc tout dépend de la nature du projet, ce qui peut être structurellement un handicap dans un territoire peut être en fin de compte un élément différenciant et favorable dans le cadre de certains projets.
Quel lien faites-vous entre l’intelligence territoriale et la capacité d’un territoire à attirer des investissements étrangers ?
Pour moi l’intelligence territoire en première approche est une déclinaison de l’intelligence économique sur l’espace territorial dans un souci de management de l’information stratégique afin d’anticiper des mutations économiques éventuelles. Et donc si on reprend les 4 piliers fondamentaux de l’intelligence économique et qu’on regarde relativement au territoire et à l’attractivité, sur l’influence c’est d’être capable de disposer de leviers d’influence pour effectivement amener l’investisseur à investir sur son territoire et comprendre sa mécanique de raisonnement, sur l’aspect surveillance c’est d’être capable de savoir quels sont les investisseurs qui sont prêts à investir et pour quels types de projets ? afin de pouvoir être les premiers à avoir ces informations stratégiques et pouvoir se positionner puisque souvent il y a une compétition internationale concernant le positionnement, ensuite il y a la sécurité économique et donc là c’est d’être capable en termes d’intelligence territoriale de promouvoir une politique territoriale de sécurité dans le management de l’information et puis le dernier volet qu’on néglige souvent qui est le management de l’intelligence collective associé au management des connaissances. Le management des connaissances est d’assurer une mémoire à ce qui s’est passé sur le territoire pour ne pas être obligés de refaire en permanence les mêmes choses, donc c’est d’établir un diagnostic territorial : ressources, compétences, réseaux etc… et de le mettre à jour, cela relève de l’intelligence territoriale puisque c’est de la maîtrise de l’information stratégique.
Salim Berahrah et Naomi Houndjo, Master 2 VSOC
[1] François, L. (2008). Intelligence territoriale: l’intelligence économique appliquée au territoire. Lavoisier.
[2] Coussi, O. & Auroy, P., (2018), Intelligence économique des territoires. Théories & pratiques, CNER, Paris, 240 p.